• Aucun résultat trouvé

La somme de toutes ces parts : les collages dans l'image fixe et l'image animée

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La somme de toutes ces parts : les collages dans l'image fixe et l'image animée"

Copied!
55
0
0

Texte intégral

(1)

SAMUEL BRETON

LA SOMME DE TOUTES CES PARTS

Les collages dans l’image fixe

et l’image animée

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Arts visuels

pour l’obtention du grade de Maître ès arts (M.A.)

ÉCOLE DES ARTS VISUELS

FACULTÉ D’AMÉNAGEMENT, D’ARCHITECTURE ET DES ARTS VISUELS UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2013

(2)

Résumé

Le présent mémoire est constitué de trois essais portant chacun sur une pratique spécifique du collage en tant que processus de création. Ces parties explorent les facettes théoriques et techniques du collage dans le dadaïsme, l’expressionnisme abstrait et le cinéma de la Nouvelle Vague, en approfondissant, plus spécifiquement, le travail de Hannah Höch, Robert Rauschenberg et Jean-Luc Godard. Ces pratiques et notions artistiques seront mises en relation au processus créatif de l’artiste Samuel Breton, lequel a mené à la réalisation d’œuvres multidisciplinaires abordant la rencontre entre l’image collage et l’image mouvement.

(3)

Avant-Propos

Je remercie :

François Giard, pour sa vision et ses conseils, Catherine Boivin, pour son appui quotidien,

Sévryna Martel-Lupien, pour sa compréhension de ma pratique, La Galerie des arts visuels de l’Université Laval.

(4)

Table des matières

Résumé ... i

Avant-Propos ... ii

Table des matières ... iii

Liste des figures ... iv

Introduction ... 1

Chapitre 1 ... 3

Introduction ... 3

1.2.1 Dadaïsme : Un art réactionnaire dans la modernité ... 3

1.1.2 Exprimer la modernité par la matérialité industrielle et capitaliste ... 3

1.2.3 Révolutionner l’expérience artistique par la composition non-cohérente ... 4

1.2.1 Hannah Höch : L’assemblage d’un sujet ... 6

1.2.2 Références culturelles et collage ... 8

1.3 Ruptures et monde de l’art ... 9

1.4 L’érosion des références ... 9

1.5 En conclusion ... 10

Chapitre 2 ... 10

Introduction : Rauschenberg ... 10

2.1 Le collage à l’ère de l’expressionnisme abstrait ... 11

2.2.1 Le transfert : Une vision voilée ... 15

2.2.2 L’esquisse ... 16

2.3 L’allégorie dans l’image photographique ... 17

2.4 Le déclin de l’image ... 18

2.5 Conclusion ... 19

Chapitre 3 ... 22

Introduction : Jean-Luc Godard et le cinéma en tant qu’Art du collage ... 22

3.1 Le collage d’éléments scénographiques pour l’assemblage d’une image ... 22

3.1.1 L’intervalle ... 24

3.2 Esthétisme de la saturation ... 25

3.3 Images non faites de main d’Homme ... 27

3.4 Conclusion : L’image animée et Godard ... 28

Chapitre 4 ... 31

4.1 – Rencontre avec l’œuvre Blousons d’artiste ... 31

4.1.1 Erreur sur la référence ... 33

4.1.2 L’image photographique ... 33

4.2 Le Lion, la veuve et Truman ... 36

4.2.1 Les dessous de l’œuvre ... 38

Conclusion ... 41

Bibliographie ... 44

(5)

Liste des figures

Figure 1. Hannah Höch, Pretty Maiden,1920, Photomontage, 13 ¾ x 11 ½ in

Figure 2. Robert Rauschenberg, Tracer, 1963, Huile et sérigraphie sur toile, 84 x 60 in

Figure 3. Robert Rauschenberg, Inferno, Canto XXIII, 1960, transfert, crayon de couleur, gouache, graphite sur papier, 14 ½ x 11 ½ in

Figure 4. Robert Rauschenberg, Inferno, Canto XXXI, 1960, transfert, crayon de couleur, gouache, graphite sur papier, 14 ½ x 11 ½ in

Figure 5. Samuel Breton, Lion à l'Île aux Grues, 2012, acrylique, huile, transfert et graphite sur toile, 36 x 36 in

Figure 6. Jean-Luc Godard, Pierrot le fou, 1965, arrêt sur image Figure 7. Jean-Luc Godard, Vivre sa vie, 1962, arrêt sur image

Figure 8. Samuel Breton, Hotel, 2009, acrylique, transfert et graphite sur toile, 48 x 60 in

Figure 9. Samuel Breton, Strasbourg cinéma, 2009, acrylique, transfert et graphite sur toile, 48 x 60 in

Figure 10. Samuel Breton, Blousons d'artiste, 2012, sérigraphie et image de synthèse, dimension variable

Figure 11. Samuel Breton, Le Lion, la veuve et Truman, 2012, acrylique, huile, transfert et graphite sur toile, 68 x 48 in

Figure 12. Lisette Model, International Refugee Organisation Auction, 1948, épreuve à la gélatine argentique, 13 ½ x 16 in

Figure 13. Samuel Breton, Doublure "Général", 2012, acrylique, transfert et graphite sur toile, 48 x 60 in

(6)

Introduction

Le collage s’impose comme la base stratégique servant à l’élaboration de mes œuvres. Cela s’exprime par la présence d’une multiplicité de systèmes picturaux et l’absence d’un système contrôlant l’ensemble de la proposition visuelle.1 Qu’ils soient collage moderniste, collage postmoderne, qu’ils soient montage, superposition ou intervalle, ces systèmes s’emploient, dans ma pratique, à élaborer des images multidisciplinaires faites de fragments. Bernard Guelton spécifie que le fragment « est là pour renvoyer à une totalité à réactiver. Il excite un imaginaire, dynamise l’interprétation, «irrite» la compréhension, propose un espace mental à recréer.2 » J’adhère à la présentation du fragment de Guelton, car son utilisation implique bel et bien une « réactualisation », en tant que geste qui présente à nouveau un élément d’ores et déjà inscrit dans la culture populaire. Les fragments présents dans ma pratique sont majoritairement issus du patrimoine cinématographique et de périodiques imprimés. Ils sont représentés par divers médiums traditionnels – dessin, peinture, sérigraphie, transfert, papier découpé – sur une surface bidimensionnelle. La projection numérique sert, quant à elle, à effectuer l’ultime collage, celui d’inclure une durée à l’œuvre, un temps de lecture qui s’expérience au présent. Dans ma pratique, il y a donc rencontre entre l’image fixe du tableau et l’image animée de la projection.

Bien que le collage soit une proposition visuelle familière à notre époque, il n’en demeure pas moins pertinent d’en observer les impacts sur le procédé créatif de l’œuvre et le discours qu’il engendre. De même, que peut-on attendre d’un collage qui emprunte au dispositif cinématographique le moyen de s’exposer dans une temporalité ? S’agit-il de répondre à l’idéal surréaliste, tel que formulé par André Breton dans son Premier Manifeste de 1924 : « Tout est bon pour obtenir de certaines

1Hopkins, Budd, Modernism and the collage aesthetism, New England Review, Vol. 18, No. 2 (Spring, 1997), p. 7

2Guelton, Bernard, Fragmentation et dé-fragmentation dans l’exposition : l’allégorie, le

site, le film, Logique de la fragmentation, C.I.E.R.E.C., Université de Saint-Étienne, 1996.

(7)

associations la soudaineté désirable.3 » ? Aspire-t-il au sens qu’Olivier Lussac confère à l’art du dé-coll/age, qui « s’échappe » des médiums traditionnels et absorbe d’autres techniques (vidéo, multimédia, etc.). Selon ce dernier, l’artiste du dé-coll/age « abandonne l’homogénéité de l’œuvre, interrompt la continuité spatiale ou temporelle et affirme la juxtaposition, la simultanéité, l’hétérogénéité.4 » Sans répondre tout à fait à l’une ou l’autre de ces attentes, mes œuvres cherchent à créer une proposition visuelle qui est cependant héréditaire de diverses pratiques collagistes.

