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HORACIO CASTELLANOS MOYA : L’HOMME ET L’ÉCRIVAIN

Chapitre 2- L’œuvre moyane

Avant de cerner le contexte littéraire de la production romanesque de Castellanos Moya, nous nous proposons dans un premier temps de mieux appréhender ce qu’est la littérature centraméricaine, car il faut dire que le corpus littéraire désigné comme « centraméricain » est par définition composite.

I - Contexte littéraire

A - La littérature centraméricaine contemporaine

Évoquant la littérature centraméricaine dans leur histoire littéraire publiée dans les années 90, Claude Cymerman et Claude Fell écrivaient que seul le Guatemala et, à un degré moindre, le Nicaragua, ont acquis une visibilité internationale183. Le Guatemala est ainsi qualifié de « puissance » littéraire de la région, grâce à deux écrivains : Miguel Angel Asturias (1899-1974), prix Nobel de littérature en 1967, et Luis Cardoza y Aragón (1904-1993). Cependant, malgré le succès de ces deux grandes figures et l’aura dont jouit l’épopée des peuples mayas, le Popol Vuh, la littérature centraméricaine dans son ensemble est demeurée mal connue et peu diffusée jusqu’à une époque récente.

Comme nous l'avons brièvement indiqué dans l'introduction, Ramón Luis Acevedo184 attribue cette méconnaissance à divers facteurs. Il souligne dans un premier temps, la condition de l’écrivain en Amérique Centrale. Selon lui, l’écrivain centraméricain était soumis à divers phénomènes qui entravaient sa création littéraire. Le confinement dans la région et même au niveau national empêchait une large diffusion des œuvres. L’absence de maisons d’édition, la situation socio-politique instable, la place qu’occupaient les auteurs du célèbre Boom et leur fameux réalisme magique latino-américain au détriment de toute autre forme sont décrits comme autant de facteurs qui ont longtemps empêché ou gêné la diffusion de cette littérature sur le plan international, et pour certains pays de l’Isthme sur le plan régional.

Les facteurs d’ordre économique ont également affecté la production littéraire. En effet, la condition de sous-développement économique dans laquelle se trouvent la plupart des pays centraméricains affecte non seulement la création artistique, mais aussi sa diffusion. Comme le soulignait Alberto Baeza Flores :

El libro en Centroamérica resulta muy caro. Las razones principales son los precios altos y medios lentos y difíciles para su circulación, el alto costo de su impresión unido al del papel…pues a libro más caro, menos lectores.185

Dans son ouvrage, R. Acevedo évoque aussi le taux élevé d’analphabétisme qui subsistait en Amérique Centrale. Au Guatemala, il atteignait 70% ; le Salvador, le Honduras et le Nicaragua oscillait entre 51% et 61%186. L’écrivain guatémaltèque Marco Antonio Flores, dont on a vu qu’il fut l’un des auteurs de prédilection de Castellanos Moya, précisait que l’analphabétisme est le propre des pays centraméricains. Selon lui :

El analfabetismo es un mal endémico que padecen nuestros países…Ahora bien, el analfabetismo, siendo como es la principal lacra que corroe nuestro desarrollo cultural, no es el único obstáculo que impide la penetración del libro […] La dependencia que existe de nuestra educación ante la penetrante influencia norteamericana determina que los únicos productos culturales consumibles a nivel de masas sean Selecciones, Life en español, Play Boy y todas las publicaciones que deforman al individuo y lo hacen caer en la enajenación del consumo.187

Cet aspect des choses est abordé dans les romans du corpus et même dans l’ensemble de l’œuvre de Castellanos Moya et, de manière explicite, dans El asco où l’auteur met en relief le manque d’instruction dont souffrent ses compatriotes et leur désintérêt pour la littérature en particulier :

[…] me da risa que vos estés aquí , Moya, no entiendo cómo se te ha podido ocurrir venir a este país, regresar a este país, quedarte en este país, es un verdadero absurdo si a vos lo que te interesa es escribir literatura, eso demuestra que en realidad a vos no te interesa literatura, nadie a quien le interesa literatura puede optar por un país tan degenerado como éste, un país donde nadie lee literatura, un país donde los pocos que pueden leer jamás leerían un libro de literatura, hasta los jesuitas cerraron la carrera de literatura en su universidad, eso te da una idea, Moya, aquí a nadie le interesa la literatura por eso los jesuitas cerraron esa carrera, porque no hay estudiantes de literatura […]188

185 Alberto BAEZA FLORES, « Radiografía del escritor centroamericano. », in Mundo Nuevo, sept.-oct. 1970, Núms. 51-52, Págs. 53-60 cité par Ramón Luis Acevedo in La Novela Centroamericana desde el Popol Vuh

hasta los umbrales de la novela actual, Puerto Rico, Editorial Universitaria, 1982, p. 53-60. 186 Ramón Luis ACEVEDO, op. cit., p. 10.

