• Aucun résultat trouvé

240. Les nouveaux moyens de déplacement, ainsi que les nouvelles législations en matière de nationalité, sont des facteurs favorisant la constitution de familles dont les membres sont de nationalités différentes et (ou) de domiciles différents. Ainsi, il est fréquent de ne plus trouver une loi nationale ou une loi domiciliaire commune à toutes les parties à l’affaire. Alors qu’avant la naissance de la relation familiale, il est

511 H. MUIR WATT, « La loi nationale de l’enfant comme métaphore : le nouveau régime législatif de l’adoption

internationale », J.D.I., 2001, p. 995 et s, spéc, p. 1007, n° 9.

Première partie : La proximité inspirant la règle de conflit de lois

148

recommandé de tenir compte des rattachements des différentes parties – étant donné que rien ne lie encore les parties –, dès lors que le rapport de droit est constitué, la localisation ne devrait plus s’effectuer par rapport à chaque partie de la relation de façon individuelle, mais par rapport au lien qui s’est noué. Afin d’éviter toute « situation absurde »513 engendrée par l’application distributive des lois nationales ou domiciliaires des différentes parties, il serait préférable de localiser la relation par rapport à son objet et tous ses protagonistes notamment, lorsque toutes les parties sont à pied d’égalité dans le rapport familial, en les rassemblant sous l’égide d’une même loi.

241. Une évolution dans la manière d’appréhender cette question est perçue en France et en Tunisie. Au départ, la résolution de ce problème consistait à rattacher tout le rapport de droit à l’une des parties, abstraction faite du reste des membres caractéristiques de la relation. Par la suite, une nouvelle localisation du rapport de droit qui tient compte de la spécificité des faits de l’espèce, a été dégagée dans la plupart des matières. Aussi bien dans le système de droit international privé français que tunisien, la première méthode a été appliquée dans toutes les situations où un seul rattachement a été prévu pour régir la relation familiale, alors que ce dernier s’est avéré différent d’une partie à l’autre.

242. Ainsi, en droit français, jusqu’à la moitié du XXe siècle, cette méthode fut la règle en matière de divorce d’époux de nationalités différentes. Elle l’était aussi en droit tunisien et elle n’a disparu qu’avec la promulgation du CDIP514. En raison d’une conception patriarcale de la famille qui régnait dans les deux systèmes sinon d’un nationalisme imposant la prise en considération de la nationalité du seul national515, le

513 B. ANCEL et Y. LEQUETTE, GAJFDIP, n° 26, p. 234, note sous l’arrêt Rivière, Civ. 1re, 17 avril 1953. 514 Voir L. CHEDLY, « Le statut personnel des étrangers (Etude en matière de conflits de lois) », in « L’étranger dans

tous ses états », DRIMAN 2005, p.

515 Le nationalisme est apparu en droit français avec l’arrêt Ferrari, Civ, 6 juillet 1922, Rev. crit. DIP., 1922, p.

444, note A. PILLET, J.D.I., 1922, p. 714, D. P. 1922, p. 137, S. 1923, p. 5, note G. LYON-CAEN,

GAJFDIP, n° 12. En droit tunisien c’est parfois par une interprétation de l’article 4 du décret de 1956,

disposant que ce dernier s’applique aux étrangers, que certains tribunaux tunisiens ont conclu qu’en présence d’une partie tunisienne au procès c’est le Code du Statut Personnel qui devait s’appliquer, (cf. arrêt

Zacco de la cour d’appel de Tunis, arrêt n° 56468 du 25 décembre 1963, R.J.L., 4-1964, p. 66, J.D.I., 1968, p.

123, chron. M. CHARFI ; Cour d’appel de Tunis, arrêt n° 59942 du 27 juillet 1967, R.J.L., 2-1968, p. 60. Voir en sens contraire l’arrêt de la cour d’appel de Tunis, du 2 novembre 1960, Revue Tunisienne de Droit 1962, p. 25, note J.-M. VERDIER qui retient que les dispositions du décret du 12 juillet 1956 s’appliquent même lorsqu’une partie au litige est de nationalité tunisienne). Dans d’autres affaires, c’est tout simplement à un privilège de nationalité que les tribunaux tunisiens font référence. Voir tribunal de première instance

Première partie : La proximité inspirant la règle de conflit de lois

149

rattachement de la relation familiale ne se faisait que par rapport à une seule partie selon sa qualité de national ou de chef de famille516. Une hiérarchie entre les moyens de cette méthode est généralement opérée par les tribunaux français et tunisiens et la conception patriarcale de la famille cédait parfois au profit du nationalisme.

243. L’inégalité des sexes ayant disparue dans les deux systèmes et le privilège de nationalité reculant face aux besoins d’une justice conflictuelle, une telle réglementation des relations familiales n’était alors plus concevable, même si elle n’a pas totalement disparu517. C’est vers une nouvelle localisation du rapport de droit – tenant compte de toutes les parties – qu’il fallait se tourner.

244. La nouvelle méthode a été adoptée par la jurisprudence en France en 1953 avec l’arrêt Rivière de la Cour de cassation, puis poursuivie par les arrêts Lewandowski518 et

Tarwid519. Cette jurisprudence fut une avancée pour la recherche de la localisation du

rapport familial à l’ordre juridique qui lui est le plus proche et ce à deux niveaux. L’idée d’un quelconque privilège de nationalité ou de sexe est d’abord écartée mais en plus, les juges français ne se sont pas précipités pour déclarer la loi du for applicable dès lors qu’ils sont en présence d’époux de nationalités différentes. Ce n’est qu’après avoir vérifié le défaut de nationalité commune et de domicile commun, que la loi du for a été déclarée compétente520. La compétence de la loi du for n’est de ce fait opérante qu’après le constat du défaut d’une loi du lien conjugal. Ce sont des rattachements hiérarchisés ou encore en cascade que la jurisprudence française a dégagé pour faire face aux défaillances d’un ou plusieurs rattachements.

