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L’affirmation de la CJUE des limites procédurales individuelles

L’article 78 alinéa 1er du TFUE impose que l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne développent « une politique commune en matière d’asile », et ce sont désormais les dispositions de la Convention EDH et les articles 18 et 19 de la

217 Convention relative au statut des réfugiés, conclue à Genève le 28 juillet 1951, entrée en vigueur

22 avril 1954, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 189, p. 137.

218 Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.

219 Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les

normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte).

Charte des droits fondamentaux qui permettront une véritable protection des individus menacés. Confronté à une question aussi délicate que celle de la pondération entre terrorisme et droit d’asile, l’Union européenne ne saurait donc s’en remettre à meilleur arbitre que son juge220.

La clause d’exclusion prévue par les textes internationaux est marquée par une certaine forme d’imprécision. Le flou de la directive « Qualification » de 2004 a permis un développement considérable de la jurisprudence de la CJUE221.

Dans une décision de 2010, la CJUE a précisé les modalités d’application de la directive de 2004 et apporte donc un éclairage sur l’application de la Convention de Genève et notamment de son article 1F222. En l’espèce, il s’agissait d’une question préjudicielle posée par la Cour administrative fédérale d’Allemagne concernant le statut de réfugiés irakiens. La question posée devant la Cour de Luxembourg était celle de savoir si l’appartenance de demandeurs d’asile à une liste référençant les organisations terroristes est constitutive d’un crime grave ou contraire aux buts et principes des Nations Unies au sens de l’article 12 paragraphe 2 de la directive. La CJUE vient affirmer que la directive de 2004 a pour objectif d’établir les normes minimales, relatives, d’une part, aux conditions que doivent remplir les demandeurs d’asile afin de pouvoir bénéficier d’une protection internationale et, d’autre part, au contenu de la protection accordée223. Comme la Convention de Genève de 1951, la directive de 2004 prévoit l’exclusion des personnes au statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis « un crime grave de droit commun » ou qu’elles se sont rendues coupables d’ « agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies ». Par conséquent, s’il existe de « sérieuses

220 Henri LABAYLE, « Titre de séjour d’un réfugié et soutien au terrorisme : de la nécessité d’une

clarification par la Cour de justice », GDR ELSJ, 22 septembre 2014. Disponible en ligne

http://www.gdr-elsj.eu/2014/09/22/asile/titre-de-sejour-dun-refugie-et-soutien-au-terrorisme-de-la- necessite-dune-clarification-par-la-cour-de-justice/ [consulté le 22 mai 2019].

221 Serge SALMA, « La politique européenne en matière d’asile : antidote efficace ou source de

torture ? », Un monde tortionnaire - Rapport ACAT 2013, 2013, pp. 285‑297.

222 CJUE, 9 novembre 2010, Allemagne / B. et Allemagne / D., aff. C-57/09 et C-101/09,

ECLI:EU:C:2010:661.

223 Caroline LANTERO, « La seule appartenance à une organisation « terroriste » ne justifie pas d’une

exclusion automatique du statut de réfugié », Revue des droits de l’Homme, CPDH, 30 novembre 2010. Disponible en ligne : http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/2010/11/30/tu-nexclueras- pas-un-terroriste-du-statut-de-refugie-sans-examen-individuel-de-sa-situation-cjue-9-novembre-2010- allemagne-b-et-allemagne-d/ [consulté le 16 mai 2019].

raisons de penser »224 qu’elles ont perpétré un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admis ou qu’elles se soient rendues « coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies »225, la protection ne pourra alors s’appliquer. Pour la Cour, le crime grave de droit commun est entendu comme étant constitué de l’ensemble des crimes qui ne relèvent pas des crimes de droit commun. Par crime grave de droit commun, la Cour de Luxembourg entend tout acte terroriste226. En définitive, la CJUE rappelle dans cette décision que les Etats membres sont dans l’obligation d’étudier en premier lieu l’éligibilité au statut de réfugié des demandeurs d’asile, et ce, avant tout élément d’exclusion227. De plus, elle affirme que l’appartenance à une liste d’organisations terroristes est uniquement un élément de preuve qui doit obligatoirement s’accompagner d’un examen individuel228.

Plus récemment, la CJUE a eu à se prononcer sur les liens entre la nécessité de lutter contre le terrorisme et le dispositif protecteur de réfugié229. Dans l’affaire Lounani se posait la question de la légitimité de la défense de l’Etat dans un contexte terroriste mais aussi la question du caractère démocratique des mesures prises pour lutter contre le terrorisme. En l’espèce, le juge européen délimite le champ d’application de la protection offerte par l’obtention du statut de réfugié230. Aussi, le juge de Luxembourg cherche à savoir si des actes de « participation aux activités d’un groupe terroriste », tels que ceux ayant motivé la condamnation de M. Lounani, relevaient bien de la clause d’exclusion231. La directive « Qualification » de 2004 montre bien que le terrorisme ne saurait se réclamer d’un droit à la protection232. Par conséquent, pour la Cour, la clause d’exclusion « ne saurait être limitée aux acteurs effectifs d’actes de terrorisme »233 tout comme « la participation

224 CJUE, 9 novembre 2010, Allemagne / B. et Allemagne / D., aff. C-57/09 et C-101/09,

ECLI:EU:C:2010:661, point 60.

225 Art. 1F paragraphe 1, point C de la Convention de Genève de 1951.

226 Site internet Combats pour les droits de l’Homme (CPDH), op. cit. (note 135).

227 CJUE, 9 novembre 2010, Allemagne / B. et Allemagne / D., aff. C-57/09 et C-101/09,

ECLI:EU:C:2010:661, point 87.

228 Ibid., point 91.

229 CJUE, 31 décembre 2017, Lounani, aff. C-573/14, ECLI:EU:C:2017:71.

230 Henri LABAYLE, « Terrorisme et droit des réfugiés, des liaisons dangereuses ? Libres propos sur

le ‘’Muslim Ban’’ et la jurisprudence Lounani de la Cour de Justice de l’Union Européenne », op. cit. (note 162).

231 Ibid. 232 Ibidem.

aux activités d’un groupe terroriste peut couvrir un large éventail de comportements d’un degré de gravité variable »234. De plus, au point 72, la Cour de Luxembourg vient reprendre sa jurisprudence de 2010, dans laquelle elle exhortait les Etats membre à procéder à une appréciation individuelle des faits relevant de la clause d’exclusion. En définitive, la Cour vient préciser l’application du droit de l’Union en affirmant que les condamnations pénales ne peuvent avoir aucun impact sur le droit d’asile.

Les garanties posées par la CJUE dans ces différentes décisions concernant le droit d’asile et le terrorisme permettent d’éviter que la lutte contre le terrorisme s’affranchisse des garanties procédurales individuelles découlant du droit d’asile235. Ici, la CJUE joue son rôle protecteur des droits et libertés fondamentales ; rôle qu’elle a adopté plus tardivement que la Cour EDH. Dès les années 1990 et notamment avec l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni236, la Cour de Strasbourg a eu une position inflexible concernant l’application du principe de non-refoulement.

Paragraphe 2. La position intransigeante de la CEDH de la primauté du