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La fonction régulatrice de la Cour de Justice de l’Union européenne

La directive dite « Qualification de 2004 »303 prévoit en son article 21 une protection contre le refoulement et en son article 24 les possibilités d’obtention d’un titre de séjour. La combinaison de ces deux articles traite des possibilités de refus ou de révocation du titre de séjour.

La CJUE s’est prononcée à différentes reprises sur la possibilité de révocation de titre de séjour de réfugié appartenant à une organisation terroriste. Tout d’abord, dans une décision Aydin Salahadin Abdulla la Cour de Luxembourg a dû se prononcer au sujet de l’examen d’une demande concernant l’octroi du statut de réfugié et celle de son maintien304. Dans cette affaire, la Cour apprécie l’importance du risque qu’encourent les personnes ayant obtenu le statut de réfugié si elles sont renvoyées dans leur pays d’origine305. Il est important de prendre en compte des questions d’intégrité de la personne humaine et de libertés individuelles306. Il existe une souveraineté des Etats à accorder ou non l’asile aux personnes persécutées ; la Cour de Luxembourg vient préciser ce droit souverain307. La clause de souveraineté des Etats prévue à l’article 3 de la directive « Qualification » est applicable seulement si elle n’entre pas en contradiction avec l’ensemble des normes prévues par la directive. La Cour admet donc la possibilité de reconnaître souverainement l’asile constitutionnel aux individus « à titre discrétionnaire et par bienveillance ou pour des raisons humanitaires »308.

303 Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.

304 CJUE, 2 mars 2010, Aydin Salahadin Abdulla e.a. contre Bundesrepublik Deutschland, aff. C-

175/08, C-176/08, C-178/08 et C-179/08, ECLI:EU:C:2010:10.

305 Simon LABAYLE, « Les valeurs européennes (1992/2012) - Deux décennies d’une Union de

valeurs », Revue québécoise de droit international, décembre 2012, p. 55.

306 CJUE, 2 mars 2010, Aydin Salahadin Abdulla e.a. contre Bundesrepublik Deutschland, aff. C-

175/08, C-176/08, C-178/08 et C-179/08, ECLI:EU:C:2010:10, point 90.

307 LANTERO, op. cit. (note 223).

308 CJUE, 2 mars 2010, Aydin Salahadin Abdulla e.a. contre Bundesrepublik Deutschland, aff. C-

Dans une affaire plus récente, H. T. contre Land Baden-Württemberg, la CJUE a régulé la possibilité de révocation du statut de réfugié309. Il s’agissait d’un ressortissant turc d’origine kurde qui avait déposé une demande d’asile politique en Allemagne en 1993 en raisons des risques de persécutions qu’il pouvait encourir dans son pays en cas de retour. Il obtient alors le statut de réfugié mais les autorités allemandes tentent de lui retirer son titre de séjour. En 2008, il est poursuivi pour « soutien à une organisation terroriste », le PKK, et fait l’objet par la suite d’une décision d’expulsion, impossible à exécuter en raison de son statut de réfugié. Dès lors, le requérant demeure réfugié au sens de la Convention de Genève et de la Directive « Qualification » mais il est néanmoins privé de son titre de séjour. Cela rend son séjour en Allemagne précaire et cela le prive des avantages résultant de la possession de ce titre (droits sociaux). La question à laquelle la Cour doit répondre est celle des modalités juridiques de la révocation du titre de séjour d’un réfugié sous statut. En vertu de l’article 14 de la Directive « Qualification », la révocation du statut de réfugié est possible lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer le réfugié « comme une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve » ou bien si la personne a « été condamnée en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre ». La protection du réfugié contre le refoulement est absolue sauf si le réfugié constitue une menace pour la sécurité de l’Etat ou qu’il ait été condamné pour un crime particulièrement grave310. La Cour de Luxembourg a alors estimé que les conséquences découlant de la Directive « Qualification » étaient « extrêmement drastiques, [...], [puisque M. H. T.] est alors susceptible d’être renvoyé vers un pays où il pourrait courir un risque de persécution »311. La Cour soumet la pratique du refoulement à « des conditions rigoureuses »312 et rappelle que cette pratique n’est qu’une « faculté laissée à la discrétion des Etats membres »313. Avec cette jurisprudence, la CJUE n’affirme pas le caractère absolu du principe de non- refoulement, à la différence de la Cour EDH, mais laisse une marge d’appréciation

309 CJUE, décision du 24 juin 2015, H. T. contre Land Baden-Württemberg, aff. C-373/13,

ECLI:EU:C:2015:413.

310 LABAYLE, op. cit. (note 139).

311 CJUE, décision du 24 juin 2015, H. T. contre Land Baden-Württemberg, aff. C-373/13,

ECLI:EU:C:2015:413, point 72.

312 Ibid. 313 Ibidem.

aux Etats membres quant aux choix d’autres mesures « moins rigoureuses » que le refoulement. Dès lors, la Cour a laissé une possibilité aux Etats membres d’interpréter de manière plus ou moins large l’article 21 de la Directive « Qualification ». Pourquoi laisser une marge de manœuvre significative aux Etats membres concernant le refoulement alors que c’est un principe international absolu314. Dans cette affaire, il est allégué que, même sans titre de séjour, l’intéressé reste un réfugié. Mais alors, est-ce qu’un statut seul implique une présence légale sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne ? La Cour de Luxembourg répond qu’en vertu de l’article 24 de la Directive « Qualification », le réfugié perd son titre de séjour, même s’il est autorisé, « sur un autre fondement juridique, à demeurer légalement »315 en Allemagne. Même privé de titre de séjour, le réfugié conserve les avantages prévus par le Chapitre VII « Contenu de la protection internationale » de la Directive 2004/83.

La CJUE, dans sa fonction régulatrice du droit européen de l’asile, consacre un principe de non-refoulement relatif. Cette approche de la CJUE s’aligne sur la jurisprudence de la Cour EDH qui a consacré très tôt le principe absolu de non- refoulement notamment avec l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni de 1996316 et qui adopte une position protectrice de l’asile.

Paragraphe 2. La fonction protectrice de la Cour européenne des droits