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2.2 L’évolution de Schramm-Loewner

2.2.1 L’évolution de Loewner

Pour expliquer le concept d’évolution de Loewner, supposons d’abord un ouvert E du plan complexe muni d’une « fente » continue K prenant nais- sance depuis un point se trouvant sur la frontière de E. L’évolution de Loewner est l’unique application conforme g : E\ K → E permettant de retirer K de E, comme illustré à la figure2.1. L’existence d’une telle trans- formation est garantie par le théorème suivant.

FIGURE2.1 – La fente K est absorbée dans la frontière par l’évolution g.

Théorème 2.2.1 (Riemann). Soit E ⊂ C un ouvert simplement connexe non

vide du plan complexe. Il existe une transformation conforme bijective entre E et le disque unité D = {z ∈ C : |z| < 1}.

En vertu de ce théorème, on peut écrire l’évolution sous la forme g = φ−1◦ ψ,

où φ : E → D et ψ : E \ K → D sont deux transformations conformes bijectives.

Le problème général abordé par Loewner [75] en 1923 est celui d’une courbe croissante γ : R+ → E débutant son parcours en z = a, sur la fron- tière de E, et le terminant en z = b, à l’intérieur du domaine. Une telle courbe correspond à une évolution radiale. Nous allons plutôt considérer le problème où b se trouve également sur la frontière : dans ce cas, on parle plutôt d’évolution chordale. Puisque la courbe croît avec un certain paramètre, en l’occurence t, l’évolution de Loewner correspond à une fa- mille de transformations conformes gKt de E\ Ktvers E où Kt = γ(0,t]est la trajectoire de la courbe jusqu’en t.

D’après le théorème2.2.1, il existe une bijection entre le demi-plan su- périeur H = {z ∈ C : Im (z) > 0} et le disque unité : celle-ci est d’ailleurs donnée par la transformation de Möbius g : D → H (éq. (1.5.6))

g(z) = i(1 + z) 1 − z .

Les transformations conformes bijectives du demi-plan supérieur f : H → H ont la même forme que les transformations conformes globales, c’est-à- dire

f(z) = kz + l

mz + n avec kn − lm = 1,

sauf qu’ici les paramètres k, l, m et n sont réels. Il s’ensuit que toute trans- formation de ce type est complètement déterminée en spécifiant l’image de trois points se trouvant sur la frontière (incluant z = ∞). Grâce à cela, on pourra considérer, sans perte de généralité, que la courbe γ croît dans H plutôt que dans un ouvert général E et que les points a 7→ γ0 = 0 et b7→ γ=∞. Dans ce contexte, c’est l’axe réel qui absorbe la trajectoire Kt sous l’action de gKt.

Avant d’aborder la définition formelle d’une évolution de Loewner, certaines précisions doivent être apportées. Tout d’abord, la définition sui- vante clarifie la question des courbes continues sur H auxquelles corres- pond une évolution.

Définition 2.2.1 (Coquille). Un sous-ensemble compact K de H tel que H\ Kest simplement connexe et K = K ∩ H est appelé coquille.

La notation A signifie la fermeture de A, c’est-à-dire que A contient A et les points à sa frontière. En particulier, H = H ∪ R ∪ {∞}. Une courbe décrite par une évolution est telle que sa trajectoire, ainsi que le domaine bordé par celle-ci, s’il y a lieu, constituent une coquille. Pour illustrer la définition précédente, deux exemples sont affichés à la figure2.2. En2.2(a), Kt = γ[0,t] ∪ D, ce qui constitue bien un sous-ensemble compact de H. De plus, H \ Ktest simplement connexe. Finalement,

Kt∩ H = (γ[0,t]∪ D) ∩ H = Kt.

La figure2.2(b)illustre un exemple où Ktn’est pas une coquille. Soit Kt = γ[0,t], tel qu’illustré. Alors Ktest compact et H \ Ktest simplement connexe.

0

(a) Kt= γ[0,t]∪ D

0

(b) Kt= γ[0,t]

FIGURE2.2 – La courbe γ en (a) est associée à une coquille mais pas celle en (b).

Par contre,

Kt∩ H = γ[0,t]∩ H = γ[t0,t] 6= Kt.

