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J’ai montré en partie I.B les grands principes et mécanismes qui gouvernent l’éducation des niches métastatiques. Des facteurs sécrétés solubles ou sous formes de vésicules ou

particules extracellulaires modifient à distance le phénotype des cellules de la niche,

induisant leur activation (réaction fibrotique des CAF, prolifération des cellules endothéliales et immunitaires), leur recrutement (cellules myéloïdes immunosuppressives, fibroblastes pro-angiogéniques) ou une transition phénotypique (polarisation des lymphocytes T, des macrophages, activation des fibroblastes). C’est un processus progressif qui s’autorégule du fait de modifications biochimiques et biophysiques locales et systémiques, avec la création d’un environnement chargé en molécules inflammatoires ou immunomodulatrices, ou plus

rigide (tension et organisation de la matrice extracellulaire), ou dont l’équilibre métabolique est modifié (déprivation en acides aminés, en glucides, en dioxygène, relargage de

métabolites secondaires).

Le ganglion forme un environnement particulier à plusieurs titres, dont l’homéostasie est finement régulée par les FRC. L’entrée et la circulation des molécules et des cellules suivent des voies définies et bien délimitées, au travers des sinus et des conduits du réseau interne. C’est un organe riche en cellules immunitaires, capables de répondre aux antigènes tumoraux, mais dont la réponse est aussi régulée par les FRC. Enfin, le ganglion forme une structure élastique capable d’accueillir un nombre de cellule beaucoup plus important qu’à l’état basal. Je vais à présent montrer comment l’éducation pré-métastatique du ganglion prépare cette niche particulière à l’implantation et au développement tumoral.

a. La génération d’un environnement immunosuppressif dans le ganglion

L’induction d’un environnement suppressif dans les ganglions régionaux drainants le mélanome est un phénomène précoce qui a lieu avant l’entrée des cellules tumorales. C’est l’un des premiers phénomènes induit dans le ganglion par les facteurs sécrétés tumoraux.

On retrouve dans les ganglions régionaux une signature de type tolérogénique, avec moins

de lymphocytes T CD8+ (Mansfield et al., 2011), plus de lymphocytes T régulateurs, et

moins de cellules dendritiques conventionnelles immunogéniques CD11c+. La fréquence de ces cellules dendritiques est également diminuée dans les tumeurs primaires correspondantes, ce qui donne un marqueur de pronostique précoce sur l’envahissement du

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ganglion sentinelle (Ma et al., 2012). Par ailleurs, le nombre de lymphocytes T régulateurs augmente dans les ganglions drainants des tumeurs de mélanome chez la souris (Riedel et al., 2016) (Figure 41).

Dans des ganglions sentinelles humains, l’activation des lymphocytes est aussi inhibée par la baisse d’expression des co-récepteurs activateurs CD80 et CD86 (Essner et Kojima, 2001) et du CMH de classe II (Huang et al., 2000) sur les cellules dendritiques matures (Figure 41). Bien que ce ne soit qu’une hypothèse, ces modifications pourraient être induites par les exosomes. Les exosomes de mélanome apportent des antigènes aux cellules dendritiques (Welfers et al., 2001) et induisent dans le ganglion lymphatique la surexpression d’un certain nombre de cytokines, parmi lesquelles le TNFα dans les LEC (Hood et al., 2009 ; Hood et al., 2011). Etant donné les interactions entre cellules dendritiques, lymphocytes T CD8+ et LEC, les auteurs suggèrent que ce dialogue peut être à l’origine de la dérégulation des signaux activateurs dans les cellules dendritiques (Hood, 2016).

L’ensemble de ces modifications peuvent servir de marqueurs précoces sur l’évolution loco- régionale du mélanome (Ma et al., 2012 ; Cochran et al., 2006).

b. Le remodelage vasculaire

Les sinus lymphatiques et vaisseaux sanguins sont profondément remodelés pendant l’éducation pré-métastatique du ganglion. Le phénomène proéminent est la lymphangiogenèse. La lymphangiogenèse est également un des processus très précoce, concomitant à la mise en place de l’immunosuppression, dans l’établissement de la niche pré-métastatique du ganglion lymphatique. L’angiogenèse semble au contraire relativement réduite (Harrell et al., 2007), avec une diminution du nombre global de HEV (Sleeman, 2015) dans les zones atteintes par les exosomes tumoraux, qui induisent dans les cellules stromales du ganglion l’expression de VEGF-A et de HIF-1α (Hood et al., 2011). Dans un modèle murin d’éducation pré-métastatique, le nombre de BEC et de LEC est augmenté dans les ganglions drainants les cellules tumorales, signe que lymphangiogenèse et angiogenèse ont bien lieu dans les ganglions pré-métastatiques du mélanome (Riedel et al., 2016).

La lymphangiogenèse est notamment induite par le facteur de croissance Midkine, qui agit via la voie mTOR (Olmeda et al., 2017) et elle est favorisée par l’augmentation du nombre de lymphocytes B et T dans le ganglion (Harell et al., 2007). Le remodelage des sinus lymphatiques du ganglion résulte d’une reprogrammation profonde des LEC, associée à une recomposition de la matrice extracellulaire intra-ganglionnaire. Ainsi les LEC sur-expriment les intégrines α2β qui leur permettent d’interagir avec le fibrinogène, le facteur I de la coagulation normalement présent dans le plasma qui forme ici une matrice répartie dans le stroma ganglionnaire (Commerford et al., 2018) (Figure 41).

c. L’éducation des FRC

Jusqu’ici étudiés avant tout pour leurs nombreuses propriétés dans la régulation de la réponse immunitaire, le rôle des FRC dans l’éducation pré-métastatique du ganglion n’a fait

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l’objet que d’une seule publication pour le mélanome (Riedel et al., 2016). Ce sont pourtant les cellules stromales les plus abondantes du ganglion, et ce sont elles qui régulent la microarchitecture et l’élasticité d’un organe carrefour de l’invasion tumorale.