3Breton, André, Les Manifestes du surréalisme, Paris : Le Sagittaire, 1946. p. 67 4Lussac, Olivier, Dé-coll/age dans le happening et dans Fluxus In Fragment, montage

démontage, collage-décollage, la défection de l'œuvre?Coll. Arts 8,Paris : Harmattan, 2004. p. 7 et 111

(8)

Chapitre 1

Introduction

Au cours de ce premier chapitre, en plus d’aborder la rupture esthétique et discursive qu’a engendrée l’irruption du collage sur les multiples scènes artistiques, j’observerai le rapport au passé et au présent qu’entretient l’image collagée d’Hannah Höch. Cette observation m’incitera ensuite à souligner le plus important bouleversement qu’a opéré le collage sur le monde de l’Art, lorsque les sujets artistiques sont passés de la nature à la culture.

1.2.1 Dadaïsme : Un art réactionnaire dans la modernité

La première forme d’art fragmentaire d’influence capitale sur ma pratique est issue du mouvement dadaïste. Cette forme précède et fait suite à la Grande Guerre, ce conflit mondial ayant révélé les dessous perfides de la réalité moderne. Cette guerre devait être un acte noble, poussant la jeunesse à l’héroïsme, à exprimer une masculinité et un patriotisme dont on peut être fier. Pourtant, elle n’aura semé que la mort, créé des estropiés, causé la chute de l’économie, et a rendu légitime tous les crimes contre l’humanité. En réaction à leur époque, opposés aux lois philosophiques et artistiques traditionnelles, les artistes collagistes transforment leur pratique et aspirent à redéfinir les expériences, les idées et les attentes qu’on puisse avoir face à l’art et la vie. On délaisse les critères d’évaluation traditionnels basés sur l’imitation, l’harmonie ou la beauté pour privilégier les effets d’émancipation, de confrontation et de critique par l’art. Le rapport à l’art change, et il entraîne avec lui un bouleversement dans le discours de l’œuvre.

1.1.2 Exprimer la modernité par la matérialité industrielle et

capitaliste

La composition matérielle des œuvres est la première instigatrice de ce changement. Ainsi, on passe des médiums nobles, tels que la peinture ou le marbre, à une matérialité industrielle et quotidienne. C’est ainsi que certains s’approprient les images publicitaires

(9)

imprimées en masse, d’autres les journaux, qu’ils mettent en scène au profit des trois grandes croyances artistiques dada : la spontanéité, la négation et l’absurdité.5 Les images ainsi produites ont pour but de choquer les mœurs politiques et culturelles du spectateur, en plus d’avoir un effet cathartique sur ce dernier.6

On remarque d’ailleurs une corrélation entre la mise-en-page des journaux et les œuvres des premiers artistes collagistes dans la fragmentation de l’espace. Le journal est sans contredit une icône du collage en ce sens qu’il offre aux lecteurs une expérience où l’assemblage d’éléments disparates est certes familière, mais non moins choquante. En effet, sur une même page se côtoie les nouvelles les plus contrastées au travers desquelles une multitude de médiums – typographie, gravure, photographie, dessin – rivalisent pour attirer l’attention du lecteur.

Ce principe de composition n’est pas sans rappeler le modèle urbain, discordant par le style et les proportions de ses bâtiments, dans la cacophonique juxtaposition d’enseignes et de signes, d’imprimés et de graffitis, et j’en passe.

Que des artistes aient fait du journal un médium privilégié dans l’art collagiste du début du 20e siècle va de pair avec son importante présence dans la vie moderne et son incomparable pouvoir médiatique. S’approprier et détourner le principal média de communication à des fins artistiques est un geste hautement symbolique à qui souhaite révolutionner le discours de l’art. Car si le journal est compréhensible grâce à sa structure somme toute cohérente, puisque fondée sur son homogénéité et sa finalité, il en va autrement pour l’art collagiste.

1.2.3 Révolutionner l’expérience artistique par la composition

non-cohérente

Si structure il y a dans cette expérience artistique qu’est le collage, elle surgit dans son processus de création, qui s’orchestre dans la déconstruction d’éléments hétéroclites issus de la réalité, et s’expose par la reconstruction d’une structure mouvante. Cet assemblage

5 Donna M. Kristiansen, What is Dada?, Educational Theatre Journal 20, (3) (Oct.) 1968. p.458 6 Kelly, Edward T., Neo-dada: A critique of pop art. Art Journal 23, (3) (Spring) 1964. p.198

(10)

ambivalent et complexe se forme ainsi dans le rapport de discontinuité, d’écart et de décalage qu’entretiennent entre eux les divers fragments. On assiste alors à un esthétisme de la non-cohérence. Jean-Marc Lachaud résume ainsi cette idée :

Les colleurs et les monteurs refusent l’idée d’une œuvre soumise aux exigences d’une cohérence totalitaire ou aux facilités d’une incohérence insensée. Ils travaillent inlassablement au surgissement de kaléïdoscopes étranges, animés par une logique floue. Ils proposent aux spectateurs (non contemplateurs, mais acteurs-complices) de se confronter à de nouvelles configurations visuelles et mentales.7

Les fragments prélevés du réel et insérés au sein d’une composition en évolution sont de cette façon décontextualisés, bien qu’ils conservent une certaine mémoire originelle. Par conséquent, la découpure de journal incorporée dans une œuvre relate encore son historicité, bien qu’elle serve, avant tout, à produire cette « soudaineté désirable » chez les surréalistes.

7Lachaud, Jean-Marc, De l’usage du collage en art au XXe siècle, Socio-anthropologie [En ligne], N°8, 2000. mis en ligne le 15 janvier 2003, Consulté le 07 février 2012.

(11)

1.2.1 Hannah Höch : L’assemblage d’un sujet

Figure 1

Hannah Höch, Pretty Maiden, 1920

L’artiste Hannah Höch s’est intéressée tout particulièrement à la représentation de la femme dans la société weimarienne d’après-guerre, soit de 1913 à 1933. Déjà, le corps de la femme est utilisé par la société marchande de manière à attirer l’attention des consommateurs à l’achat de produits. Höch utilise donc le collage « [...] to protest about women’s subordinate position in the society » afin de proclamer l’affirmation de la New

Woman.8 Pretty Maiden illustre, de cette façon non-cohérente, une femme moderne dont la tête est remplacée par une ampoule électrique, entourée de pièces mécaniques, de chevelures féminines géantes et d’une tapisserie typographique faite de sigles du constructeur automobile BMW. Malgré l’affirmation dada que l’art ne prétend pas transmettre un message, mais qu’il n’exprime que lui-même9, Pretty Maiden véhicule tout

8Lavin, Maud, Androgyny, spectatorship, and the weimar photomontages of Hannah Höch. New German Critique (51, Special Issue on Weimar Mass Culture) (Autumn): 1990. p.65

(12)

de même un propos lisible. Il est généré par la technique communicative qu’emprunte Höch à la publicité. Une interprétation simpliste pourrait se formuler comme ci-suit : la femme, l’expression de la beauté, est le moteur de cette automobile de marque luxueuse, ce produit emblématique de la société de consommation. Cette lecture actuelle et réductrice de l’œuvre est pourtant erronée, puisqu’une des particularités du collage est que le passage du temps estompe la compréhension des références journalistiques, commerciales ou humoristiques. Ainsi, il serait peut-être plus adéquat d’appliquer à l’interprétation quelques réflexions d’un contemporain d’Hannah Höch, Walter Benjamin, issues de l’essai Central

Park.

(13)

Even the most perfect reproduction of a work of art is lacking in one element : its presence in time and space, its unique existence at the place where it happens to be.10

Walter Benjamin

1.2.2 Références culturelles et collage

Parmi les principaux thèmes abordés par Benjamin, il y a celui de la prostitution comme bien de consommation dans la société allemande de l’époque Weimar.

