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L‟action collective : des motivations économiques avant tout

5. Comprendre l’émergence et la viabilité des collectifs de producteurs en circuits de proximité

5.1. Contextes d‟émergence et raisons d‟être

5.1.1. L‟action collective : des motivations économiques avant tout

Si l‟action collective peut faciliter grandement la résolution du problème ciblé par les producteurs, elle n‟est pas toujours nécessaire. Par exemple, dans le cadre d‟un manque de services de proximité en transformation (regroupement 2), un producteur concerné aurait pu choisir de bâtir son atelier

individuel à sa ferme plutôt que de se tourner vers un atelier collectif. Chacun a ses avantages et ses inconvénients112. Quelles motivations l‟ont donc amené à se tourner vers l‟action collective?

Les raisons sont diverses et complexes. Le contexte dans lequel chacun des collectifs s‟inscrit et les problèmes rencontrés par chacun viennent modeler les motivations des producteurs à créer ou à se joindre au projet. Tout de même, les cinq cas étudiés permettent de dégager certains grands constats. De fait, il semble que l‟adhésion des producteurs à un regroupement repose avant tout sur des préoccupations économiques, soit la réduction de l‟investissement individuel, la réduction du temps de travail, la gestion partagée de l‟outil ou la diminution de barrières à l‟entrée pour certains marchés. Cette observation rejoint d‟ailleurs les études réalisées en France sur les ATC (Couzy & Morizot-Braud, 2014 [à paraître]; Dumas, 2013; Mondy & Terrieux, 2010; Poisson et al., 2010; Wagner, 2012).

Réduction de l’investissement individuel

La réduction de l‟investissement initial individuel et le partage des coûts liés au projet ont été nommés par tous les collectifs comme motivation à se regrouper. Elle est d‟autant plus présente chez les regroupements dont l‟investissement initial est élevé en raison, notamment, d‟infrastructures et d‟équipements coûteux à acquérir113. Cette mise en commun des ressources financières des membres facilite l‟accès à du matériel auquel ils n‟étaient pas nécessairement prêts à consentir à titre individuel. C‟est le cas, par exemple, de matériel promotionnel (code-barres, emballage, image de marque, etc.), d‟équipement de production, de machineries et d‟infrastructures pour la transformation.

Il est intéressant de noter que la mise en commun d‟infrastructures et d‟équipements est présente seulement dans trois regroupements, soit ceux qui effectuent eux-mêmes leur transformation (regroupement 2 et 5) et le regroupement 1 où la nouveauté de la production demandait aux producteurs de s‟équiper de nouvelles machineries. Dans ces trois cas, la proximité géographique

112 Couzy et Morizot-Braud (2014 [à paraître]) ont réalisé une synthèse comparative des trois options qui se présentent

aux producteurs ayant des besoins de transformation soit la prestation de service, l‟atelier individuel et l‟atelier collectif. Elles identifient les motivations des producteurs à adhérer à chacune de ces modes de transformations ainsi que leurs forces, leurs inconvénients et leurs conditions de succès.

113 C‟est le cas des regroupements 1, 2 et 5 dont l‟investissement initial est estimé respectivement à 80 000 $, 500 000 $

et 100 000 $. Dans le cas du regroupement 2, il semble même que la mise en commun des ressources financières était essentielle à la réalisation du projet : individuellement, les producteurs n‟avaient pas le capital nécessaire pour se doter de telles infrastructures.

135 des producteurs114 permet une telle mutualisation, ce qui n‟est pas le cas des autres regroupements (3 et 4) où les membres sont répartis sur un vaste territoire115. Dans ces deux cas, pour la distribution, ils ont plutôt misé soit sur la prestation de service (regroupement 3) ou sur la prise en charge individuelle des membres116 (regroupement 4). Ces regroupements touchent donc exclusivement à une mutualisation des informations puisque les producteurs ont mis « en place une organisation (…) permettant de centraliser les besoins des différents clients, de répartir ces besoins de réapprovisionnement entre les fournisseurs et de transmettre à chacun les commandes correspondantes. (…) Elle gère aussi la facturation. » (Romeyer, 2012, p. 145).

