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Introduction

Si l’éducation scolaire apporte de nombreux bénéfices privés et sociaux recensés par la

littérature, et contribue à la croissance des pays, pourtant elle ne peut souvent être reçue à son

terme dans les PED. Alors que les enfants se rendent à l’école primaire pour y apprendre les

connaissances fondamentales de base, certains en sont tôt ou tard empêchés par l’insuffisance

de revenus de leurs parents, si ce n’est en raison d’une offre scolaire défaillante, conduisant

alors à une décision de déscolarisation provisoire ou définitive.

Malgré tout, les objectifs des acteurs du développement en faveur de l’Éducation pour tous

(EPT) pris en 2000 lors du Forum mondial sur l’éducation de Dakar et à atteindre en 2015,

conjugués aux OMD 2 et 3, ont permis que les taux de scolarisation s’améliorent dans les

PED, même si la situation scolaire n’a pas évolué de la même façon dans tous les pays.

Ainsi à Madagascar, notre terrain d’étude, le taux d’achèvement du primaire n’est encore que

de 74% en 2010 (EPM, 2010). Trop d’enfants sont déscolarisés avant d’avoir pu terminer un

cycle primaire, alors que ce niveau est théoriquement gratuit et obligatoire, et apporte les

bases fondamentales pour s’en sortir un minimum dans la vie d’adulte. Beaucoup de facteurs

déterminent un parcours de scolarisation, qu’ils tiennent du côté de la demande ou de l’offre

d’éducation. Nous nous proposons donc au cours de ce chapitre de voir quels sont les

principaux bénéfices privés qui peuvent être retirés de l’éducation, que ceux-ci soient

rapportés par la théorie économique du capital humain ou par la sociologie de l’éducation.

Nous défendons ainsi l’idée d’une diffusion de l’information des bienfaits de l’éducation, qui

améliorerait probablement sa valeur auprès des parents et de leurs enfants, respectivement les

investisseurs et les bénéficiaires de l’investissement scolaire. Enfin, nous terminerons par

mettre en lumière quelques statistiques caractéristiques du cycle primaire à Madagascar, qui

s’est dégradé en raison d’un manque de dépenses publiques depuis la crise politique de 2009.

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4.1 L’éducation scolaire : source du capital humain et de nombreux

bénéfices privés et sociaux.

4.1.1 L’éducation comme fondement du capital humain.

Tout d’abord, il convient de déterminer à partir de quel moment la notion de capital

humain est intervenue en économie, car c’est à partir de là que le rôle de l’éducation, intégrée

au capital humain, prit son importance. Dans les modèles de croissance néoclassiques des

années 1950-1960, dont le fameux modèle de Robert Solow de 1956 avec progrès technique

exogène, les fonctions de production comportaient comme facteurs de production le capital et

le travail, la notion de capital humain n’existant pas encore. Les modèles de cette période

testent notamment le rôle de l’éduction dans la productivité du travail. C’est à partir des

travaux de Robert Solow que Théodore W. Schultz (prix Nobel d’économie en 1979), Gary

Becker (prix Nobel d’économie en 1992), rattachés à l’Ecole de Chicago, Jacob Mincer et

Edward Denison, vont développer la théorie du capital humain dont ils sont à l’origine.

Le capital humain désigne le stock de connaissances incorporées aux individus et valorisables

économiquement : ce sont les qualifications mais aussi l’état de santé et la nutrition (Guellec

& Ralle, 2003). De plus le capital humain s’acquiert dans des contextes aussi différents que

l’éducation parentale, l’éducation scolaire, la confrontation aux problèmes du quotidien ou le

travail en milieu professionnel (Chamak & Fromage, 2006).

C’est plus particulièrement Becker (1964) qui est considéré comme étant à la base de la

théorie du capital humain et qui à partir de son ouvrage fondateur, théorise dans une approche

microéconomique l’investissement éducatif que font les individus en fonction d’un choix

rationnel basé sur l’anticipation d’un meilleur salaire : l’investissement éducatif est à la base

d’un rendement privé (et social) suivant lequel la dépense d’éducation consacrée à la

formation de capital humain doit être compensée par des revenus anticipés du travail plus

élevés. Ainsi, les élèves qui n’appartiennent pas encore au secteur de la production, par le fait

d’étudier et de se former, acquièrent des talents et compétences qui permettent d’accroître