The rise of masses is, however, simultaneous with that of mass-production. Prostitution at the same time appears to contain the possibility of surviving in a world in which the objects of our most intimate use have increasingly becomes an article that is mass-produced. In the prostitution of the metropolis the woman herself becomes an article that is mass-produced.11 Cela dit, et à bien y regarder, le corps de femme de Pretty Maiden, vêtu d’une minijupe, pourrait être celui d’une prostituée. Si tel est le cas, cette image ne véhicule pas la beauté de la femme au cœur de l’industrialisation, mais bien l’impact de la modernité urbaine sur le rôle de la femme. De plus, l’élégant logo de BMW signifie autre chose lorsque l’on sait qu’avant 1920, cette compagnie confectionnait les moteurs d’avion ayant servi à la guerre. Tel que révélé par Benjamin, les images attrayantes de la publicité « seeks to veil the commodity character of things.12» La mode, la machinerie, les transports, la publicité, le temps, tous ces éléments font désormais partie de la notion de progrès auquel le dadaïsme s’attaque, puisqu’il a entraîné avec lui l’humanité dans ce ridicule carnage nationaliste qu’a été la Première Guerre mondiale.

L’utilisation d’Hannah Höch du collage lui sert finalement à véhiculer un propos moderne par le biais d’un mode d’expression nouveau.

10 Benjamin, Walter, The Work of art in the age of mechanical reproduction, In Illuminations,

New York : Schocken Books, 1969. p.220

11 Benjamin, W., Spencer, L., Harrington, M., Central Park, In New German Critique, No.34

(Winter, 1985), p.40

(14)

1.3 Ruptures et monde de l’art

Les changements qu’a entraînés la modernité sur la société, et du même coup sur le choix des sujets artistiques et les matériaux utilisés pour les exprimer sont innombrables. Walter Benjamin soulignait une première dimension à la rupture qu’a engendrée la société moderne aux dépens de la nature de l’art. « These changes consisted in the commodity form of the work of art and the mass nature of its public expressing themselves more immediately and more vehemently than ever before.13» Il fait ainsi référence à la reproduction de l’œuvre d’art, qui peut être reproduite par millier et vue partout ailleurs qu’à l’endroit où repose l’originale. Les notions d’originalité, d’authenticité et d’aura normalement associées à l’art sont ainsi massivement remises en question par la modernité. Si la reproduction de l’œuvre d’art est toujours plus présente dans la vie des artistes, il est ainsi normal qu’à leurs tours, ces derniers puisent dans cette nouvelle culture de masse afin d’émettre des questions et réponses propres à leurs réalités.

Dans ces conditions, les artistes modernes délaissent la représentation du monde naturel pour des sujets abstraits, qu’ils façonnent de matériaux industriels en des propositions artistiques révolutionnaires ou absurdes. Nombre d’artistes dadaïstes ont repoussé les limites de la représentation en prônant l’effacement des frontières entre les arts. Ce faisant, ils ont initié ce que Leo Steinberg considère être « [...] the most radical shift in the subject matter of art, from nature to culture.14» On a qu’à penser à Marcel Duchamps et le ready

made, au Cabaret Voltaire, ou au Merz – une production qui mélange l’art pictural, le

littéraire et le found object – de Kurt Schwitters, pour remarquer que cette époque artistique a influencé les suivantes à s’inspirer toujours davantage du monde matériel et culturel.

1.4 L’érosion des références

Bien que le dadaïsme prônât l’absurde, la négation et la spontanéité dans l’art, l’utilisation du collage d’Hannah Höch, dans Pretty Maiden, de même que la composition fondamentalement figurative et inspirée de l’efficacité communicative de la publicité offre

13Benjamin, Walter, Central Park, op. cit. p.45

14Steinberg, Leo, Other criteria: Confrontations with twentieth-century art, New York,: Oxford University, 1972. p. 28

(15)

d’abord au spectateur une interprétation conventionnelle de l’œuvre. Toutefois, on peut présumer que les dadaïstes étaient conscients qu’une perte de sens due à l’érosion des références par le temps surviendrait par rapport à leurs œuvres collagées. Si tel en est le cas, ces artistes avaient possiblement planifié que la signification historique de leurs images sombrerait, tôt ou tard, dans l’abstrait absurde de l’oubli humain.

1.5 En conclusion

À la lumière de ces réflexions sur le processus collagiste des dadaïstes, certaines corrélations s’imposent entre ma production artistique et le décloisonnement des médiums en art, la déconstruction d’images significatives reconstruites dans une attitude de non-cohérence, ou dans le devenir absurde de la nature référentielle du fragment.

De même, mettre en scène la représentation d’un blouson de cuir en une tapisserie mouvante, au moyen d’un dispositif de présentation semblable à celui du cinéma, est bel et bien un geste héréditaire des dadas. Il en va ainsi de mon art du dessin, qui s’attarde à représenter des fragments d’arrêts-sur-image cinématographiques afin d’en soutirer d’abstraites références culturelles.

Au final, il est question d’un ensemble de valeurs qui aura influencé d’innombrables artistes à poursuivre la création d’un corpus d’œuvres ayant pour sujet l’univers matériel de la société humaine.

Chapitre 2

Introduction : Rauschenberg

Le chapitre suivant porte également sur le collage. Ainsi, j’essaierai d’établir comment l’artiste Robert Rauschenberg s’est joué du dogme de l’expressionnisme abstrait tel qu’exprimé par Clément Greenberg afin d’exprimer des visions figuratives qui agissent sous une dialectique artistique entre suggestion et abstraction. L’œuvre prolifique et diversifiée de Rauschenberg sera ensuite observée sous un angle bien précis, soit la

(16)

réinterprétation, sous la technique du transfert à l’acétone, du poème médiéval Inferno écrit par Dante Alighieri. Cette œuvre composée d’une série de 34 dessins évoque avec éloquence l’impact médiatique que peut avoir une technique créative sur la portée symbolique de l’image. Ce faisant, Rauschenberg abolit une certaine frontière qu’entretient l’art avec la vie en s’appropriant, au même titre que les dadaïstes, les éléments qui façonnent la culture populaire. Ultimement, il tente d’exprimer visuellement l’inexprimable sous une forme qui rappelle l’allégorie.

2.1 Le collage à l’ère de l’expressionnisme abstrait

Robert Rauschenberg fait partie de ces artistes qui exposent le spectateur à une vision fragmentée de l’art. À l’époque où l’expressionnisme abstrait américain est le porteur de la flamme picturale aux États-Unis, grâce, entre autres, à l’appui critique de Clement Greenberg, l’artiste Robert Rauschenberg développe une voie alternative. Alors que Greenberg, dans Modernist Painting, s’appuie sur la philosophie scientifique de Kant afin de formuler une thèse qui stipule que l’aboutissement de l’art de la peinture moderne passe par sa planéité, seule qualité unique et exclusive à la peinture15, Rauschenberg n’en conteste-t-il pas les fondements dans son œuvre Tracer ? Cette image multidisciplinaire, composée en peinture et sérigraphie, est figurative, mais non narrative. Elle s’approprie des photographies populaires et l’œuvre d’un Maître de la peinture, tout en confrontant la planéité de l’espace pictural. Du même coup, elle repense la notion d’abstraction dans l’art et redéfinit les possibilités spatiales offertes aux peintres modernistes. Des extraits concernant la vision de la peinture moderne de Clement Greenberg serviront de points de départ à l’élaboration de ma pensée.

15Greenberg, Clement, The collected essays and criticism. Chicago: University of Chicago Press, 1986. p.755

(17)

Tracer est une peinture-sérigraphie saisissante et intrigante pour tout spectateur qui la

rencontre. Les trois quarts de sa surface sont composés d’images reproduites et appliquées à l’aide de la sérigraphie. Le quart restant est, quant à lui, couvert de peinture appliquée avec une gestuelle libre. Ce qui surprend, à première vue, ce sont les images disparates qui y sont mises en scène. Des hélicoptères militaires côtoient La Toilette de Venus de Rubens, de même qu’un pygargue à tête blanche, un couple d’oiseaux en cage, des prismes rectangulaires et la photographie d’une ville (New York ?). Bien que certains de ces éléments symbolisent la culture américaine, comme les hélicoptères utilisés durant la Guerre du Vietnam ou l’aigle emblématique du pays, le rôle significatif des autres images est plus obscur. Un portrait classique est-il présent pour signifier qu’il s’agit ici d’une œuvre d’art? Et les prismes rectangulaires servent-ils à interroger la perception du spectateur : se dirigent-ils vers l’intérieur ou l’extérieur de la toile? Est-ce que l’un s’élève dans les airs, comme la flèche nous le laisserait sous-entendre, et l’autre tombe?