Réduction du temps de travail et gestion partagée de l’outil

Mis à part les coûts financiers, la réduction du temps de travail et le partage des tâches de gestion sont également des motivations mentionnées dans tous les regroupements. L‟action collective permet de centraliser la gestion et la coordination de l‟outil et d‟alléger la charge de travail de chacun des membres. Avant de démarrer les différents projets, les producteurs étaient conscients que chacun des membres était déjà bien occupé avec son exploitation et n‟avait que peu de temps à investir dans un nouveau projet. Il y avait donc, à travers l‟action collective, le souhait de réduire la tâche de chacun tout en s‟assurant que le temps nécessaire serait investi pour faire fonctionner le collectif. Toutefois, il est rare que la répartition des tâches soit égale au sein des regroupements et que tous les producteurs s‟y impliquent activement (Boullier & Ollivier, 2014 [à paraître]; Maréchal, 2013; Wagner, 2012). Les cas étudiés ici ne font pas exception : souvent, c‟est un producteur ou un noyau de producteurs qui est responsable de la gestion du regroupement pour l‟ensemble des membres. Ce noyau profite donc, dans une moindre mesure, des impacts d‟une mise en commun des ressources humaines.

Pour tous les collectifs, sauf un, la réduction du temps de travail passe également par la délégation d‟une partie des tâches, soit de gestion117 ou de transformation, à des salariés. Toutefois, plusieurs

114 Les membres des regroupements se situent dans un rayon de 20 à 25 km. 115 Dans un rayon de 70 à 100 km.

116 Toutefois, les membres considèrent coûteuse, en temps et en argent, cette façon de fonctionner puisqu‟ils se

retrouvent à devoir livrer fréquemment de petits volumes ce qui constitue, souvent, des activités non rentables. Le regroupement considère actuellement une façon de mutualiser des équipements et infrastructures afin de centraliser la distribution.

117 Dans un seul cas (regroupement 4), les producteurs sont peu impliqués dans la gestion du collectif qui est prise en

charge par le chargé de projet. Dans tous les autres cas, les producteurs restent entièrement responsables de la gestion ou en délèguent une partie à un directeur général.

de ces regroupements se retrouvent, aujourd‟hui, face à un choix difficile. D‟un côté, ils réalisent qu‟étant dans une situation financière précaire, ils n‟ont pas nécessairement les moyens de rémunérer cette main-d‟œuvre dont la masse salariale contribue à d‟importants frais de fonctionnement. D‟un autre côté, les producteurs ne sont pas nécessairement prêts à investir plus de temps dans leur regroupement.

Bref, bien que le partage des tâches et la réduction du temps de travail étaient une raison derrière la création des regroupements, la réalité est beaucoup plus complexe. Malgré tout, les producteurs interviewés s‟entendent généralement pour dire qu‟une telle entreprise serait impensable seul. Même si la répartition des tâches est inégale, ils croient essentiel qu‟un noyau de producteurs se partage le travail ou du moins offre un support minimum à la personne responsable.

Diminution de barrières à l’entrée de la grande distribution alimentaire

Parmi les regroupements étudiés, quatre ont pour objectifs de percer le marché de la grande distribution alimentaire (regroupements 1, 3, 4 et 5). Toutefois, sur ce nombre, seulement deux (regroupement 3 et 4) ont identifié les barrières à l‟entrée dans ces marchés comme une des motivations principales derrière le regroupement. Ce dernier était, pour eux, un moyen de consolider les volumes et la logistique nécessaire pour atteindre ce marché. En effet, la capacité d‟offrir un approvisionnement suffisant, stable et annuel était une barrière importante pour les membres de ces collectifs. Également, la logistique à déployer afin de trouver des partenaires d‟affaires et d‟assurer la facturation et les livraisons était trop importante pour les producteurs qui, en saison haute, peinent souvent à suffire sur leur exploitation. Plusieurs voyaient donc difficilement comment ils arriveraient, seuls, à atteindre ces marchés.

