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0.2 Le modèle d’étude

0.2.1 L’écosystème de la toundra arctique

L’écosystème toundrique arctique est caractérisé par une faible productivité primaire et une pauvreté des ressources nutritives, causées par une activité photosynthétique très limitée, une courte période sans neige et des températures basses (Oksanen 1983; Gauthier et al. 1996). La théorie d’exploitation des écosystèmes (Oksanen et al. 1981; Oksanen et Oksanen 2000) prédit que le niveau trophique supérieur (les prédateurs) ne devrait pas avoir de rôle fonctionnel (prédation structurante du réseau trophique) dans le Haut-Arctique. Ainsi, certains considèrent que les prédateurs de ces écosystèmes relativement peu productifs n’ont pas d’effet contrôlant sur les herbivores et que ce sont les relations plantes-herbivores qui dominent le système trophique (Oksanen et Oksanen 2000). Pourtant, les informations disponibles suggèrent que les mésoprédateurs comme les renards peuvent exercer une influence considérable sur la dynamique de certaines populations proies dans les écosystèmes nordiques (Larson 1960; Bêty et al. 2002). Ainsi, l’introduction de renards arctiques sur les îles Aléoutiennes en Alaska a complètement changé la communauté végétale. En diminuant la population d’oiseaux et en limitant de fait, l’apport en nutriments au niveau du sol, la communauté végétale est passée d’une domination par les plantes herbacées à une toundra dominée par des buissons et des plantes non herbacées (Fig. 0.3.A, Croll et al. 2005). De plus, au niveau des écosystèmes nordiques, les données empiriques et les modèles de Gilg et al. (2003) appuient la notion que le cycle des lemmings peut être entièrement causé par la pression de prédation exercée par plusieurs prédateurs dans un système, comme le harfang des neiges (Bubo scandiacus), le renard arctique, le labbe à longue queue (Stercoriarus longicaudus), et l’hermine (Mustela erminea). Le modèle de Gilg et al. (2003) obtient le même type de cycles de lemmings décrit par Turchin et al. (2000), sans paramètre de densité-dépendance pour considérer que les lemmings sont limités par l’espace ou les ressources (le seul contrôle est celui de la prédation exercée par les multiples prédateurs du système). Ces résultats suggèrent que

l’impact des prédateurs de la toundra sur la dynamique des écosystèmes de l’Arctique est important et que les effets descendants (« top-down », contrôle des populations par les groupes fonctionnels supérieurs) ne doivent pas être sous-estimés au profit des effets ascendants (« bottom-up », contrôle des populations par les groupes fonctionnels inférieurs). Il est donc important d’étudier les prédateurs arctiques pour améliorer notre compréhension et notre gestion de ces écosystèmes.

Tel que mentionné dans la section 0.1.4, il existe des lacunes dans les connaissances sur les écosystèmes dans lesquels la pression anthropique est mineure. De nos jours, les zones terrestres dans lesquelles l’influence des populations humaines est la plus faible sont surtout situées dans les déserts, dont l’Arctique (Fig. 0.5, Brooks et al. 2006).

Figure 0.5 Carte d’utilisation des terres par l’homme, basée sur des données de densités de population, de transformations des terres et d’infrastructures (Brook et al. 2013). Dans une étude récente, des chercheurs ont montré l’étendue historique et actuelle des zones sauvages des différents biomes terrestres (Fig. 0.6, Watson et al. 2016), ainsi que

leur superficie perdue depuis le début des années 1990. On observe alors clairement que le biome « toundra » est celui qui a conservé la plus grande proportion de ses zones sauvages. Il est donc pertinent de s’intéresser à cet écosystème encore relativement naturel afin d’étudier les mécanismes responsables du fonctionnement et de l’organisation de la vie sur terre non (ou très peu) influencée directement par les humains.

Figure 0.6 Étendue historique (en gris) et actuelle (en vert) des zones sauvages et la superficie perdue depuis le début des années 1990 (en rouge) dans l’ensemble des biomes terrestres du monde (adapté de Watson et al. 2016).

Le peu de perturbations anthropiques directes dans la toundra arctique ne doit pas faire oublier les perturbations indirectes. En effet, les conséquences des changements climatiques sont déjà mesurables dans les régions arctiques (Hansell et al. 1998; ACIA 2004). Les modèles de prévisions climatiques développés à ce jour prévoient des modifications du climat plus importantes dans les régions polaires, avec notamment une augmentation des températures de 2,5 à 3,5 °C plus importante qu’ailleurs à la fin du siècle, mais également une augmentation plus importante des précipitations dans ces régions (Fig. 0.7, ACIA 2005).

Figure 0.7 Cartes illustrant les changements des températures de surface annuelles moyennes en degré Celsius (a) et les changements des précipitations annuelles moyennes en pourcentages (b) pour les scénarios RCP 2.6 (à gauche) et RCP 8.5 (à droite) pour la période allant de 1986-2005 à 2081-2100 (IPCC 2013).

Les impacts de ces modifications climatiques se font déjà ressentir dans les écosystèmes toundriques (Post et al. 2009). Ainsi, la tendance au réchauffement et aux hivers instables, avec des événements de gels-dégels répétés, apparaît néfaste pour les populations de petits mammifères qui doivent trouver leur nourriture dans le manteau de neige (Yoccoz et Ims 1999; Aars et Ims 2002). En effet, les populations de lemmings ont vu leur abondance récemment arrêter de fluctuer de manière cyclique dans plusieurs régions (Ims et al. 2008, 2011; Kausrud et al. 2008; Gilg et al. 2009). Les lemmings jouant un rôle clé dans les écosystèmes toundriques (Krebs 2011), leurs prédateurs semblent vulnérables aux changements qu’ils subissent (Ims et Fuglei 2005; Gilg et al. 2012; Schmidt et al. 2012). De plus, l’augmentation de la productivité de ces écosystèmes, causée par les modifications climatiques, entraîne une invasion de ce milieu par des espèces normalement trouvées à des latitudes inférieures, et qui agissent comme compétiteurs et prédateurs (Fuglei et Ims 2008). Pour les mésoprédateurs de la toundra, le plus important compétiteur dans ce contexte est le renard roux, Vulpes

vulpes. Depuis le début du vingtième siècle, une expansion progressive vers le nord de

l’aire de répartition de cette espèce est observée en Eurasie, Amérique du Nord et en Europe (Macpherson 1964). Ainsi, l’augmentation progressive des températures faciliterait l’installation d’espèces proies ou prédatrices venues du sud. Les écosystèmes nordiques étant les plus affectés par le réchauffement climatique, ils seront donc les premiers touchés par des déplacements (expansion ou retrait) des aires de répartition des espèces. Il est donc urgent de comprendre les processus écologiques qui façonnent les écosystèmes de ces régions qui pourraient subir un bouleversement de l’ensemble du réseau trophique.

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