En vertu de la définition2.2.1et des exemples précédents, une courbe continue γ : R+ → H donne lieu à une coquille Kt, définie comme l’union de sa trajectoire γ[0,t]et des domaines englobés par celle-ci, si la trajectoire respecte ce qui suit :

(i) la trajectoire peut être tangente à elle-même en un nombre dénombrable de points mais elle ne doit jamais pénétrer dans Ktultérieurement ;

(ii) la trajectoire peut toucher l’axe réel en un nombre dénombrable de points mais, après chaque contact, elle doit repartir immédiatement vers H. Le point (i) implique que la trajectoire ne peut s’intersecter elle-même ni être « coincée ». Par exemple, à la figure 2.2(a), une courbe de trajectoire appropriée ne peut pénétrer à l’intérieur de D pour t > t0 (ici t0 désigne le temps où la courbe « rebondit » sur sa trajectoire). L’ensemble des points de tangence de la courbe avec elle-même et avec l’axe réel est dénombrable et peut donc être infini.

Voici le théorème définissant formellement une évolution de Loewner. À partir de maintenant, on abrège gKt par gt.

Théorème 2.2.2 (Loewner). Soit une courbe γ : R+ → H décrivant une co- quille Kt. Une évolution de Loewner est une famille{gt : t ≥ 0} de transfor- mations conformes de H \ Kt→ H satisfaisant

˙gt(z) = 2 gt(z) − Ut

, g0(z) = z,

pour tout point z ∈ H \ Kt. L’équation différentielle ci-dessus détermine complè- tement la fonction continue U : R+ → R représentant l’image du point γt par gt.

L’effet d’une transformation gtsur le demi-plan supérieur est illustré à la figure2.3. La figure2.3(a) présente une courbe, débutant son parcours en z = 1, qui décrit un demi-cercle de rayon|z| = 1. Deux points γt1et γt2tels que t2 > t1y sont également affichés. À la figure2.3(b), le retrait de Kt2est complété par gt2. On observe que tous les points de γ[0,t2)sont dédoublés par la transformation. On peut imaginer que l’action de l’évolution scinde la trajectoire en deux, en déplaçant simultanément sur l’axe réel les points z = 1− et z = 1+ vers la gauche et vers la droite, respectivement. Sur la figure, les deux images du point γt1 sous gt2 ont été notées g

t2(γt1) et g+t

2(γt1). Seul le point γt2 de l’ensemble γ[0,t2]n’est pas scindé par gt2: son image correspond au nouveau point « d’entrée » de la courbe sur l’axe réel, c’est-à-dire que gt2(γt2) = Ut2.

Lorsque la fonction U est remplacée par un mouvement brownien, on obtient une évolution de Schramm-Loewner (SLE).

Définition 2.2.2. Une évolution de Schramm-Loewner est l’évolution de Loew- ner obtenue en considérant Ut = √κ Bt, où κ ∈ [0,∞) et où Bt est un mouvement brownien.

La courbe γ, en correspondance avec U, décrit dans ce cas une trajectoire aléatoire. Celle-ci est presque sûrement1(p.s.) continue mais non différen- 1Cette expression signifie que l’événement en question est réalisé avec probabilité 1.

0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 -0.5

-1.0 -1.5

(a) La courbe γ décrit un demi-cercle de rayon|z| = 1.

0.0 0.5 1.0 1.5 2.0

-0.5 -1.0

-1.5

(b) L’image de H \ Kt2sous l’évolution gt2.

FIGURE 2.3 – Une partie de la courbe en demi-cercle est retirée de H par

gt2.

tiable ; il s’agit d’une courbe fractale. Il est courant de dénommer par SLEκ une telle courbe γ. La valeur du paramètre κ affecte le comportement de la courbe aléatoire. Lorsque κ = 0, la courbe correspondante est γt = 2i√t dont la trajectoire est une droite verticale. À mesure que κ augmente, la courbe acquiert un comportement de plus en plus chaotique. Pour κ ≤ 4, la trajectoire de la courbe est p.s. simple, c’est-à-dire qu’elle ne possède pas de point d’auto-tangence. Pour 4 < κ < 8, la trajectoire est p.s. non-simple et, pour k ≥ 8, elle remplit tout l’espace. Finalement, il a été montré par Beffara [11] que la dimension fractale (de Hausdorff) de la trajectoire d’une courbe SLEκest min(1 + κ/8, 2), presque sûrement.

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