En ce qui concerne les deux autres collectifs, leurs contextes spécifiques font en sorte qu‟à l‟origine, cette préoccupation n‟était pas aussi importante. Dans le cas du chanvre, l‟idée première des producteurs n‟était pas d‟emprunter les circuits de proximité, mais plutôt de vendre leur production à de grands transformateurs. Toutefois, ils se sont vus contraints d‟intégrer la fonction de transformation et de distribution pour des raisons de rentabilité. Dans le cas du yogourt, le plan conjoint du secteur laitier fait en sorte qu‟il n‟est pas nécessaire de se regrouper pour consolider les volumes de lait. C‟était plutôt au niveau des infrastructures et des ressources financières et humaines que le besoin était. Donc, bien que ces deux regroupements visent le marché du détail alimentaire, leurs situations font en sorte qu‟ils n‟entrevoyaient pas de barrières à l‟entrée.

137 Par ailleurs, les entrevues ont également fait ressortir qu‟une mise en marché collective amène ses propres défis : coordination de la production, homogénéisation du produit, suivi de la qualité, etc. C‟est notamment devant ces difficultés que le regroupement 2 a repoussé le moment d‟intégrer la mise en marché à ses services.

Les collectifs : un lieu de sociabilité

Si les préoccupations économiques sont marquées dans la décision des producteurs de joindre un collectif, il reste que, dans certains regroupements, les motivations sociales les côtoient de près. Le partage de savoir-faire, de connaissances et d‟expériences a été nommé comme une motivation importante à l‟action collective, et ce, spécifiquement dans les collectifs où la production était nouvelle (regroupement 1, 3 et 4). Pour eux, le regroupement est non seulement un lieu d‟échange, mais également de production de connaissances et d‟innovation. Ils mettent en commun leurs succès et leurs échecs afin de permettre l‟amélioration de chacun et ultimement du groupe.

Dans deux de ces regroupements (regroupement 3 et 4), il a également été souligné que le collectif constitue un réseau de soutien pour ses membres. Il leur permet d‟échanger sur ce qu‟ils vivent sur leur ferme, de briser l‟isolement et de renforcer les liens avec les autres agriculteurs de leur région. Pour Gafsi et al. (2013), ce type de motivation s‟inscrit dans « la recherche d‟un esprit collectif et d‟une insertion sociale et professionnelle » (p. 8), notamment pour des producteurs s‟installant hors cadre familial. Dans le cadre de cette recherche, il est difficile d‟expliquer pourquoi cette motivation est ressortie dans deux regroupements et non dans les autres. La situation géographique des groupes peut y jouer un rôle, car ils sont tous deux situés dans des régions éloignées du Québec où l‟identité régionale est forte et la densité de population faible.

Les coûts de transaction et l’action collective

Parmi les facteurs identifiés dans le cadre d‟analyse, la mutualisation des ressources ainsi que l‟élimination de barrières à l‟entrée sont ceux qui ressortent le plus fortement dans le discours des participants. La réduction des coûts de transaction ne peut donc être observée qu‟indirectement. Théoriquement, dans les cas étudiés, elle devrait apparaître plus fortement dans ceux qui intègrent la mise en marché des produits où une mutualisation des informations118 est présente. Cette

mutualisation amène la centralisation des coûts de transaction ex ante et ex post119 et devrait ainsi réduire ceux subis par chacun des membres.

Toutefois, dans le cadre de cette recherche, la méthodologie utilisée ne permet pas de statuer sur ces hypothèses. L‟impact de l‟action collective sur les coûts de transaction reste donc incertain. Il est même possible de questionner s‟il n‟y a pas plutôt eu une augmentation des coûts de transaction supportés par les producteurs. Pour la plupart, le collectif est venu s‟ajouter aux canaux de commercialisation qu‟ils utilisaient (offices de commercialisation, grossistes, distributeurs, transformateurs, encans, kiosques à la ferme, paniers ASC, etc.). Les membres font donc collectivement face à de nouveaux coûts de transaction. Tout de même, il est plausible que l‟augmentation de ces coûts pour chacun soit moindre que s‟ils avaient entrepris, chacun de leur côté, la réalisation du projet.

5.1.2. Le collectif de producteurs : une porte d’entrée vers les circuits de proximité

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