Figure 2

(18)

Bien que Greenberg avise l’artiste moderniste des dangers de représenter le moindre fragment réaliste, sous peine de « [...] alienate pictorial space from the two-dimensionality which is the garantee of painting’s independence as an art.16», Rauschenberg fait fi de l’avertissement. Pour lui, l’art de la peinture n’est pas unidisciplinaire, mais bien multidisciplinaire. Ainsi, une œuvre peinte ne se constitue pas nécessairement et uniquement de peinture, mais elle peut s’élaborer de collages, de tissus, d’objets et être issue d’un procéder mécanique tel que la sérigraphie. Finalement, c’est la toile sur laquelle s’orchestrent les différents éléments qui garantit à l’image l’appellation peinture. Dans le cas de Tracer, Rauschenberg s’appuie sur la planéité de ce qu’il reproduit, colle et peint sur son support pour confirmer que l’œuvre satisfait aux normes de Greenberg.

En vue d’assurer l’intégrité de la peinture en tant qu’art bidimensionnel par l’obligation d’éviter toute représentation picturale, Greenberg ajoute : « And it is in the course of its effort to do this [divest itself of everything it might share with sculpture], and not so much – I repeat – to exclude the reprensentational or the ‘literary’, that painting has made itself abstract.17» En effet, il ne conclut pas que l’abstrait est l’unique voie à adopter en peinture, mais il stipule qu’elle en assure la planéité. À nouveau, Rauschenberg jongle avec les concepts du critique, et propose que la non-représentation ne soit pas la seule garante d’une peinture abstraite. De même, l’abstrait visuel de Tracer est représenté par l’absence d’une cohérence narrative entre les images. L’œuvre n’offre pas au spectateur une illusion spatiale dans laquelle il peut s’imaginer marcher, où seuls les yeux peuvent y voyager, tel que Greenberg le suggérait en rapport aux peintures des vieux Maîtres et des Modernistes.18 Elle offre plutôt une narration à s’approprier.

Bien sûr, Greenberg émet une réticence quant à l’aspect littéraire, même incompréhensible, d’une œuvre : « Modernist painting asks that a literary theme be translated into strictly optical, two-dimensional terms before becoming the subject of pictorial art [...] in such a

16Greenberg, Clement, The collected essays and criticism, op. cit. p.756 17Greenberg, Clement, The collected essays and criticism, op. cit. p.756. 18Ibid.. p.758

(19)

way that it entirely loses its literary.19» Strictly optical ? Pourtant, bien qu’elle inspire une multitude d’interprétations au spectateur, l’intention de Tracer est toutefois d’être une expérience visuelle. Très probablement inspiré par la théorie de Hans Hofmann concernant le Push and Pull, Rauschenberg joue avec les différentes formes et couleurs présentes dans sa sérigraphie afin de créer un effet de profondeur et de mouvement. Les couleurs et les contrastes de l’œuvre sont spécialement choisis pour activer une dynamique visuelle dont ni la représentation des images, ni leur potentiel littéraire n’est responsable.

En résumé, malgré l’utilisation d’images figuratives dans Tracer, Rauschenberg tend, avant tout, à conférer une portée abstraite et interprétative au collage.

19Ibid.

(20)

2.2.1 Le transfert : Une vision voilée

Figure 3

Robert Rauschenberg, Inferno, Canto

XXIII, 1960

Figure 4

Robert Rauschenberg, Inferno, Canto XXXI, 1960

Une technique de collage peaufinée par Rauschenberg attire tout particulièrement mon attention par sa capacité à incarner à la fois une œuvre littéraire médiévale, un symbole religieux et la réalité moderne : le transfert au solvant. Cette technique est en même temps gestuelle et mécanique, tout en étant imparfaite et contrôlée, abstraite et allégorique. L’œuvre emblématique de ce médium est la série de 34 images élaborées à partir du premier chapitre du texte de Dante Divine Comedie : Inferno. En plus d’être exclusivement effectuée par le transfert d’images médiatiques, cette série repense le rapport entre l’art et l’image photographique, entre le médium et le sujet.

(21)

Le transfert consiste en l’utilisation d’une image imprimée, issue de magazines, de journaux ou d’arrêt-sur-image, que l’on asperge de solvant, avant d’en appuyer le recto contre la surface à dessiner. À l’aide d’un outil ou d’un crayon, l’endos de l’impression sera frotté vigoureusement dans le but de forcer l’encre de l’image à être imprimée sur le support. Il en résulte un troublant dessin en raison du réalisme photographique qui apparaît au travers des hachures produites par le procédé technique.

Tel que le rapporte Rosalind Krauss, le frottage crée une image floue présentée sous un voile.20 Ce voile confère plusieurs propriétés à la composition. Premièrement, il lie la multitude d’éléments visuels ensemble, sous l’uniformité des marques créées par le transfert. De plus, il évoque visuellement l’inconnu ; le lieu destiné aux supplices des damnés. Cependant, le transfert retourne horizontalement chaque image en une vision miroir, un effet qu’implique sa nature technique. Rauschenberg nous dévoile ainsi l’envers des choses, de ce qu’elles représentent comme de leur matérialité. L’image photographique ainsi représentée se métamorphose alors en esquisse.

2.2.2 L’esquisse

On peut ainsi qualifier l’esquisse d’être une représentation simplifiée, un intermédiaire qui nous permet d’atteindre à la compréhension d’une chose autrement complexe. Alain Bonfand aborde cette notion d’esquisse en rapport aux Anges de Klee. Il propose qu’elle « porte en elle, et c’est ainsi qu’elle peut se comprendre, non seulement son inachèvement, mais les formes de cet inachèvement, qui ne sont jamais à entendre pour des manques, mais au contraire telles des hypothèses reconduites de visibilité, de donation et de retrait.21» Transférer le cliché photographique en esquisse revient à extirper de l’instantané l’essence d’une représentation figurée, libérée de sa référence au réel, cela grâce à l’imperfection du transfert. Sans cette aura réaliste, l’empreinte de l’image photographique peut ainsi incarner une nouvelle idée, sans que pour autant elle reproduise intégralement une perception.

20 Krauss, Rosalind, Perpetual Inventory(*), October, Vol. 88, (Spring, 1999), p.92

21Bonfand, Alain, Le cinema saturé : essai sur les relations de la peinture et des images en movement, Presses Universitaires de France,2007,p. 206

(22)

2.3 L’allégorie dans l’image photographique

Rauschenberg puise ses images pour la réalisation d’Inferno dans une même source, mais sous divers thèmes, diverses iconographies. Il choisit ainsi de représenter le périple de Dante et Virgil par l’image médiatique, en majorité issue du monde des sports, où certaines personnalités politiques font leur apparition aux côtés du nouveau défi de l’ère moderne : la conquête spatiale. Pourquoi avoir représenté l’enfer sous ces iconographies médiatiques contemporaines ? Ainsi, quel message émerge des cantos au contact de ces dernières ?

En date où j’écris ce paragraphe avait lieu l’ouverture des XXXe Jeux olympiques de Londres. C’est incontestablement l’un des évènements les plus médiatisés sur la planète. Par médiatisé, j’entends à dire qu’il est diffusé par la télévision, la radio, l’internet, la presse, la publicité, et qu’il est annoncé, discuté, analysé dans le but d’être consommé par la population. L’image médiatique en est une éphémère, consommable puis jetable, car vouée à être remplacée par la nouveauté. Le sport a une place de choix dans la société des médias d’aujourd’hui, et il en allait de même entre 1959 et 1960, années durant lesquelles Rauschenberg réalisa la série de 34 cantos.