187 Marco Antonio FLORES cité par Ramón Luis Acevedo, op. cit, p.11.

Selon C. Fell et C. Cymerman, l’exil et l’auto-exil expliquent aussi, dans une certaine mesure, cette méconnaissance. Nous disons dans une certaine mesure car ce facteur pourrait ne pas être considéré totalement négatif pour la littérature centraméricaine puisqu’il peut contribuer à sa diffusion à l’international. Nous le verrons avec le cas de Castellanos Moya. En effet, nombreux furent les auteurs contraints à s’exiler pour des raisons politiques : de Rubén Darío à Miguel Angel Asturias, jusqu’à des écrivains contemporains comme Roberto Armijo, qui vécut en France jusqu’à sa mort en 1977, Augusto Monterroso ou Luis Cardoza y Aragón, qui s’établirent au Mexique. Dans le cas du Salvador, la guerre civile fut une raison pour laquelle les écrivains se sont exilés, à l’instar de Castellanos Moya que les journalistes ou la critique nomment parfois « écrivain de l’exil »189 ou encore « écrivain nomade »190.

Actuellement, la littérature centraméricaine connaît une évolution considérable. Les guerres civiles qui ont secoué la région dans les années 1980 ainsi que le processus de démocratisation des années 1990 ont fourni à une «génération» d’écrivains une variété thématique sans précédent. Selon Melissa Merlo, cette littérature se trouve dans un moment favorable « para salir de la limitación provinciana y extenderse por todo el mundo de habla española, hasta llegar a lectores en otras lenguas »191. Arturo Arias parle pour sa part de « mini-boom »192, alors que Werner Mackenbach affirme qu’il s’agit d’un véritable « boom » de la fiction centraméricaine qu’il justifie par le nombre de publications et de diversité de la production littéraire193. Le critique allemand souligne que des facteurs extralittéraires comme la subvention du système éducatif au Costa Rica, les efforts d’alphabétisation au Nicaragua, le nombre sans cesse en augmentation d’étudiants dans les Universités à l’exception du Bélize, ont contribué à cet essor. Par ailleurs, il mentionne la fin des dictatures, donc la fin de la censure ; l’existence de maisons d’édition194, en grande partie financées par l’État, la

189 Dans sa critique de Donde no estén ustedes, intitulée « L’ambassadeur et le détective », 01/10/2008, Delphine Peras qualifie Castellanos Moya d’« écrivain de l’exil », http://www.lexpress.fr, consulté le 25/12/2011. Quant à Victor de Sepausy, il intitule sa critique « Horacio Castellanos Moya, l’écrivain de l’exil », 16/09/2008, sur

https://www.actualitte.com,consulté le 25/12/2011.

190 Joaquín Marco dans sa critique de Insensatez, pense que Horacio Castellanos Moya est « nómada como sus personages ». Cf. www.elcultural.es/articulo_imp.aspx?id=12649, consulté le 26/01/2012.

191 Melissa MERLO, « Literatura centroamericana », Discurso de Nicasio Urbina/Congreso de literatura Centroamericana/ 2001, sur melissamerlo.blogspot.fr, le 12/02/2011, consulté le 8/08/2012. Melissa Merlo est professeure à l’Université Francisco Morazán au Honduras.

192 Arturo ARIAS, « Narratividades centroamericanas y decolonialidad: ¿Cuáles son las novedades en la literatura de posguerra? », sur http://istmo.denison.edu/n24/articulos/24_arias_arturo_form.pdf, consulté le 30/11/2013.

193 Werner MACKENBACH, art. cit.

194 María del Pilar López Martínez précise dans « Reiventando Centroamérica. La construcción del imaginario social a partir de la novela de ficción », que c’est au Costa Rica où l’on trouve le plus de maisons d’édition. Au

formation de professeurs de littérature pour la plupart dans les Universités étrangères, particulièrement au Mexique, en France et en Espagne.

