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4.2 Le Lion, la veuve et Truman

4.2.1 Les dessous de l’œuvre

Mes œuvres peintes sont, de prime abord, une reproduction grand format, en peinture et techniques mixtes, de mes dessins effectués dans mon carnet de croquis. Elles représentent une adaptation de l’image originale, servant à une présentation augmentée, par la couleur et la présence dans l’espace, et jouant le rôle d’écran où sera projeté l’ultime collage : l’image-mouvement incarnant le temps.

Figure 12

Lisette Model, International Refugee

Organisation Auction, 1948

Le dispositif cinématographique sert, ici, à brouiller les cartes. Tantôt statue ou portrait, tantôt représentation picturale, les visages du lion et de la dame se modifient sous la lente superposition de leur référence visuelle. Dans le cas de la veuve, cette référence est une reproduction photographique rencontrée à tout hasard dans une revue contemporaine. L’esquisse que j’en ai faite porte un hommage certain à International Refugee Organisation Auction de Lisette Model. Elle est une représentation simplifiée, où seuls sont tracés sur fond beige les traits du visage, ce qui crée un jeu de pleins et de vides exploitables. L’espace libre est alors réservé à la superposition du référent photographique.

Ces apparitions / disparitions présentent l’image de deux manières. Au même titre que les images de Godard, elle se donne d’abord par présentation – la toile et la projection qui la complète sont là devant moi – ensuite par présentification – elle se présente par le souvenir. Par exemple, la statue de lion a d’ores et déjà été vue à l’entrée d’un parc, d’un salon funéraire, ou, encore, à Paris. Le portrait du félin évoque alors au spectateur plus que l’image qui lui est présenté. Sans compté qu’il y a

une ambiguïté de perception causée par la présence de couches lumineuses et matérielles, difficilement identifiables à première vue. Dans ces conditions, faire la part entre l’écran et la projection oblige un temps d’observation prolongé. L’idée est donc d’amener le spectateur à mettre en doute l’image qui lui est présentée, afin qu’il perçoive la manipulation qui est à l’œuvre.

La superposition sonore du président Truman au tableau orchestre cette ultime manipulation. Le regardeur aura d’abord déchiffré le collage avant l’écoute du discours de Truman. Ensuite, en regard à la trame sonore, il sera incité à remettre en cause l’interprétation déjà formulée. Car le discours projette un puissant propos politique sur l’image présentée. Le lion et la veuve deviennent alors les acteurs passifs et innocents d’un combat idéologique entre la démocratie et le totalitarisme, l’économie de marché ou d’État, la liberté de parole ou sa violation. Qui subit, qui s’affranchit, qui est aveugle, qui voit clair dans cette scène toujours plus divisée en deux parties ?

Conclusion

Figure 13

Samuel Breton, Doublure “Général”, 2012

Ce troisième et dernier tableau peut résumer adéquatement ma démarche artistique et offre une conclusion acceptable à ce mémoire. De plus, à la suite des précédents essais, comportant observations, réflexions et analyses d’œuvres présentant l’univers des possibles qu’offre la pratique collagiste, j’ouvrerai en soulevant les propos de l’auteur Jean-Marc Lachaud concernant la délicate notion du sens de l’art fragmentaire dans un contexte contemporain.

Dans De l’usage du collage en art au XXe siècle, Lachaud s’interroge et doute de la pertinence d’un projet artistique lorsqu’il ressasse les bases esthétiques et conceptuelles d’un art issu de la modernité. Puisque ma production artistique aborde la rencontre entre l’œuvre fixe et l’image mouvement par le biais de fragments collagés, je me vois enclin à justifier cette approche.

D’abord, il est remarquable que l’entièreté de ma production se caractérise par l’accumulation et l’association d’éléments du passé. J’explique cela par l’impulsion créatrice que suscite chez moi l’esthétique singulière ou la valeur historique du visuel issu de l’ère post-Deuxième Guerre mondiale. En quête de ces déclencheurs, je me passionne pour le flot d’images contenu dans le supplément hebdomadaire

Perspectives du journal Le Soleil des années 50 et 60, de même que dans le

patrimoine cinématographique québécois, français et russe. Je reproduis alors des cadrages, des perspectives et des vues référant à une époque révolue, faisant échos à la réappropriation, par la société d’aujourd’hui, de cette même esthétique moderne. J’impose ainsi le constat d’une réalité contemporaine ensevelie sous des images d’un passé précurseur de la mondialisation par l’intégration incontournable du sigle lecture au tableau Doublure “Général”.

Au demeurant, ma pratique hybride et multidisciplinaire explore l’effet culturel qu’engendre l’interaction entre la peinture, l’animation et la réinterprétation d’œuvres cinématographiques dans un contexte de création actuel.

Cela dit, je remarque la familiarité avec laquelle nous abordons désormais le procédé collagiste. Pourtant, ce dernier ne cesse d’être une réponse artistique sincère et actuelle à la société. En effet, le collage est le reflet d’une expérience humaine plurielle, où s’entrechoque de multiples couches signifiantes. À la réalité contemporaine se superpose de plus en plus de médias de communication, aussi bien physiques que virtuels. Force est de constater que l’essor de la vidéo et de l’Internet engendre, à sa manière, un choc culturel d’une ampleur similaire à celui éprouvé par Walter Benjamin relativement à la reproduction mécanique. Si la notion d’originalité en art fut révolutionnée par les médiums de reproduction, et que les artistes collagistes de tout acabit s’en inspirèrent pour créer, il m’apparaît symbolique d’observer leurs expériences visuels et, du même coup, l’héritage culturel qu’ils nous ont laissé.

D’autre part, je réalise l’ambiguïté du geste créatif lorsqu’il s’ingénie à remettre en scène des références typées. Lachaud stipule d’ailleurs que, dans l’utilisation contemporaine du collage, « nous aurions à faire à une esthétique, désactivée/désactivante, de la surcharge et de la redondance, provoquant un simple effet culturel, perdant tout caractère révoltant.50 » Cependant, à la lecture de cette déclaration de Lachaud, il me semble fort significatif que la simple culture soit l’aspect que tend à révéler le collage, attendu que cet effet culturel puisse se comprendre de deux manières. La première considère le collage comme étant une forme visuelle ancrée dans des conventions comprises, acceptées et intégrées à un ensemble de connaissances humaines qu’on appelle culture. La seconde, qui m’intéresse autrement, est en rapport aux possibilités de lecture qu’une œuvre peut évoquer. Dans cette optique, l’effet culturel est le résultat provoqué par la culture du spectateur lorsqu’elle l’influence à reconnaître, dans un fragment, un élément connu et signifiant, l’incitant ensuite à associer un propos personnel à l’image.

Dans un contexte de mondialisation, où l’identité culturelle se magnifie au contact du numérique, où l’esprit communautaire s’encre non plus dans le voisinage physique d’individus mais dans le réseautage virtuel, où la propriété intellectuelle n’est jamais plus qu’à un clic d’être violée, et où chacun développe, en ligne, les connaissances et le sens critique qui lui sied, je me questionne sur l’essence de la culture contemporaine. N’est-elle pas l’expression même d’un collage que d’être un amalgame entre le passé et le présent ?

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Annexe

Samuel Breton et Patrick Sternon - Exposition duo Galerie des Arts visuels de l’Université Laval

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