Il y a certainement une association à faire entre l’intention qui sous-tend la création d’Inferno par Rauschenberg et l’idée que se fait Craig Owens de la réinterprétation allégorique dans l’art contemporain. Premièrement, Owens spécifie qu’il y a allégorie « whenever a text is doubled by another22 », lorsqu’une image en reproduit une autre existante, ou, comme dans le cas qui nous intéresse, lorsqu’elle représente visuellement un texte écrit. Il ajoute que l’artiste allégoriste reproduit et s’approprie la représentation d’autrui avec la conviction « … of the remoteness of the past, and a desire to redeem it for the present – thens are its two most fundamental impulses.23 » Mettre en scène l’œuvre de Dante par l’accumulation d’esquisses d’images médiatiques souligne la distance qui sépare l’image du texte. Cet écart libère l’image d’un rôle représentatif, mais lui conserve un statut d’autorité qu’elle hérite de l’œuvre originale.

22 Owens, Craig, The Allegorical Impulse, October, Vol.12 (Spring, 1980), p.68 23 Ibid.

(23)

Owen admet que l’« allegory is conceived as a supplement, an expression externally added to another expression.24 », et qu’elle ne se substitue ni à l’œuvre de Dante, ni à celle de Rauschenberg, mais qu’elle s’y superpose au moyen d’une attitude, d’une technique, qu’elle est perceptive et procédurale.25 Son impact sur l’œuvre d’art contemporaine se rapproche de la réflexion émise par Walter Benjamin concernant l’allégorie en photographie : « The dialectical image is one flashing up momentarily. It is thus, as an image flashing up in the now of its recognisability, that the past [...] can be captured.26 » Bien que détourné par la technique du transfert, cet effet photographique, qui suppose que le présent fut saisi au vol en un clic, et que l’image ainsi fixée sur pellicule est irrémédiablement reléguée au passé, agit de manière similaire sur la lecture des divers

cantos d’Inferno. Le regardeur est appelé à percevoir en certains fragments des signes

associables au présent. Mais puisqu’inscrite dans une relation allégorique avec le texte, l’image révèlera un sens antérieur à sa temporalité.

William Lieberman remarque ainsi que « When related to the text, pictorial allusions that seem at first obscure become clear.27 » Lire le texte en regard de l’image, c’est associer des enjeux contemporains hautement médiatisés à l’univers de Dante pour lui conférer un nouveau sens.

2.4 Le déclin de l’image

Rauschenberg s’exprime candidement sur le collage comme médium créatif : « I was bombarded with TV sets and magazines, by excess of the world. I thought an honest work should incorporate all of these elements, which were and are a reality.28 » Son but n’est pas de choquer les spectateurs par l’incongruité de ses assemblages. Il tente plutôt « [...] to use

24 Ibid. P. 83 25 Ibid. P. 68

26 Benjamin, Walter, Central Park, op. cit. p.49

27Lieberman, William S., Rauschenberg’s « Inferno » Drawings, The Museum of Modern Art, No.6, 1976. p. 3

28 Hunter, Sam, Robert Rauschenberg : Works, writings and interviews, New York : Ediciones

(24)

it in an optimistic, matter-of-fact spirit. Thus, if any social commentary could be read into the content, it was on an elementary and unspecific level, referring primarily to the life cycle of objects in our periodical culture, and their rapid decline into waste [...]29 » En partant d’une telle déclaration, il est tentant de supposer que l’utilisation de fragments médiatiques dans la série Inferno révèle, sous l’allégorie, le sort réservé à ce type d’image. Car une fois leur heure de gloire consommée, la majorité d’entres elles est reléguée aux oubliettes, dans un lieu infernal où elle n’évoque plus rien. Walter Benjamin disait justement qu’« Every image of the past that is not recognized by the present as one of its own concerns threatens to disappear irretrievably.30 »

En définitive, l’intervention artistique de Robert Rauschenberg sur le cours habituel de l’image médiatique la sauve très certainement de l’oubli collectif. Toutefois, bien que l’essence de son visuel sera perpétuée en une œuvre, force est de constater que la référence significative qu’elle illustre – le médaillé d’or des Jeux olympiques de 1958 – s’est perdue à jamais dans les méandres de l’image collagée.

2.5 Conclusion

Le rapport allégorique entre les images de Rauschenberg et le texte de Dante incite alors à constater un lien similaire entre mes images et la citation aux films qu’elles représentent. Au même titre que l’artiste allégoriste, je produis mes compositions avec la conviction de la distance qui me sépare de cette référence, et d’un désir de lui réhabiliter une place dans le présent.31 Contrairement à Rauschenberg, qui détourne des images médiatiques afin de traduire en image Inferno, la majorité des fragments présents dans ma production artistique sont une représentation directe du référent, bien qu’ils soient incomplets et cités hors contextes. Toutefois, l’intérêt de l’œuvre ne repose pas tant sur sa capacité à évoquer visuellement le film, mais plutôt à suggérer une entité abstraite : la culture.

29 Ibid.

30 Benjamin, Walter, The Work of art in the age of mechanical reproduction, op.cit. p.255

(25)

Figure 5

Samuel Breton, L’Hiver à l’Île-aux-Grue, 2012

Cette dernière s’exprime de plusieurs manières. Elle est d’abord associée à un vecteur important de culture visuelle, soit l’image cinématographique. Cette dernière s’illustre par des cadrages et des points de vue – le gros-plan, la plongée – qui sont typiquement associés au cinéma. De plus, la composition collagée des images rappelle l’effet de superposition qu’engendre le montage cinématographique. Dans une autre mesure, la culture transparaît au sens identitaire du terme, lorsque l’architecture d’un toit illustre Paris, qu’une représentation de Mao plonge la symbolique du tableau au cœur du communisme ou qu’une carriole tirée par un cheval dans la neige évoque irrésistiblement le Québec d’antan. Le fragment iconique est alors le principal vecteur d’une allégorie culturelle dans l’image.

Le second point dans l’approche de Rauschenberg que je tiens à mettre en parallèle avec ma recherche picturale est la notion d’esquisse. Elle est, en premier lieu, associée à la technique de transfert d’image. Le transfert s’avère être primordial dans ma pratique, car il me permet de reproduire, dans le format et le médium souhaité, le fragment photographique présent dans mes dessins. Cette photographie imprimée dans les périodiques hebdomadaires Le Monde Illustré ou Perspectives des années 40 à 70, est d’abord une empreinte médiatique et culturelle du passé. Je la découpe et l’intègre à mes compositions

(26)

dans l’intention d’y inclure une perspective singulièrement réaliste. De plus, l’utilisation d’un tel fragment « ouvre l’écart temporel [et] fait surgir le temps comme passé 32», bien qu’il soit inséré dans une vision contemporaine. Au sein d’un tableau, le transfert à l’acrylique transforme alors la nature matérielle de l’image médiatique en peinture (voir

Figure 5). Ce faisant, il institue une métamorphose à l’élément photographique qui devient

une esquisse, une représentation simplifiée et inachevée du réel. Tout comme Rauschenberg, cette esquisse s’intègre alors à l’œuvre de manière plus ambiguë, plus proche d’une hypothèse visuelle à résoudre. J’espère, par le fait même, qu’elle participe à conférer une lecture toujours plus interprétative au collage, dont le sens me dépasse.

En résumé, l’image médiatique reproduite en transfert me permet d’ouvrir une perspective différente dans l’œuvre et d’invoquer une vision semblable à un souvenir incomplet. Cette esquisse véhicule une charge culturelle malléable selon le contexte dans lequel elle est présentée. Elle manipule le regardeur à lire la phrase de l’image sans qu’elle soit toute faite et compréhensible.