Pour Dante Barrientos Tecún, l’instabilité politique (échec du Marché Commun Centraméricain, militarisme, polarisation de la classe politique) et le début de la lutte armée révolutionnaire ont eu un impact décisif dans le domaine littéraire195. Il pense que la décennie 1970-1980, a vu naître de nouvelles esthétiques. Au Guatemala, écrit-il, ces nouvelles esthétiques se manifestent dans des récits qui utilisent le parler des jeunes des classes moyennes urbaines, qui ont recours à une dimension ludique, picaresque et à la transgression des canons esthétiques. Parmi ces écrivains «raconteurs», il cite Arturo Arias avec En la ciudad y en las montañas (1975), Dante Liano, avec Jornadas y otros cuentos (1978), Marco Augusto Quiroa avec Semana menor (1984) et Franz Galich avec Ficcionario inédito (1989).

Il précise que ces nouveaux langages se manifestent également au Salvador, grâce à un groupe d’écrivains dont les œuvres récupèrent cette nouvelle esthétique dans le contexte de la guerre civile. Il inclut dans ce groupe : Ricardo Lindo XXX Cuentos (1970), Alfonso Quijada avec Cuentos (1971), David Escobar Galindo avec La rebelión de las imágenes (1976), Melintón Barba Tiro a jon (1984), Puta vieja (1987)196.

Mauricio Aguilar Ciciliano précise qu’au Salvador, dans le contexte de la guerre, le témoignage, genre dominant de la résistance dans lequel s’incarnaient les idées révolutionnaires, décrut avec le départ de plusieurs écrivains. Selon lui, pendant le conflit, il y eut très peu de publications dans le pays, sauf le cas des romans avalisés par des cercles officiels de l’État et ceux qui ont été publiés à l’étranger et qui ont circulé clandestinement197. Il précise également que du front de guerre à proprement parler, « no se escribe novela únicamente poesía, testimonio y cuento »198. Donc, pendant la guerre, deux tendances ont dominé : il y avait d’un côté une littérature engagée qui engendrait une œuvre considérée

F&G comblent ce manque. Au Salvador, c’est l’Université du Salvador et l’Universidad Centroamericana

(UCA) et des petites maison d’éditions qui ont vu le jour, qui accroissent la distribution et participent à la distribution de la littérature dans la région.

195 Dante BARRIENTOS TECÚN, « Algunas propuestas de la narrativa centroamericana contemporánea : Franz Galich (Guatemala, 1951- Nicaragua, 2007) » sur http://istmo.denison.edu/n15/articulos/barrientos.html, consulté le 13 avril 2013. L’article est aussi consultable dans La literatura en marcha, Escritural, Poitiers, 2011, pp. 39-54.

196 Ibid.

197 Mauricio Aguilar Ciciliano, op. cit, p. 31 fait entrer dans cette catégorie des œuvres de Claribel Alegría :

Álbum familiar (1982), No me agarran viva. La mujer salvadoreña en la lucha (1983) ; Dolor de Patria (1983)

de José Rutilio Quezada ; Historia del Traidor de nunca jamás (1985) de Rafael Menjívar Ochoa ; La Diáspora (1989) de Castellanos Moya ; El Crimen del Parque Bolívar (1989) et Rebelión de Anastasio Aquino (1989) de Rodrigo Ezequiel Montejo ; la trilogie de José Roberto Cea : Dime con quién andas y … (1989), En este paisíto

nos tocó y le corro (1989) et Ninel se fue a la guerra (1990). 198 Mauricio AGUILAR CICILIANO, op. cit., p. 31.

comme subversive par les autorités, et de l’autre une littérature liée aux cercles officiels. Cependant, à partir de 1986, a émergé une littérature dite de « dissidence ». Celle-ci, nous dit Aguilar Ciciliano, « rechaza la censura de izquierda y se convierte en una forma de denuncia de los excesos y errores dentro de las organizaciones revolucionarias. Esta tendencia se rebela contra la Literatura partisana y anticipa así del carácter desenfadado de la novela de posguerra »199. C’est avec Castellanos Moya qu’est née cette fiction dissidente qui se proposait de déconstruire le mythe du guérillero comme idéal d’un homme nouveau. En effet, dans ses romans ¿De qué signo es usted Doña Berta? (1981) et La Diáspora (1989), il dénonçait les pratiques autoritaires, voire criminelles au sein des structures de la gauche. Le roman de Rafael Menjívar, Historia del traidor de nunca jamás (1985), au titre éloquent s’inscrit dans cette lignée.

