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L’affirmation de l’intérêt général et l’érosion de la propriété privée : 1984 –

L’émergence de l’objectif de protection des milieux aquatiques

L’important développement de l’usage des eaux souterraines qui a lieu durant cette première phase a conduit à une surexploitation des ressources dans certaines régions. Le niveau des nappes phréatiques baisse, entrainant à son tour des impacts sur les cours d’eau et leurs usagers (pêche récréative notamment) ainsi que sur écosystèmes dépendant des eaux souterraines (zones humides). Ces impacts environnementaux engendrent un nombre croissant de situations tendues, voire conflictuelles dans de nombreux bassins versants du grand sud-ouest, du centre et du sud- est de la France. La montée en puissance des revendications des associations de protection de l’environnement ainsi que des associations de consommateurs a conduit à une évolution progressive du cadre législatif et réglementaire.

1 A l’exception de quelques départements où une autorisation préalable est exigée au-delà d’une certaine profondeur

J.-D. Rinaudo La propriété à l’épreuve de la mer Colloque international, Brest, 2-3 juillet 2015 La loi de 19842 apporte une première réponse à cette demande sociale en affirmant que « la préservation des milieux aquatiques et du patrimoine piscicole sont d’intérêt général ». La mise en œuvre de ce principe se traduit par la création de la notion de débit réservé à l’environnement dans les cours d’eau et l’attribution à l’administration du pouvoir de restreindre les prélèvements dans les eaux superficielles, lorsque ce débit n’est pas maintenu. Ces restrictions prennent la forme de tours d’eau, les irrigants devant irriguer à tour de rôle (par secteur géographique) avec une durée hebdomadaire de plus en plus réduite. La loi ne s’appliquant qu’aux prélèvements en eau superficielle, elle ne permet pas de résoudre les conflits dans les bassins où les étiages sont en grande partie dus à des prélèvements réalisés dans des nappes connectées aux cours d’eau.

La restriction progressive du droit de propriété des eaux souterraines

La loi sur l’eau de 1992 représente un tournant majeur de la politique de gestion des ressources en eau. Sans fondamentalement remettre en cause le droit des propriétaires à exploiter les eaux souterraines, elle limite sérieusement l’exercice de ce droit à travers plusieurs dispositions.

La première consiste à soumettre tout usage de l’eau à un régime de déclaration et d’autorisation (pour les prélèvements respectivement inférieurs / supérieurs à 80 m3/heure). Elle impose d’installer des compteurs d’eau sur chaque point de prélèvement ainsi que la tenue d’un registre trimestriel des prélèvements réalisés. L’exploitation des eaux souterraines privées devient donc soumise à autorisation de l’Etat.

La deuxième disposition consiste à affirmer l’unicité de la ressource en eau, c’est-à-dire le fait que les eaux souterraines font partie intégrante du cycle de l’eau. La différence de statut juridique entre les différentes ressources, héritée du droit romain et formalisée dans le code civil, s’estompe donc en partie au profit d’une vision plus naturaliste du fonctionnement des ressources et des milieux aquatiques. L’Etat peut dès lors légitimement imposer des restrictions d’usages sur ces ressources, ce qui n’était pas possible auparavant. Le droit de propriété sur l’eau souterraine s’en trouve considérablement affaibli. Notons que cette évolution de la législation en France fait écho aux réformes entreprises dans d’autres pays européens à la même période, notamment en Espagne avec la loi de 1985 et au Portugal avec la loi de 1994 (Barraque 2004).

La troisième disposition consiste à imposer une planification de la gestion à l’échelle des bassins versants, avec la création des Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE). Ces schémas visent à concilier la satisfaction des différents usages de l’eau et le maintien de la qualité des milieux aquatiques. Concernant la gestion quantitative des ressources en eau notamment souterraine, ils doivent permettre de résorber les déséquilibres structurels entre usages et ressources disponibles en modifiant ou retirant si besoin certaines autorisations de prélèvement. La loi précise que les autorisations peuvent être retirées ou modifiées sans indemnité de la part de l’Etat lorsque cela est nécessaire pour garantir l’alimentation en eau potable ou en cas de force majeure pour le milieu aquatique.

Une gestion quantitative planifiée est ainsi mise en place dans quelques bassins à forte composante souterraine. L’approche consiste à définir des niveaux piézométriques d’alerte qui, lorsqu’ils sont franchis, déclenchent des mesures de restriction d’utilisation de l’eau (pouvant aller jusqu’à l’interdiction complète). Il s’agit donc d’une extension aux eaux souterraines des

2 (1984). LOI n° 84-512 du 29 juin 1984 relative à la pêche en eau douce et à la gestion des ressources piscicoles.

J.-D. Rinaudo La propriété à l’épreuve de la mer Colloque international, Brest, 2-3 juillet 2015

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dispositions prévues par la loi de 1984 pour la gestion des eaux superficielles. De tels indicateurs ont été mise en place dans de nombreuses régions, tant pour gérer des systèmes aquifères libres que captifs. On peut citer le cas de la nappe de Beauce (région centre), les nappes du Sud de la Vendée en relation avec le Marais Poitevin, le karst de la Rochefoucauld en Poitou Charentes, ou encore la nappe de l’Albien (Seguin et al. 2009).

Des difficultés de mise en œuvre

L’application aux eaux souterraines des dispositions prévues par de la loi de 1992 se heurte cependant à de nombreuses difficultés (Compte et al. 1995). L’Etat manque de moyens pour assurer une police de l’eau efficace, l’administration n’ayant pas les effectifs nécessaires pour vérifier la présence et l’état des compteurs, la présence du registre des prélèvements prévu par les textes, ou encore pour contrôler les capacités de pompage et les prélèvements réalisés (Martin 1996). Les compteurs sont mal acceptés dans le monde agricole et installés bien au-delà des délais prévus par la loi. De nombreux ouvrages de prélèvement ne sont pas déclarés. L’Etat s’appuie alors sur les Chambre d’Agricultures pour collecter l’information relative aux ouvrages et aux prélèvements, les Directions Départementales de l’Agriculture se contentant de réaliser le suivi du travail des Chambres. Cette situation perdure ponctuellement jusqu’au milieu des années 2000 (Brun 2003 ; Montginoul et Rinaudo 2010). L’administration dispose d’un levier supplémentaire après la réforme de la PAC de 1999, qui introduit le principe de l’éco- conditionnalité, mécanisme qui subordonne les paiements directs au respect par les agriculteurs de normes de base concernant l'environnement (et donc la gestion de l’eau).

Par ailleurs, bien qu’autorisant l’administration à modifier ou annuler les autorisations, la loi ne pose aucune orientation sur la manière de répartir entre les utilisateurs la ressource quand elle est insuffisante. Faut-il privilégier les usages les plus anciens ? Réduire tous les usages d’un même pourcentage ? Donner ou pas la priorité à l’eau potable ? Rechercher un optimum économique qui consisterait à réduire en priorité les usages qui crééent le moins de valeur par mètre cube ? Elle laisse également en suspens la question des nouveaux arrivants : faut-il réduire les autorisations accordées aux usagers historiques pour permettre l’entrée de nouveaux usagers ou refuser tout nouvel usage lorsque la ressource est pleinement exploitée ? Le législateur semble avoir délégué la réalisation de ce type d’arbitrage aux Commissions Locales de l’Eau au sein des SAGE. Et dans la pratique, l’administration n’a pas utilisé son pouvoir de révocation des autorisations, à de très rares exceptions près.

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