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l’efficacité future du travail. Pendant les années 1960, la dépense d’éducation est donc

considérée comme rentable car elle permet théoriquement d’accéder à des emplois plus

qualifiés et mieux payés (Stankiewicz & Léné, 2011), et c’est au début de ces années que

l’économie de l’éducation est apparue comme une branche à part entière de l’économie

(Todaro, 1989). L’âge d’or des théories de l’investissement dans le capital humain a lieu entre

1956 et 1973 (De Meulemeester, 2007). C’est d’ailleurs sur la base de la théorie du capital

humain et l’hypothèse « étudier plus implique de gagner plus » que repose l’évaluation

d’impact de Nguyen (2008) et l’expérimentation réalisée dans notre enquête, ainsi que la

relation économétrique testée entre niveau de diplôme et niveau de revenu, étudiées lors du

chapitre précédent. En effet, à l’aide d’une analyse de régression, Mincer (1958) établit

empiriquement que le diplôme explique le salaire, et T.W. Schultz (1961) écrit que

l’éducation explique la majeure partie de la productivité totale des facteurs. A contrario, ne

pas investir dans le capital humain peut apparaître rationnel pour certaines personnes (Joanis,

2004) : cela peut se comprendre si les perspectives d’emploi sont faibles, que le taux de

chômage est élevé, par vision négative de la valeur de l’école ou que la mise au travail d’un

de ses enfants s’avère nécessaire pour subvenir aux besoins financiers de la famille.

La théorie du capital humain présuppose donc que les individus sont rationnels, qu’ils

peuvent à l’avance anticiper tous les bénéfices et coûts associés à chaque niveau

d’enseignement, à la manière d’une analyse coût-bénéfice, et qu’en conséquence ils prennent

la décision adéquate en termes d’investissement dans leur capital humain. Si cette théorie est

essentielle en économie et a ouvert la voie à de nombreux travaux, il n’en reste pas moins

qu’elle repose selon nous sur une hypothèse forte : les individus savent calculer à l’avance les

rendements des différents niveaux d’éducation, d’où ils investissent adéquatement dans leur

capital humain, même si cet investissement est par nature risqué. Or dans des pays fragiles

tels que les PMA et encore plus pour les ménages ruraux, l’information est souvent de nature

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imparfaite, comme nous l’avons démontré au chapitre précédent pour le cas des parents

d’élèves malgaches, que ce soit en milieu rural ou urbain : avant délivrance d’information

statistique, 24,10% des 200 parents interrogés ne savaient toujours pas en fin d’année scolaire

si leur ESCM2 allait continuer sa scolarité au collège (cf. Graphique n°10 supra), dénotant

une certaine improvisation du choix d’investissement scolaire, bien loin du calcul réfléchi

effectué ex ante que présuppose la théorie du capital humain. Dans des pays qui plus est

vulnérables soumis à une occurrence de chocs divers, avec très peu de systèmes d’assurance,

l’horizon temporel se retrouve flou, et il peut être difficile de planifier la trajectoire scolaire

de son enfant et donc d’anticiper précisément un rendement scolaire, à moins qu’il n’y ait

aucun choc et que l’information soit parfaite sur les rendements de l’éducation, ce qui n’est

pas le cas comme on l’a vu dans le cas malgache (sous-estimation ou surestimation des

revenus mensuels moyens en fonction du diplôme). Ne pas chercher à évaluer tous les coûts et

bénéfices actualisés d’un investissement scolaire ou ne pas déterminer à l’avance une durée

précise de scolarisation s’avère rationnel dès lors qu’on tient compte d’un contexte

économique et social soumis aux incertitudes et au niveau d’information faible. Dans un pays

comme la France où la donne est tout autre, le choix d’investissement scolaire est mieux

déterminé car soumis à moins d’incertitudes : les parents tiennent généralement à ce que leur

enfant obtienne le Bac, et ce n’est que pendant la période de lycée que se pose la question du

choix ou non de la poursuite d’études dans le supérieur. Dans une perspective sociologique,

pour Gérard (2001, p. 70), « la scolarisation résulte en ce sens le plus souvent de compromis

entre des contraintes et des besoins. Elle est aussi le produit de représentations,

d’aspirations, et du rapport entre celles-ci et les possibilités […] de les satisfaire ». Si l’on ne

peut agir sur les contraintes, au moins peut-on introduire de l’information statistique sur les

gains scolaires, son effet positif ayant été démontré par Nguyen (2008) et par notre enquête,

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