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3. Facteurs impliqués dans la pathogenèse induite par l’infection

3.2. Déterminants bactériens

3.2.3. Facteurs de virulence et de colonisation

3.2.3.1. L’îlot de pathogénicité cag

Une grande proportion des souches cliniques de H. pylori (entre 50 et 70%) sont porteuses d’un îlot de pathogénicité appelé cag. L’îlot comporte environ 30 gènes pour une taille de 37 kbp. La majorité de ces gènes codent pour les protéines de structure ou d’assemblage d’un système de sécrétion de type 4 (T4SS) (Censini et al, 1996). Cette région, acquise par transfert horizontal, est l’une des plus variables du génome de H. pylori. L’îlot peut en effet être entièrement présent, interrompu, comporter quelques délétions ou être totalement absent. Les souches possédant cet îlot sont très fortement associées à un risque accru de développement d’ulcères ou d’adénocarcinomes gastriques. Ainsi, 90% des souches responsables de cancer possèdent un îlot cag fonctionnel. Ces souches cag+ sont plus

fréquentes en Asie (Blaser et al, 1995; Nomura et al, 2002).

Les T4SS constituent une famille de systèmes de transport de macromolécules largement distribuée chez les bactéries. Ils sont constitués d’une seringue moléculaire qui est impliquée dans le transfert ou la captation d’ADN et l’injection d’effecteurs dans les cellules de l’hôte, le milieu extérieur ou dans un partenaire bactérien. Le modèle du genre est le T4SS de Agrobacterium tumefaciens, bactérie oncogène de plantes qui transforme les cellules végétales hôtes par injection de matériel génétique et de protéines. Le T4SS de A. tumefaciens contient

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11 gènes (virB1 à virB11) et un gène codant pour une protéine de reconnaissance du substrat (virD4). Le T4SS de H. pylori est néanmoins peu homologue à ce prototype, et seulement quelques gènes possèdent des similitudes significatives avec le T4SS de A. tumefaciens (Kutter et al, 2008).

L’extrémité du T4SS de H. pylori, formée par la protéine CagL, lie le récepteur à l’intégrine

15 présent à la surface des cellules épithéliales (Kwok et al, 2007). Le T4SS agit ensuite comme une seringue permettant l’injection de la protéine CagA (codée par un gène de cag, cagA) et de fragments de peptidoglycane dans la cellule hôte (Viala et al, 2004). L’interaction du T4SS avec la cellule et l’injection des fragments de peptidoglycane et de CagA est la principale cause de la synthèse d’IL-8 par les cellules gastriques, conduisant à une inflammation importante.

CagA est une protéine effectrice pro-oncogène. Son injection a des effets importants sur la biologie des cellules gastriques (Figure 10). Une fois dans la cellule hôte, CagA est phosphorylée par les kinases de la famille Src, sur les tyrosines de ses motifs EPYA, situés en Cter de la

protéine. Le nombre de motifs EPYA est variable d’une souche à l’autre et c’est notamment parce que les souches asiatiques possèdent plus de motifs EPYA qu’elles sont associées à une fréquence plus élevée de cancers gastriques. Suite à sa phosphorylation, CagA activée peut lier le motif SH2 de la tyrosine-phosphatase SHP-2 et dérégule son activité phosphatase, qui, en retour déphosphoryle la kinase FAK. Une autre étude a identifié la cortactine, protéine liant l’actine, comme une nouvelle cible en aval de la kinase ERK, activée par CagA. Lors de l'infection, la cortactine sérine-phosphorylée interagit avec ERK et stimule l’activité de la kinase FAK. Il en résulte des changements importants dans l’adhésion des cellules épithéliales, conduisant à une dispersion de l’architecture tissulaire. CagA phosphorylé induit un changement spectaculaire de la morphologie cellulaire ; la cellule adopte une forme allongée, dite phénotype colibri (Churin et al, 2003). De plus les cellules subissent un relâchement des jonctions serrées et sont sujettes à migration. Ces deux phénomènes sont courants dans les processus de tumorisation (Tegtmeyer et al, 2011b; Higashi et al, 2002; Selbach et al, 2002; Stein et al, 2002; Lai et al, 2011). Enfin, CagA stimule différentes voies de signalisation et conduit à la production de cytokines, de facteurs de prolifération, et de protéines anti-apoptotiques (Figure 10) (Lin et al, 2010).

CagA exerce aussi ses effets de manière indépendante de la phosphorylation des motifs EPYA. CagA active le facteur NFAT en stimulant la calcineurine. CagA est aussi capable de déréguler la voie de la β-cathénine et de rompre l’équilibre E-cadhérine/β-cathénine. L’activation

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de la β-cathénine a été associée au processus d’oncogenèse dans le modèle gerbille d’infection à H. pylori (Franco et al, 2005).

CagA peut aussi stimuler de nombreuses autres voies de signalisation impliquées dans la prolifération cellulaire, ayant pour conséquence l’activation de c-Fos et c-Jun, protéines proto- oncogènes (Meyer-ter-Vehn et al, 2000). CagA est également responsable d’un phénomène de transition épithélio-mésenchymateuse dans les cellules épithéliales, suggérant là aussi un lien de cette protéine avec l’oncogenèse (Saito et al, 2010).

Figure 10 Modèle de pathogenèse intégrée induite par le T4SS et les adhésines de H. pylori

Les numéros entourés indiquent l’ordre des évènements dans la cascade des effets produits par l’îlot cag et CagA. Figure adaptée de (Tegtmeyer et al, 2011a)

Les mécanismes décrits ici ne sauraient en aucun cas être exhaustifs, tant les effets de cag, CagA dépendants ou indépendants, sont nombreux (Figure 11). Pour une revue, voir (Tegtmeyer et al, 2011a). L’injection de CagA et de fragments du peptidoglycane par le T4SS, et leurs effets sur la synthèse de molécules pro-inflammatoires, la prolifération cellulaire et l’inhibition de l’apoptose, en font un des déterminants majeurs de la physiopathologie de l’infection à H. pylori.

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Figure 11 Rôle du T4SS de H. pylori dans l'altération des voies de signalisation cellulaires (A) Effets du contact du T4SS avec les cellules gastriques. (B) Effets de CagA, dépendants de la phosphorylation de CagA, sur la physiologie cellulaire. (C) Effets de CagA, indépendants de la phosphorylation de CagA, sur la physiologie cellulaire. Figure adaptée de (Tegtmeyer et al, 2011a)