Par ailleurs, José Ángel Vargas Vargas200 distingue deux grands traits du roman centraméricain contemporain. Il y a d’un côté ce qu’il nomme « le dépassement du régionalisme » et de l’autre la « consciencia escritural ». Ramón Luis Acevedo, cité par Vargas Vargas, avait par ailleurs établi que c’était avec le Guatémaltèque Rafael Arévalo Martínez qu’avait débuté ce dépassement des limites régionales, mais que ce fut avec Miguel Ángel Asturias qu’il se concrétisa grâce à son œuvre qui réussissait une synthèse entre une problématique nationale et le caractère universel.

B - Émergence d’une littérature de Posguerra

En Amérique centrale, les guerres civiles et leurs séquelles ont eu un véritable impact sur le plan littéraire. Beatriz Cortez201 constate l’émergence de nouvelles esthétiques comme par exemple ce qu’elle nomme « estética del cinismo ». Elle pense que la fiction de l’après- guerre « carece del espíritu idealista que caracterizó a la literatura centroamericana durante la guerra civil. La posguerra, en cambio, trae consigo un espíritu de cinismo. En consecuencia, esta ficción retrata a las sociedades centroamericanas en estado de caos,

199 Ibid., p. 32.

200 José Ángel VARGAS VARGAS, « Superación del regionalismo y consciencia escritural en la novela centroamericana contemporánea », Intersedes, vol. IV, num. 6, 2003, pp. 109-124, Université du Costa Rica, Costa Rica, sur http://www.redalyc.org/articulo.oa?id=66640607.

201 Beatriz CORTEZ, Estética del cinismo. Pasión y desencanta en la literatura centroamericana de posguerra, F&G Editores, julio 2010, cité par Héctor M. LEYVA, « Crítica literaria y exploración de las sensibilidades.

corrupción y violencia »202. Elle précise que cette fiction explore les désirs les plus obscurs des individus, leurs passions, leur désenchantement causé par la « pérdida de los proyectos utópicos que antes dieron sentido a su vida »203. Les personnages de Castellanos Moya sont représentatifs de ce sentiment de désenchantement. Edgardo Vega, le narrateur de El Asco, (2007) ou encore Robocop, narrateur de El arma en el hombre, véritables victimes, sont déçus par la période de l’après-guerre. Ce sont des personnages qui errent à travers les rues de San Salvador à la recherche d’une nouvelle identité. Edgardo Vega parcourt les rues, la peur au ventre, et surtout avec l’inquiétude de devoir demeurer dans son pays. En effet, pour lui, perdre son passeport canadien signifierait être condamné à partager plus longtemps l’espace avec ses compatriotes. Il confie à Moya son interlocuteur

Y entonces sucedió el acabóse, lo inverosímil, el hecho que me hizo entrar en una espiral delirante, en la angustia más extrema que podás imaginar : mi pasaporte, Moya, había extraviado mi pasaporte canadiense, no estaba en ninguna de mis bolsas, lo peor que podía sucederme en la vida […] El terror se apoderó de mi, Moya, el terror puro y estremecedor : me vi atrapado en esta ciudad para siempre, sin poder regresar a Montreal ; me vi de nuevo convertido en un salvadoreño que no tiene otra opción que vegetar en esta inmundicia204.

Quant à Robocop, démobilisé, il n’a pas été réinséré dans la société civile et opte pour un parcours meurtrier dans les rues de San Salvador. Véritable victime de la guerre, personnage à qui cette période sanglante a causé des dommages irréversibles, machine à tuer, il se sent « orphelin » après la signature des Accords de Paix. Il affirme « supe que mi vida estaba a punto de cambiar, como si de pronto fuese a quedar huérfano : las Fuerzas Armadas habían sido mi padre y el batallón Acahuapa mi madre »205. Pour sa part, Laura, la narratrice de La diabla en el espejo est terrorisée par l’assassinat de son amie Olga María, victime de Robocop. C’est avec beaucoup d’angoisse, qu’elle tente de trouver l’assassin de son amie, ce qui la met dans un état de démence totale. Ces mêmes sentiments de peur et d’angoisse mettent le journaliste de Insensatez dans un état de crise au point de ne plus être completo de la mente206. Ces personnages sont des exemples types d’une société de l’après-guerre caractérisée par la peur et la violence et les marques multiples de traumatismes.