245. Cette jurisprudence a été étendue à presque tout le domaine du statut familial, jusqu’aux réformes législatives des années soixante-dix. Son domaine s’est

de Tunis, jugement n° 26855, du 29 juin 1999, R.J.L., 10-2002, p. 113, Revue Tunisienne de Droit 2000, p. 403, obs. S. BEN ACHOUR. Voir en ce sens, L. CHEDLY, « Droit international privé et droits de l’Homme », Mélanges offerts au Doyen Abdelfattah AMOR, p. 365 et s.

516 S. BOSTANJI, « L’incidence de la constitution sur les nouvelles solutions de conflit de lois (Etude de droit international

privé de la famille) », Mélanges Sassi BEN HALIMA, p. 281 et s, spéc, p. 289.

517 Voir l’article 311-14 du Code civil.

518 Civ, 15 mars 1955, Rev. crit. DIP., 1955, p. 320, note H. BATIFFOL, J.D.I., 1956, p. 146, note B.

GOLDMAN, D. 1955, p. 540, note CHARVIER, JCP, 1955.II.8771, note A. PONSARD.

519 Arrêt Tarwid, Civ. 1re, 15 mai 1961, Rev. crit. DIP., 1961, p. 547, note H. BATIFFOL, J.D.I., 1961, p. 734,

note B. GOLDMAN

520 Arrêt Tarwid, Civ. 1re, 15 mai 1961, Rev. crit. DIP., 1961, p. 547, note H. BATIFFOL, J.D.I., 1961, p. 734,

Première partie : La proximité inspirant la règle de conflit de lois

150

remarquablement restreint, suite aux différentes interventions du législateur français. Cette méthode réapparaît toutefois en matière de divorces internationaux avec la mise en application du règlement Rome III. L’article 8 du règlement prévoit en l’absence de choix par les parties d’une loi applicable à leur divorce et séparation de corps, une règle de conflit objective à rattachements hiérarchisés. La loi de la résidence habituelle commune des époux sera le rattachement principalement applicable. A défaut de résidence habituelle commune, c’est la loi de la nationalité commune des époux qui s’applique, et à défaut, le juge appliquera la loi du for.

246. Le législateur tunisien s’est quant à lui inspiré de la jurisprudence Rivière,

Lewandowski et Tarwid et n’a pas hésité à introduire dans le CDIP des règles de conflit à

rattachements hiérarchisés en bien des domaines de droit de la famille521. Un critère principal est adopté. En cas de défaillance de ce critère, des rattachements subsidiaires sont prévus comme échappatoire à cette difficulté. Tout comme le rattachement principal, le critère alternatif est préétabli. Les rattachements sont ordonnés et appliqués successivement « en fonction des liens de la situation en cause avec un milieu social donné »522. Ainsi l’article 49 du CDIP rattache principalement le divorce et la séparation de corps à la loi nationale commune des époux. Ce critère de rattachement coïncide avec le rattachement de proximité identifié abstraitement en droit tunisien. Cependant, ce même article prévoit un rattachement subsidiaire en faveur du dernier domicile commun des époux, à défaut de nationalité commune. Le critère secondaire est a priori le plus proche dans une telle situation des époux. En dernier recours et seulement en l’absence d’une nationalité et d’un domicile commun, la loi du for s’applique. Cette même solution s’étend aux obligations alimentaires entre époux puisque l’article 51 du CDIP les soumet à la loi applicable au divorce. Une réglementation similaire est prévue pour les obligations entre époux. L’article 47 du CDIP prévoit que « les obligations respectives des époux sont régies par leur lois nationales communes. Si les deux époux n’ont pas la même nationalité, la loi applicable est celle de leur dernier domicile commun, ou, à défaut, de celui-ci, la loi du for ». Dans ces différentes règles de conflit en cascade fondées sur la justice conflictuelle, un catalogue de lois classées selon leur importance de proximité est

521 A. MEZGHANI, p. 114.

522 J.-D. GONZALEZ CAMPOS, « Diversification, spécialisation, flexibilisation et matérialisation des règles de droit

Première partie : La proximité inspirant la règle de conflit de lois

151

dressé. Une loi d’une proximité moindre n’est appliquée que si celle qui présente plus de lien qu’elle, fait défaut. Le législateur part de ce fait d’une présomption que la loi nationale des époux est celle qui à première vue semble la plus proche de la situation. En cas de défaut d’une nationalité commune, une nouvelle recherche de la loi reflétant le rattachement de la situation à l’ordre juridique le plus proche en l’espèce donne compétence à la loi du domicile commun des époux. Ce n’est qu’après la constatation de l’inexistence d’une nationalité commune ainsi que d’un domicile commun, que la loi du for est reconnue compétente. C’est à travers une échelle de graduation décroissante de la proximité que le choix est opéré. Le législateur choisit en première ligne le rattachement qui lui semble le plus proche de la situation, et au fur et à mesure des circonstances de l’espèce, des critères d’une moindre proximité sont appelés à régir la situation afin de faire face à la défaillance du critère principal.

Première partie : La proximité inspirant la règle de conflit de lois

152

Documents relatifs