32Schaeffer, Jean-Marie, L’image pércaire du dispositive photographique, Paris : Édition du Seuil, 1987. p. 65

(27)

Chapitre 3

Introduction : Jean-Luc Godard et le cinéma en tant qu’Art

du collage

Abordons maintenant le volet cinématographique du collage en observant le processus de création du cinéaste Jean-Luc Godard. Membre fondateur du mouvement La Nouvelle vague, ce dernier repense l’esthétisme du film, de sa conception à sa réalisation. Caméra à l’épaule, scènes de rue, improvisation du scénario et acteurs inconnus sont quelques éléments révolutionnaires de son cinéma. Le tournage de ses films a lieu en dehors des studios conventionnels, en marge d’un système de production de type hollywoodien favorisant la standardisation du produit culturel. Cette particularité de production permet au réalisateur une liberté de création exceptionnelle. Et cette liberté, Godard l’utilise pour attribuer de nouvelles aptitudes à l’image cinématographique et créer une vision confrontant le spectateur à une expérience perceptive ouverte. Pour ce faire, il commence par déconstruire la plasticité du film à l’aide du montage. De plus, il sature le cadre d’une multitude de couches significatives et instrumentalise l’intuition afin d’élargir les possibilités de représentation. En se jouant des conventions cinématographiques, il cherche à faire apparaître sur l’écran ce qu’on pourrait qualifier être des images « non faites de main d’Homme 33».

3.1 Le collage d’éléments scénographiques pour

l’assemblage d’une image

Lorsqu’il est question de cinéma, l’assemblage des images ne s’exprime plus sous le terme collage, mais sous celui de montage. En résumé, ces deux notions forcent des fragments hétérogènes – simultanément dans le collage, successivement au cinéma –

33 Bonfand, Alain, Le cinema saturé : essai sur les relations de la peinture et des

(28)

à occuper le même espace. La différence principale à lieu dans la présentation de l’image. Le collage prend la forme d’un tableau dans lequel seront capturés d’emblée plusieurs moments. Le regardeur doit y combler un écart entre les différents fragments révélés, en termes à la fois cognitifs et perceptifs. Il s’en suit un incontournable va-et-vient du regard chez le spectateur. Si la lecture de cet art de l’instantané et du simultané est perçue dans une durée, elle s’exprime alors dans ce voyage qu’entreprend l’œil lorsqu’il explore ce qui lui est présenté. Jacques Aumont stipule qu’au final, le spectateur « déroule et démêle ce que le tableau avait condensé, il analyse ce qui avait été synthétisé, il fait redevenir temps ce qui avait été déguisé en espace.35 »

Au même titre que le collage, le montage est une technique d’assemblage d’images. Toutefois, ce qui est assemblé à la particularité d’être séquentiel et porteur d’un temps perceptif. Le montage est habituellement construit par séquence, dans la mesure où les images se suivent au lieu de se superposées dans une même composition. De plus, un temps s’y perçoit, car « […] par sa construction, [le cinéma] est tout sauf un art de l’instantané ; quelque bref et immobile que soit un plan, il ne sera jamais la condensation d’un moment unique, mais toujours l’empreinte d’une certaine durée.36 » Les divers plans – par exemple le plan rapproché, américain ou d’ensemble – se présentent sous des points de vue frontaux, en plongées ou contre-plongées, afin de mettre en image un portrait, un paysage, une scène de rue, un mouvement. Un plan côtoie l’autre et lui succède sur l’écran sous l’effet liant du montage.

Gilles Deleuze s’exprime au sujet du plan sous l’appellation d’image-mouvement. Selon Deleuze, « L’image-mouvement [plan] à deux faces, l’une par rapport à des objets dont elle fait varier la position relative [cadrage], l’autre par rapport à un tout

34 Aumont, Jacques, L’œil interminable – Cinéma et peinture, Paris : Librairie Séguier,

1989. p.98

35 Ibid.

36 Bonfand, Alain, Le cinema saturé : essai sur les relations de la peinture et des images en

(29)

dont elle exprime un changement absolu [montage]. Les positions sont dans l’espace, mais le tout qui change est dans le temps.37 » On peut alors proposer que ce qui est reconstruit par le cinéma est une représentation plastique incomplète du réel, faite de fragments visuels cadrés et de moments temporels coupés et ordonnés sur une ligne du temps artificielle. Malgré cela, le film paraîtra cohérent tant que le montage « accomplira le temps » par la transformation du présent en « un passé clair, stable et descriptible.38 »

3.1.1 L’intervalle

La quête de la cohérence filmique n’est pourtant pas recherchée par tous. Jean-Luc Godard fait partie de ces artistes non conformistes qui utilisent l’intervalle, cette « distance visuelle maintenue entre deux plans39 », afin de construire une œuvre par intuition. L’assemblage d’images hétérogènes et éloignées entre elles lui sert, par le fait même, à fabriquer un moment cinématographique libéré du scénario, chronologiquement décousu et surprenant.

Figure 6

Jean-Luc Godard, Pierrot le fou, 1965

Citons en exemple le film Pierrot le fou, où Godard totalise une suite d’images pour n’en faire qu’une. Alors qu’apparaît et s’imprime successivement sur l’écran le mot

Total, puis un visage de femme peint par Lichtenstein, un second par Picasso et un

37 Deleuze, Gilles, L’image-temps, Paris : Éditions de Minuit, 1985. p.50-51 38 Ibid. p. 51

(30)

détail réalisé par Chagall, Godard escompte créer un effet de superposition significatif. L’addition de ces images à l’écran interpelle alors le spectateur à lire la séquence sans que l’auteur y ait formulé une phrase toute faite et compréhensible.

En vue de concevoir une suite significative, Godard sélectionne ses fragments pour la vie courante qu’ils représentent comme pour le déjà-vu qu’ils incarnent. Alain Bonfand propose ainsi que les images de Godard se donnent de deux manières, soit par présentation – ce qui est là devant moi – soit par présentification – qui est présent par le souvenir.40 Une telle méthode de mise en mouvement d’images entrecroise ce qui est visuellement présent avec le souvenir qu’il relate. Ce faisant, elle suppose ou rappelle que l’artiste intuitif crée en organisant sur un subjectile des signes qui s’étaient préalablement imprimées sur « la grande toile de la mémoire » avant d’être recomposés en œuvre.

3.2 Esthétisme de la saturation

Si procédé créatif il y a dans la production de Godard, il est d’abord représenté par l’accumulation de plans en de faux raccords sublimes. C’est que Godard utilise un esthétisme de la saturation, « […] une rhapsodie du visible et de signes qui, à force, ne peuvent que baigner dans la lumière de leur absence d’explication.41 » L’idée première d’un tel procédé est d’incarner l’expérience humaine moderne le plus adéquatement possible. Faute de me répéter, Godard divise l’univers de son film en fragments hétérogènes qu’il met en scène, (toujours) à l’aide du montage, de telle sorte qu’il recrée (encore) intuitivement la multitude de calques qui se superposent à cette esquisse cinématographique de l’expérience humaine.

À cette méthode cumulative s’ajoute la saturation de l’image au moyen de la pluralité et la mixité des médiums narratifs. Par cela j’entends rappeler la déjà citée en

40Bonfand, Alain, Le cinema saturé : essai sur les relations de la peinture et des images en movement, op. cit., p. 221

41Bonfand, Alain, Le cinema saturé : essai sur les relations de la peinture et des images en movement, op. cit., p. 209

(31)

exemple mise en image de la peinture moderne - de Lichtenstein à Picasso, de Renoir à Chagall – qui se superpose à la scène filmée. Ici, la représentation picturale côtoie et transforme la représentation filmique. Le choc hétérogène créé par le médium peinture entraîne, par le fait même, une comparaison entre la scène réelle et le tableau. Ultimement, elle pousse le spectateur à analyser la représentation filmique au même titre qu’il analyserait une représentation picturale.

Il en va de même de l’utilisation répétée du littéraire comme élément visuel et sonore dans l’image mouvement assemblée par Godard. Par exemple, la scène d’intimité précédant la finale du film Vivre sa vie, dans le chapitre 12 : Encore le jeune homme.

