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L ES  D ÉPLACÉS  I NTERNES  :   C ATÉGORIE JURIDIQUE   D ’ ORDRE  NATIONAL

AUTOUR DES CATÉGORIES JURIDIQUES

L ES  D ÉPLACÉS  I NTERNES  :   C ATÉGORIE JURIDIQUE   D ’ ORDRE  NATIONAL

Contrairement aux personnes qui ont dépassé les frontières de leur pays d’origine pour chercher l’asile ailleurs, les déplacés internes ne bénéficient pas des droits légaux stipulés dans le cadre de la convention de 1951 ou du protocole de 1967.

La catégorie de « déplacé interne » n’a pas de fondement juridique et ne donne pas aux personnes de statut légal au niveau international. La souveraineté garantit aux Etats le total contrôle et l’autorité sur leur territoire national et sur leurs citoyens, ce qui limite l’intervention de la communauté internationale dans les affaires internes. Par conséquent, c’est aux gouvernements étatiques que revient la responsabilité d’intervenir sur les populations déplacées à l’intérieur de leur territoire.

Néanmoins, le problème se pose lorsque ces Etats se voient incapables de protéger les populations déplacées ou que, délibérément, elles refusent de le faire. Tenant compte de ces circonstances qui deviennent un véritable défi pour la communauté internationale avec la fin de la Guerre Froide, la problématique du déplacement interne forcé émerge entant que sujet d’intérêt international. C’est en 1992, lors du premier rapport du Secrétaire Général de l’ONU concernant les « Droits de l'homme et des personnes déplacées dans leur pays»11, que la première définition officielle, toujours en vigueur, est apparue. Selon celle-ci, les déplacés internes sont des:

11 Haut-commissariat aux Droits de l’Homme : Quarante-neuvième session. Document en ligne sur : http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/G93/105/96/PDF/G9310596.pdf?OpenElement

«personnes ou groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un Etat »12

Cette définition est au cœur de principes et normes humanitaires, ainsi que de mécanismes complexes de coordination créées par des agences onusiennes et ONGs qui cherchent à répondre à cette problématique. Ce qui est central dans la présente analyse, c’est de se distancier de cette catégorie de « déplacé interne » pour mettre en évidence les processus d’objectivation du sujet déplacé. En effet, il est pertinent de s’interroger sur les raisons qui expliquent que la communauté internationale ne s’intéresse pas aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qu’à partir des années 1990.

Dans l’article « Du terrain au droit, du droit sur le terrain ? Origines et trajectoires du label

“déplacé Interne” », Cécile Dubernet (2007 : 3) s’intéresse au contexte géopolitique dans lequel cette catégorie a été créée et insiste sur le fait que c’est « la volonté occidentale de cantonner des réfugiés dans les zones de conflit qui fut à l’origine de l’émergence du phénomène dans les radars humanitaires des années 1990 ». Dubernet explique qu’avec la fin de la Guerre Froide, lorsque de nombreux Etats se trouvaient fragilisés, voir dissous, et que des conflits se développaient dans différentes régions du monde, le phénomène des déplacements forcés est devenu une problématique importante pour la communauté internationale. Dès lors, les interventions se font in situ, la stratégie adoptée étant d’intervenir directement dans les zones touchées et d’apporter l’aide humanitaire d’urgence aux personnes affectées.

Bien que les organisations internationales et non gouvernementales dénoncent la situation critique des personnes déplacées internes (connues également sous l’acronyme anglais fort réducteur de IDPs qui simplifie davantage la figure d’ Internally Displaced Persons) et, qu’en 1998, les estimations s’élèvent à environ 25 millions de personnes déplacées dans le monde13, il n’existe pas d’organisme ni d’institution spécifique chargée de cette population considérée dans la littérature humanitaire internationale comme « the largest at-risk population in the world »14. L’idée de créer une agence internationale responsable exclusivement du phénomène de

12 Ibid. : Principes directeurs, Introduction, paragraphe 2

13 Cohen et Deng, 1998 :1

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déplacement interne est évoquée, mais des tensions politiques au sein des différentes organisations impliquées font que cette proposition a été rejetée et que l’approche coopérative en vigueur a été maintenue (Dubernet 2007).

Suite à une mise en question de l’efficacité des mesures prises sur le terrain, les efforts de la communauté internationale (à travers le HCR, le CICR, le HCDH, des institutions de recherche, entre autres) se sont dirigés vers la mise sur pied d’un cadre normatif concernant le déplacement interne et tenant compte des causes du déplacement, des formes des flux et catégories de personnes déplacées, types de zones d’arrivée et des impacts du déplacement sur les personnes déplacées, ainsi que sur les sociétés d’arrivée.

Francis M. Deng, représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour les personnes déplacées entre 1992 et 2004, a été chargé durant son mandat « d'établir un cadre normatif approprié » au sujet des personnes déplacées internes. En 1998, le représentant spécial et son équipe de travail publient Les Principes Directeurs des Nations Unies sur le Déplacement Interne, document présentant 30 principes qui cherchent à poser les normes en vigueur, à préciser et à combler les lacunes de la législation internationale concernant la protection des déplacés internes.

Ce qui est en question ici, c’est de montrer dans quelles circonstances la catégorie de « déplacé interne » a été créée au niveau international. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas à d’une catégorie juridique internationale qui permet d’attribuer un statut légal aux personnes (ceci étant donné que le phénomène s’inscrit à l’intérieur des Etats-Nations), mais d’une catégorie normative qui cherche à guider des actions et interventions (humanitaires) sur des populations déplacées. La principale volonté qui se trouve derrière ces principes, c’est qu’ils soient acceptés en tant que « normes morales » et qu’ils soient utilisés notamment par les Etats touchés par le phénomène :

« Les Principes directeurs devraient fournir une orientation pratique extrêmement utile aux gouvernements et autres autorités compétentes, ainsi qu'aux organisations intergouvernementales et non gouvernementales dans l'exécution de leurs activités ayant trait aux personnes déplacées. J'espère que ces principes seront largement diffusés et recevront une application concrète sur le terrain »

(Cohen et Deng, note liminaire, 1998)

Nous avons analysé jusqu’à maintenant comment la catégorie de déplacé interne a été créée au niveau international et j’ai mis en évidence quelques aspects du contexte géopolitique, mes propos se basent sur la littérature internationale humanitaire et notamment sur l’ouvrage de Cohen et Deng. Par la suite, je vais diriger mes réflexions concernant la catégorie juridique de déplacé interne en Colombie. Je tire mes propos de l’analyse de textes juridiques colombiens comme la Loi 387 de 1997 concernant « la prévention du déplacement interne forcé et attention aux déplacés»15 et des études réalisés par des institutions gouvernementales et notamment par La Defensoria del Pueblo (Défenseur du Peuple), institution de l’Etat Colombien responsable des politiques relatives aux Droits Humains et aux institutions sociales de l’Etat. Etant donnée l’importance des organisations internationales et des ONG dans le cadre de ce phénomène j’analyse également des textes réalisés notamment par La Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento (CODHES), ONG colombienne qui traite de près le phénomène de déplacement forcé en Colombie depuis 1985 et des rapports de l’HCR en Colombie (ACNUR : Alto Comicionado de las Naciones Unidas para los Refugiados).