D’après cette étude, les FRC font l’objet de profonds remaniements sous l’action des facteurs sécrétés de mélanome. Une seule équipe s’est pour le moment intéressée aux modifications qu’ils subissent au stade pré-métastatique chez la souris (Riedel et al., 2016). Leur étude se porte sur des ganglions drainants des mélanomes établis suite à une injection de la lignée B16 ou des mélanomes spontanés dans un modèle TyrCreBrafCAPtenlox.

Les FRC des ganglions drainant les tumeurs, dont le transcriptome est comparé avec une condition contrôle en RNAseq, montrent un état d’activation associé à leur prolifération comme en atteste leur nombre plus élevé et des marquages au Ki67, et à la avec la surexpression des gènes associés à la contractilité des CAF (ACTA2) et des FRC (PDPN) et d’autres gènes caractéristiques de l’activation (S100A4, vimentine et fibronectine). En accord avec ces résultats, ils présentent une contractilité accrue ex vivo comparativement aux FRC contrôles.

L’éducation des FRC semble provoquer la rupture de leurs fonctions de recrutement et de maintien des lymphocytes. Ils acquièrent un nouveau profil de sécrétion de cytokines et de chimiokines, avec la dérégulation de gènes associés au recrutement des cellules immunitaires, qui tend à créer un environnement plus tolérogénique (plus de lymphocytes T régulateurs) et moins prompt à l’activation des lymphocytes (moins de lymphocytes T naïfs). Cela s'explique notamment par le fait qu’ils sécrètent moins de CCL21 et moins d’IL7 (Figure

41). C’est en fait la structure globale du ganglion lymphatique qui est bouleversée, avec la

perte de la délimitation entre les zones T et les zones B, la présence de lymphocytes B autour des HEV et de lymphocytes T dans les vésicules.

L’exposition aux facteurs tumoraux modifie également le remodelage de la matrice par les FRC. D’après les données de RNAséq, les FRC des ganglions drainants expriment plus de

collagènes, notamment de collagène 3a, plus de fibronectine, et davantage de

matriprotéines comme SPARC (Figure 41). Suite à ces changements, l’analyse des ganglions en microscopie montre que l’architecture des conduits est modifiée. Ces derniers sont plus larges et laissent diffuser plus profondément de petites molécules comme du dextran injecté. Cela suggère que des molécules comme les facteurs tumoraux (cytokines, chimiokines, exosomes...) pourraient diffuser plus profondément dans le ganglion lymphatique et moduler des populations cellulaires situées au cœur de celui-ci.

d. Vers un environnement pro-tumoral ?

L’éducation pré-métastatique du ganglion lymphatique semble ainsi conduire à de profonds changements dans l’architecture du ganglion en affectant à la fois le réseau lymphatique (Commerford et al., 2018), et le réseau matriciel et architectural maintenu par les FRC (Riedel et al., 2016). Mieux comprendre l’impact de l’éducation pré-métastatique sur la régulation

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des propriétés biomécaniques des FRC, ainsi que sur le dialogue qui s’établit entre les FRC et les cellules immunitaires reste crucial pour mieux comprendre si cette recomposition conduit à un environnement favorable à l’installation tumorale.

La recomposition de la structure réticulaire lors d’infections virales comme le HIV, conduit à une hyper-sécrétion de collagène, moins de sécrétion d’IL7, un accès réduit des lymphocytes aux cytokines et aux chimiokines et induit l’apoptose des FRC naïfs (Zeng et al., 2012). Lors de la progression tumorale la sécrétion de matriprotéines tels que la ténascine C ou SPARC inhibe la prolifération des lymphocytes T (Parekh et al., 2005) et le maintien de macrophages et de neutrophiles pro-tumoraux (Alvarez et al., 2005). J’ai également évoqué que les matrices riches en fibronectine contraignent les lymphocytes en dehors de ces zones de matrice dense (Salmon et al., 2012). On constate ainsi que la réorganisation du milieu stromal et de la matrice extracellulaire modifie complètement les réponses immunitaires et la migration des cellules tumorales et immunitaires (Peranzoni et al., 2013). Par ailleurs, un espacement plus large du réseau de FRC (Riedel et al., 2016) peut conduire à moins de contact avec les lymphocytes et une activation moins efficace (Astarita et al., 2015)

Les modifications observées dans les ganglions pré-métastatiques, comme la réorganisation des conduits, le dépôt de nouvelles fibres tel que le fibrinogène, et l’activation des FRC, suggèrent que l’environnement ganglionnaire passe d’un statut favorable au mouvement, au maintien et à l’activité des lymphocytes, vers un statut immunosupprimé, et dont les caractéristiques concernant la matrice extracellulaire, le remodelage vasculaire et l’activation des FRC sont analogues à celles des environnements pro-tumoraux.

Les observations faites dans le ganglion pré-métastatique, avec la réorganisation des conduits, le dépôt de nouvelles fibres tel que le fibrinogène, et l’activation des FRC, semblent conduire de l’environnement réticulaire favorable au mouvement et au maintien des lymphocytes vers un environnement immunosupprimé et dont les caractéristiques concernant la matrice extracellulaire, le remodelage vasculaire et l’activation des FRC sont analogues à celles des environnements pro-tumoraux.

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Figure 41 : Les facteurs sécrétés de la tumeur primaire engendrent des modifications dans les ganglions drainants.

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