La posguerra a donc généré un essor du roman au Salvador, destiné à exprimer la situation sociale et historique dans un espace littéraire qui, peu à peu, s’est différencié du

202 Beatriz CORTEZ, cité par Hugo Sánchez, « Generación del cinismo y desesperanza », sur

archivocp.contrapunto.com.sv.

203 Ibid.

204 El Asco, p. 121.

205 El Arma en el hombre, p.12.

genre testimonial et idéologique qui existait pendant le conflit. La guerre comme « intertexte» devient la toile de fond sur laquelle les auteurs tels que Castellanso Moya ont construit leurs œuvres, soit sous forme de souvenirs, comme le cas de El arma en el hombre (2001), soit sous forme d’expérimentation comme dans La sirvienta y el luchador (2011).

Selon Beatriz Cortez, le roman salvadorien de l’après-guerre qui s’est développé sous l’influence des tendances postmodernes, présente quatre traits esthétiques principaux. La rénovation de la thématique historique est l’un de ceux-ci. Il se caractérise non seulement parce qu’il se propose de réécrire l’histoire en comblant les trous et les oublis de l’historiographie, mais aussi parce qu’à la différence du roman historique traditionnel, il questionne la canonisation de certains faits et de certains personnages. Les faits passés sont des motifs de fiction et servent de toile de fond à ce nouveau roman historique. Par ailleurs V. Grinberg-Pla signale comme caractéristiques fondamentales de ce nouveau roman historique, la distorsion consciente de l’histoire qui dépasse le référentiel ; l’intertextualité et la polyphonie qui réinvente le passé en une grande métaphore207. L’étude de Grinberg-Pla ne concerne pas spécialement les romans de notre corpus, mais aussi des romans comme Ciudad sin Memoria (1996) de Tirso Canales.

Le deuxième trait esthétique dans la littérature de l’après-guerre civile, selon Beatriz Cortez, est la présence en son sein de nouveaux espaces. L’après-guerre qui était une étape de transition vers la paix et la démocratie, est aussi devenu une période où la violence a proliféré et où la misère en milieu urbain s’est diversifiée. Ainsi, comme le souligne Aguilar Ciciliano :

[…] los gritos de los muertos y desaparecidos con todo signo de impunidad, los ajusticiamientos igualmente impunes, el drama del campesino y la campesina reducidos al silencio o asardinándose masivamente en el espacio urbano-marginal, la crisis de reinserción de los excombatientes y otros temas del olvido político, constituyen el material primordial de la posguerra208.

Ces thématiques délimitent les lignes de création de plusieurs romanciers salvadoriens dont les œuvres comportent une correspondance entre l’imaginaire social de la violence et la thématique du désenchantement présent dans l’espace narratif et l’ambiance dans laquelle se déplacent les personnages dans le roman d’après-guerre. Les romans de Castellanos Moya, Sonata de la violencia (2002) de Chávez Velasco, El desencanto (2001) de Jacinta Escudos et De vez en cuanto la muerte (2002) de Menjívar Ochoa, mettent en relief la violence et le

207 Valeria GRINBERG PLA, « La novela histórica de finales del siglo XX y las nuevas corrientes historiográficos. » V Congreso Centroamericano de historia, Honduras, 2004. Cité par Aguilar Ciciliano, op. cit.,

désenchantement qui se développent dans un espace urbain où la crise de la modernité est perceptible. Dans El asco. Thomas Bernhard en San Salvador (1997), Castellanos Moya donne ainsi une vision négative de l’espace urbain, qui est à la fois peuplé mais dans lequel l’individu se sent plus seul que jamais. Dans cet espace, la seule solution reste la fuite ou l’incorporation à la mafia. Les personnages sont typiques de la déstructuration liée à l’après-guerre : démobilisés, prostituées, exilés. El arma en el hombre (2001) est ainsi une traversée sanglante qui englobe toute la carte de la ville, de l’espace public à l’espace privé, comme nous le verrons.

De la variété thématique du roman de cette période, ressort aussi, selon B. Cortez, un caractère biographique et autobiographique que l’on retrouve à l’œuvre dans certains romans de Castellanos Moya. Le lecteur peut identifier des éléments de la vie de l’auteur : c’est le cas de Desmoronamiento où l’auteur fictionnalise les tensions entre ses famille hondurienne et salvadorienne ; Tirana memoria incorpore quelques éléments de l’histoire familiale comme

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