Dans une chambre exiguë communiquent, par des sous-titres interposés, un jeune inconnu et Nana, l’héroïne du film. Les gros plans cadrent tantôt le visage du jeune homme tenant devant son visage le livre Œuvres complètes d’Edgard Poe, tantôt est filmé le profil de Nana. Tous deux sont muets. Pourtant, les sous-titres suggèrent qu’ils se parlent. La scène est banale et les quatre répliques qui s’écrivent au bas de l’écran le sont tout autant. Les écritures disparues, le plan se fond au noir. La scène s’ouvre à nouveau sur le lecteur. Même cadrage. Cette fois, pas de sous-titre, mais un narrateur absent qui semble faire la lecture du dit livre. Les mots de Poe hantent l’écran et teintent irrémédiablement le plan dorénavant fixé sur le visage pensif de Nana. Anna Karina, l’actrice incarnant Nana, joue soudainement devant la caméra non plus une scène de Godard, mais plutôt le texte fantastique de Poe.

Figure 7

(32)

Godard demande, dans ce cas précis, d’observer sous deux formes l’ambiguïté qu’opère l’insertion citationnelle du littéraire sur l’image-mouvement. Le sous-titre, en tant qu’écriture, est le véhicule premier de la littérature et nous fait lire l’image. La parole, pour sa part, est un média qui confère au texte une portée sonore et nous force à écouter l’image. Toutes deux interagissent formellement avec l’image. Elles court-circuitent et métamorphosent le sens premier des scènes perçues par le spectateur.

Encore une fois, Godard nous révèle qu’un plan chargé par l’intuitive juxtaposition de couches significatives augmente sa portée au-delà de son contrôle.

3.3 Images non faites de main d’Homme

Nous sommes désormais à même de constater que le cinéma de Godard partage avec l’art fragmentaire une intention similaire, soit « d’élargir les limites du sens – de ce qui est dicible et représentable - et du même coup les limites du monde et celles du sujet.42 » Pour arriver à cette fin élargie, il utilise l’intuition de manière à compenser l’absence d’un scénario contraignant et ouvrir les possibilités narratives. Alain Bonfand offre une interprétation fort intéressante de ce processus créatif godardien. En effet, il stipule que « […] le cinéma de Godard a ce dessein de mettre en scène des phénomènes libérés de la contrainte intentionnelle, ou plutôt mettre en scène des phénomènes […] à l’instant où ils se libèrent de cette contrainte.43 » Dans cette dynamique, le réalisateur permet à l’acteur d’être naturel à l’écran et d’improviser ses répliques, ses mouvements, sa présence pour créer une scène inédite. La mise en scène de Godard est ainsi faite qu’elle devient « […] l’idée d’une surface sensible, un subjectile où quelque chose vient faire empreinte.44 » Elle est une empreinte du réel, une interprétation simplifiée afin de rendre visible l’immatériel, tel l’amour, ou toutes autres émotions et expériences humaines.

42 Wellmer, Albretch, Dialectique de la modernité et de la postmodernité, Les cahier de la

Philosophie, Paris, 1988. p. 117

43 Bonfand, Alain, Le cinema saturé : essai sur les relations de la peinture et des images en

movement, op. cit., p.208

(33)

Cette idée s’exemplifie avec clarté lorsque Godard confit qu’il souhaiterait « filmer un paysage de dos », et que pour ce faire, il n’a d’autre choix que de coller ensemble une multitude de plans et d’esquisses visuelles. Il suppose ainsi qu’il y a plus à percevoir dans le dialogue de deux images présentées simultanément que si elles nous étaient montrées séparément.

3.4 Conclusion : L’image animée et Godard

En définitive, Jean-Luc Godard à ce désir d’amener le cinéma à exprimer une vision artistique et poétique nouvelle. Pour ce faire, il manipule les conventions techniques du médium cinématographique dans le dessein de multiplier les possibilités scéniques. Le montage, l’intervalle, l’esthétique de la saturation par l’accumulation de représentations hétérogènes et l’intuition œuvrent tous à donner une forme filmique originale au processus de création de l’auteur.

Perfectionner un tel processus de création afin de donner une forme originale à nos œuvres, voilà bien un objectif artistique digne d’être la quête d’une vie. D’ailleurs, l’influence de Godard sur ma production artistique est probablement trop importante pour que j’en saisisse et en explique toute l’ampleur. Pour commencer, elle est de l’ordre de l’inspiration au premier degré. Ainsi, les films de Godard ont servi et serviront à nouveau de références à la conception de mes images. La série de tableaux effectuée à partir du film Une femme est une femme (voir Figures 8 et 9) est, dans une certaine mesure, une relecture en peinture de l’œuvre en mouvement. En cela, elles rappellent l’idée précédemment citée d’une surface sensible où le flot d’images cinématographiques vient faire empreinte.

(34)

Figure 8

Samuel Breton, Hotël, 2009

Figure 9

Samuel Breton, Strasbourg cinéma, 2009 Au second degré, l’influence de Godard peut se faire sentir dans la saturation de mes compositions. J’adhère entièrement à cette idée qu’une rencontre entre divers fragments et médiums engendre plus adéquatement une vision ouverte et pleine d’heureux hasards. Une telle représentation tend bel et bien à repousser les limites de ce qui est représentable, tout en véhiculant une émotion aussi riche qu’innommable.

Il en va de même de l’exemple présenté ci-haut concernant l’impact sur l’image lorsqu’il y a juxtaposition de couches significatives. Le recours aux sous-titres et à la superposition du littéraire sur l’image peut être perçu comme étant le précurseur du fragment animé dans mes œuvres. L’insertion de cette image-mouvement par le biais de la projection illustre plus concrètement que jamais le rapport référentiel de mes collages au cinéma. Cette fois, elle incite le spectateur à analyser la représentation picturale au même titre qu’il analyserait une représentation filmique. Cela dit, l’image mobile sert, avant tout, à inscrire le tableau dans une durée perceptive, afin de lui

(35)

procurer une présence active et un pouvoir de captation du spectateur similaire au dispositif cinématographique.

Si Godard est un tel puits sans fond d’inspirations, c’est certainement grâce à l’expérimentation qu’il a faite de théories picturales malléables et libres d’être interprétées comme bon nous semble.

(36)

Chapitre 4

4.1 – Rencontre avec l’œuvre Blousons d’artiste

Figure 10

Samuel Breton, Blousons d’artiste, 2012

Il est ardu de décrire ce que l’on fait lorsqu’en plus de le faire intuitivement, on en a connu la genèse créative de l’intérieur, franchissant les étapes à tâtons, butant contre les obstacles ou les outrepassant tout bonnement, comme si créer était la chose la plus naturelle qui soit. Il en va ainsi pour l’œuvre Blousons d’artiste.

À première vue, on a affaire à un dispositif de projection numérique d’une image lumineuse contre un mur blanc, une tapisserie d’environ 5m de large par 2,5m de hauteur qui se déploie du plancher jusqu’au plafond. Le motif de cette tapisserie se compose d’une vingtaine de manteau grandeur nature, en entier ou tronqué. Le modèle de celui-ci est un blouson de cuir orange-brûlé, tout droit sorti d’une garde-robe des années 70. Un arrière-plan de tissu satiné et torsadé de forme ovale comble les écarts entre les blousons. Après avoir jeté un regard englobant, l’œil est attiré par le mouvement qui rythme l’œuvre telle une pulsation cardiaque, avant de s’attarder à la lecture d’une seule veste.

(37)

Cette dernière, bien qu’évidemment suspendue au mur par un clou, et donc vide de toute présence humaine, laisse apparaître de ses manches deux mains à demi-fermées. Elles semblent se tenir le long d’un corps, éminemment absent. Ces mains sont fraîches, d’une teinte qui contraste avec le blouson par sa présence actuelle, issue du présent, ce qu’amplifie le mouvement saccadé, répétitif et obscur qui les habite. Toutes deux bougent, mais seule celle de droite tient un objet noir en ses doigts et opère une action. Elle se contracte et, du pouce, elle presse sur l’objet. Une fois, dix fois, cent fois répété en une interminable prière du Rosaire. Par une heureuse déduction, il est possible de conclure que le pouce appuie sur le bouton d’une manette. De même, par une perspicacité divine, l’illuminé comprendra peut-être qu’est actionné par ce geste le déclencheur à distance de l’appareil photo, celui-là même photographiant le sujet main. Mais trêve de réponses soufflées, car le

spectateur moyen n’a très certainement pas suivi ce raisonnement poussé et

s’intéresse plutôt à percevoir les différentes qualités de matière dans l’œuvre.

