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L’absence de sécurité juridique de la situation actuelle

Dans le document LA DEPENALISATION DE LA VIE DES AFFAIRES (Page 97-100)

Une des critiques les plus fréquemment formulées au sujet des conditions de répression des infractions économiques et fi nancières tient aux règles jurisprudentielles spécifi ques en matière de prescription s’agissant des délits qualifi és d’occultes, qui ont amené certains à parler de l’abus de biens sociaux comme étant une infraction virtuellement imprescriptible.

Avec le souci, certes louable, d’appréhender des faits délictueux qui n’avaient pu être constatés dans le délai de trois ans du fait de la dissimula-tion des éléments matériels constitutifs de l’infracdissimula-tion (essentiellement la dis-simulation des manœuvres comptables), la jurisprudence a ainsi interprété de manière très extensive les articles 7 et suivants du Code de procédure pénale (1), dès les années 1930 pour l’abus de confi ance (2) et en 1967 pour l’abus de biens sociaux (3), admettant que le point de départ de la prescription ne coure qu’à compter de la fi n de la dissimulation, plus précisément à compter de la date à laquelle « ces faits ont pu être constatés dans des conditions permettant l’exer-cice de l’action publique »(4).

Or, si la Cour de cassation ne revient pas sur la théorie de la dissi-mulation, force est de constater que la jurisprudence varie sur le moment où la dissimulation est réputée ne plus exister.

Certes, depuis un arrêt de la chambre criminelle du 5 mai 1997 (5),

« la prescription de l’action publique du chef d’abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises à la charge de la société ».

Mais le point de savoir si le contrôle de la caractérisation de la dis-simulation relève de l’appréciation souveraine des juges du fond fait l’objet de décisions divergentes (6).

Cette dissimulation consistera le plus souvent en une manipulation des éléments comptables évitant que soient décelés lors de l’examen des comp-tes les abus de biens sociaux commis.

Cependant, dans certains cas, la considération de la date de présen-tation des comptes sociaux est écartée pour déterminer le point de départ de la

(1) Article 7 du Code de procédure pénale : « En matière de crime et sous réserve des dispositions de l’article 213-5 du Code pénal, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet inter-valle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite.

S’il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu’après dix années révo-lues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l’égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d’instruction ou de poursuite.

Le délai de prescription de l’action publique des crimes mentionnés à l’article 706-47 du présent code et le crime prévu par l’article 222-10 du Code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, est de vingt ans et ne commence à courir qu’à partir de la majorité de ces derniers. »

Article 8 du Code de procédure pénale : « En matière de délit, la prescription de l’action publique est de trois années révolues ; elle s’accomplit selon les distinctions spécifi ées à l’article précédent.

Le délai de prescription de l’action publique des délits mentionnés à l’article 706-47 et commis contre des mineurs est de dix ans ; celui des délits prévus par les articles 222-12, 222-30 et 227-26 du Code pénal est de vingt ans ; ces délais ne commencent à courir qu’à partir de la majorité de la victime. »

(2) Cass. Crim., 13 janvier 1934, Gazette du Palais, 1934, 1, p. 447.

(3) Cass. Crim., 7 décembre 1967, Bull., no 321.

(4) Cass. Crim., 27 juillet 1993, no 92-85 146.

(5) Cass. Crim., 5 mai 1997, Bull., no 159.

(6) Dans le sens d’un contrôle par la Cour de cassation, v. Cass. Crim., 14 et 28 juin 2006, contra. Cass. Crim., 25 octobre 2006.

prescription, notamment lorsque dans de petites sociétés, les associés n’atten-dent pas l’assemblée générale ordinaire pour s’informer des affaires sociales.

Des conséquences variées ont été tirées de ce constat par la Cour de cassation.

Dans un premier arrêt (1), elle a considéré que la présentation des comptes sociaux n’avait pas fait courir la prescription, et ce malgré l’absence de dissimulation. Il s’agissait d’une société familiale qui versait un salaire fi ctif à l’un des salariés, salaire fi gurant dans les comptes, et dont tous les associés avaient connaissance. Les juges du fond ont considéré que la présentation des comptes n’avait pas fait courir la prescription au motif « qu’aucun des action-naires connaissant l’usage abusif des biens sociaux n’avait intérêt à en faire la révélation à l’autorité judiciaire ou policière ». Cette interprétation s’inscrit dans la jurisprudence retenant que l’abus de biens sociaux préjudicie à la per-sonne morale et non aux actionnaires ou associés.

Dans un second arrêt, un associé avait confi é des chèques destinés à abonder le patrimoine social au gérant de la société, que ce dernier détour-nait sans faire mention de ces fonds dans les comptes sociaux. La Chambre criminelle considérait ici que le défaut de traduction en comptabilité révélait la possibilité du détournement et mettait ainsi la partie civile en mesure d’exercer l’action publique.

Enfi n, cette jurisprudence relative à l’arrêté des comptes sociaux se cumule à celle repoussant le point de départ de la prescription des infractions continues ou à exécution successive à la fi n de l’exécution des actes répréhen-sibles. Tel est le cas par exemple des emplois fi ctifs, qui commencent à se pres-crire à la date de perception du dernier salaire indûment versé (2).

Comme on le voit, cette incertitude jurisprudentielle est source d’in-sécurité, toutes les personnalités auditionnées ainsi que la majorité des membres du groupe de travail appelant à une nécessaire clarifi cation.

L’intérêt d’une telle élasticité de ce délai est en outre relatif au regard de l’effi cacité de la répression. En effet, la découverte, dix ans après les faits, d’une infraction économique et fi nancière, pose de nombreuses diffi cul-tés, comme le soulignent les enquêteurs, en terme d’établissement de la preuve (disparition des pièces comptables, dont le délai légal de conservation est de dix ans) mais également en terme de sens de la répression, pour des procédures qui, après instruction, première instance puis appel, seront rendues, compte tenu notamment de la faiblesse des moyens alloués à la répression de la délinquance économique et fi nancière, quinze ou vingt ans après les faits, la peine prononcée perdant une grande partie de son sens. Comme l’ont rappelé certains interve-nants, il n’est ni pertinent, ni utile de juger après un tel délai.

Il convient donc de s’interroger plus avant sur la notion même de prescription et d’imaginer quelles pourraient être les réponses adaptées à cette situation insatisfaisante.

(1) Cass. Crim., 8 mars 2006.

(2) Cass. Crim., 28 mai 2003, 8 octobre 2003, 16 juin 2004.

Vers un nouveau droit commun

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