Ainsi, le regardeur constatera qu’il y a sensiblement une valeur ajoutée au blouson de cuir, que sa présence matérielle exprime un décalage entre lui et les fragments qui l’entourent. L’un des écarts se perçoit dans la luminosité de la veste, plus sombre, plus riche et empreinte d’un effet tridimensionnel, alors que les mains et le médaillon de tissu qui l’entoure sont éclatants de lumière.

Au stade d’observation où le spectateur se situe, il y a fort à parier qu’il s’est rapproché de l’œuvre au point qu’il a soit obstrué le faisceau lumineux de la projection et ainsi observé que la veste sérigraphiée, découpée et fixée au mur

demeure visible malgré l’ombre qu’il y projette, soit il perçoit le principal

changement au cours de l’œuvre : la lente révélation d’un blouson sans la superposition photographique de la projection. L’un dans l’autre, le spectateur peut comprendre alors qu’une image animée est projetée sur une image fixée au mur.

(38)

Le dispositif de présentation de l’œuvre dévoilé en partie, le spectateur est libre de poursuivre son exploration, d’observer et de chercher à comprendre les raisons qui sous-tendent une telle mise en scène d’esthétique vintage et d’image-mouvement.

4.1.1 Erreur sur la référence

Il est important de spécifier, avant de sauter à des conclusions hâtives, que Blousons

d’artiste n’est pas une variation sur un même thème de la série Vestes de Betty

Goodwin. Il y a bien certains liens à faire entre le rapport au vêtement de Goodwin et le mien, puisque, dans une certaine mesure, nous explorons tous deux la trace et l’absence, l’autre et soi. Nos chemins se séparent lorsqu’il est question d’une notion autobiographique dans l’œuvre, telle qu’elle se présente chez Goodwin, alors qu’elle relate son père qui fut tailleur. Personnellement, le blouson ne représente pas une entité biographique, mais bien l’écart entre son apparence et le statut qui lui est attribué par le titre. Cela dit, je ne souhaite pas développer plus exhaustivement sur cette simili référence.

4.1.2 L’image photographique

Contrairement à ma pratique artistique habituelle, Blousons d’artiste est une œuvre entièrement composée d’éléments photographiques personnellement capturés. Il n’y a donc pas l’habituelle représentation en dessin d’une image cinématographique, ni la reproduction et la réinterprétation de l’esquisse en peinture, ou l’utilisation de la reproduction par la technique du transfert dans l’intention d’induire au fragment collagé un impact visuel et temporel réaliste et passéiste, non plus qu’il y ait une multiplication des perspectives servant à moduler divers espaces bidimensionnels dans le tableau. Pourtant, Blousons d’artiste est un tableau qui active des concepts et des affects proches de mes tableaux-écrans, peut-être même de manière plus simplifiée. Ainsi, on y retrouve le rapport au médium photographique et cinématographique, à l’image passée et présente, à l’objet et à l’humain sous une forme repensée.

(39)

L’effet ressentit chez moi lorsque j’utilise la photographie en tant que médium créatif s’apparente à ce qu’exprime Walter Benjamin dans The Work of Art in the Age of

Mechanical Reproduction : « For the first time in the process of pictorial

reproduction, photography freed the hand of the most important artistic functions [soit la restitution de la réalité] which henceforth devolved only upon the eye looking into a lens.45 » Qu’elle soit produite par moi ou reproduite au sein de médias imprimés, l’usage de la photographie libère momentanément mon art d’une intention de restitution – en dessin ou en peinture – de la réalité. Il n’y est donc plus question d’user d’une habileté et d’une dextérité révélant le savoir-faire artistique, ses capacités comme ses limites, mais plutôt d’œuvrer à rendre une idée sous une forme impersonnelle, universelle. Outre son instantané pouvoir de captation du réel, le phénomène photographique produit un effet propre à ce médium, que Jean-Marie Schaeffer qualifie de décalage temporel. « L’image photographique ouvre l’écart temporel : elle fait surgir le temps comme passé [autrement dit] l’écart temporel naît du savoir de l’arché, c’est-à-dire du fait que nous savons que l’icône est la rétention visuelle d’un instant spatio-temporel « réel »46 » Par le fait même, la perception de la valeur passéiste contenue dans le fragment photographique est l’impact recherché de son utilisation.

Cette fixation du réel au temps passé devient des plus intéressante lorsqu’elle est mise en relation à l’image-mouvement, qui, « toujours de nouveau, ferme l’abîme et ouvre le temps comme présence.47 » Le spectateur qui fait l’expérience visuelle d’une empreinte photographique sur laquelle est projetée une image mobile en « flux perceptif actuel », se retrouve confronté à une œuvre qui se révèle sous deux échelles de perception temporelle opposées et porteuses d’ambiguïtés. Le sujet est d’abord une image qui se donne par présentification, le souvenir qu’évoque le blouson. Pourtant, ce souvenir résiste à être fixé dans cette relation exclusive à la mémoire grâce au mouvement des mains. Ces dernières confèrent alors à l’image une présence

45 Benjamin, Walter, The Work of art in the age of mechanical reproduction, op. cit., p. 219

46 Schaeffer, Jean-Marie, L’image pércaire du dispositive photographique, op. cit. p. 65 47 Ibid.

(40)

constamment renouvelée, étant la présentation directe du « […] ce qui est, est là devant moi.48 ».

Au final, une telle œuvre exprime une volonté implicite de transposer visuellement un état de la société contemporaine, porteuse qu’elle est d’un passé toujours présent. Car la mémoire, l’histoire, les médias, les objets, l’architecture, etc., sont bels et bien les preuves tangibles que notre réalité est baignée dans un déjà-vu matériel héréditaire des époques antérieures.

48 Bonfand, Alain, Le cinema saturé : essai sur les relations de la peinture et des images en

(41)

4.2 Le Lion, la veuve et Truman

« Je suis le lion imberbe, la biche empoisonnée Pour boire, vite venez

À ma source gardée Dans un nuage de pleurs, de vagues ambiguïtés

Pour boire, vite venez À ma source gardée…49 » - Pierre Lapointe

Figure 11

Samuel Breton, Le Lion, la veuve et Truman, 2012

L’œuvre picturale Le Lion, la veuve et Truman aurait certainement pu être renommée d’après le poème ci-dessus cité de Pierre Lapointe. Le lion imberbe et la biche

empoisonnée semblent, en effet, représenter les principaux acteurs de ce tableau. Bien

qu’octroyer un titre référant à la prose d’un chanteur populaire aurait eu l’avantage d’inscrire l’image dans une lecture culturelle et allégorique, ce geste jurait avec l’élément sonore du tableau. J’ai préféré le présent titre pour une raison également

Références

Documents relatifs

Plusieurs interventions exceptionnelles sont aujourd’hui en cours de réflexion, majoritairement à moyens constants, avec des choix complexes et subtils à opérer : maintien

La conférence Image, imaginaire, représentation, organisée par la Faculté des Lettres de l’Université « Vasile Alecsandri » de Bacău, réunit les

préféré en argumentant Capsule audio ou vidéo de 1mn Choisir , se mettre d’accord sur les mots importants qui caractérisent le film 5 ou 6 mots clés. Mots clés

a- Une activité sportive qui développe le bien-être chez un individu b- Une discipline scolaire qui développe les capacités chez un individu c- Une activité sportive qui

a- Est également utilisé au saut en hauteur b- Est également utilisé aux sauts horizontaux c- Est également utilisé aux sauts verticaux d- Aucune réponse n’est

Elle ne peuvent pas décrire une image trop complexe comme une photographie, mais sont tout à fait adaptées au rendu typographique, aux logos et autres formes aux tracés simples....

[r]

Depuis 2001, la notion de « personne à mobilité réduite » (PMR) a fait son apparition pour désigner « Toutes les personnes ayant des difficultés pour utiliser les transports