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Chapitre 5 : Apprentissages du français

2- A l’école

Quand il ne s’amorce pas en famille, l’apprentissage du français est dispensé par l’institution scolaire qui, dans le secteur public, délivre un enseignement « exclusivement » en français dès le Cours Elémentaire61. Les pratiques de classe différant sensiblement des textes, l’utilisation des guillemets semble en effet de mise. Même si à partir de cette classe les cours sont présentés comme unilingues, il est clair qu’au sein de l’institution, on observe presque systématiquement l’alternance entre français et malgache (voir notamment Babault, 2006).

61 Voir supra p.23.

49 Alphée appartient à la catégorie des participants dont l’apprentissage du français s’est fait à l’école. Pour la jeune femme, cet épisode apparait comme une évidence, qu’elle justifie par l’origine ethnique de ses parents :

EI 7

I27 : d’accord / et donc le français vous l’avez appris à l’école ?

A28 : à l’école à l’école (elle rit) parce que ma mère mon père ils sont malgaches

hein ? c’est à l’école quand j’étais euh chez l’orphelinat d’ici

Le critère de nationalité est ici associé de manière intrinsèque à celui de compétence et/ou de pratique langagière. Les parents de la jeune femme étant d’origine malgache, il semble qu’elle ne puisse concevoir avoir appris le français avec eux. Cette logique se rapproche d’une conception stricte des locuteurs relativement à leur nationalité, selon laquelle une origine ethnique correspondrait systématiquement à une pratique langagière particulière (ils sont Malgaches donc ils parlent malgache).

Par ailleurs, il est à noter que plusieurs participants relatant avoir acquis majoritairement le français en milieu scolaire qualifient cet apprentissage de « difficile ». Alors que cette qualification est absente dans les discours des locuteurs ayant bénéficié d’un apprentissage en famille, il apparait que d’autres, en revanche, semblent avoir souffert des changements incessants de politique linguistique opérés par le gouvernement, choisissant tantôt le français ou le malgache comme langue d’enseignement. Tributaires des pratiques de leurs professeurs, les apprenants n’ont eu d’autre choix que de s’adapter :

EI 1

L4 : c’est: euh la leçon c’est notre langue donc c’est: c’est facile pour nous mais / et après: quand euh: je sais euh: / en seconde ça ça commence aussi en

français {I : hmm hmm} c’est très difficile (elle rit) c’est très difficile

EI 9

Ld12 : (…) jusqu'à / classe de troisième // les cours donc c'est en malgache {I : uniquement en malgache ?} yeah uniquement en malgache

I13 : quand vous êtes rentrée en seconde ?

Ld14 : donc euh on revient de parler en français le cours ça c’est revient en langue française c’est difficile hein ? (elle rit)

I15 : qu’est ce qui était difficile ?

Ld16 : le : quand je rentre : en seconde / surtout le :: mathématiques le : SVT c’est

difficile / pour moi oui

I17 : vous aviez l’habitude de faire ça en malgache ?

Ld18 : oui hmm // et ça en classe de seconde on commence comme le : / on

commence donc / comme euh les enfants de : les enfants de : maternelle !

50 I19 : vous recommencez au début ?

Ld20 : au début ! (elle rit) (…) en classe de : 4ème ou 3ème c’est / on parle malgache la leçon / mais en seconde la leçon c’est en français c’est difficile pour moi donc c’est difficile

De fait, la question du bilinguisme est soulevée : alors qu’il devrait représenter un atout pour les apprenants, il apparait au contraire comme un fardeau dont il est difficile de s’accommoder, et que visiblement les enseignants ont encore du mal à maîtriser. En témoignent les propos de Delas et Martin-G. (2010 : 193), selon lesquels « la loi d’orientation de 1995, refusant d’utiliser les mots français et langue française, crée, par son manque de clarté, une situation très ambiguë, d’autant plus grave que les deux-tiers des maîtres, recrutés pendant la vague de démocratisation, n’ont que des connaissances limitées en français et en arrivent dans des cours, censés être enseignés en français, à faire ânonner quelques phrases du manuel pour les commenter ensuite en malgache ». Ces déclarations rejoignent les faits évoqués supra, constatant un déséquilibre patent dans l’utilisation des langues française et malgache en classe. Résultant du manque crucial de compétences des enseignants, cette disproportion affecte sensiblement le niveau général des élèves en français, déjà recensé comme relativement bas62. Pour Gueunier (1994 : 315), elle est source de production d’un discours mixte, les enseignants produisant en fait souvent des leçons « en riz-au-petits- légumes63, peu efficace pour l’apprentissage linguistique ».

Dans l’extrait suivant, Eléonore évoque son expérience d’élève, mentionnant les causes qui selon elles, sont responsables des difficultés à parler français en classe :

EI 3

E30 : les professeurs parlent bien mais / euh: à cause de: euh en classe en classe

c’est petit on parle TOUT en malgache / ça c’est : c’est le problème

Plus loin dans l’entretien, elle en vient à évoquer ses propres pratiques d’enseignante, qui, de par son utilisation successive (systématique ?) des deux langues, sont manifestement influencées par sa précédente expérience de scolarisation :

EI 3

E57 : moitié- moitié oui on : sauf le français seulement le français c’est français pour euh les autres disciplines c’est: bilingue / on explique en malgache ET

réexplique aussi en français

En ce sens, les pratiques de classe des enseignants peuvent être à l’origine de certains blocages ressentis par les apprenants, finalement peu habitués à employer la langue française à l’oral (pratique faisant ici référence à l’emploi supra du terme de « digraphie »).

62 Voir supra les chiffres de l’UNESCO à ce sujet p 20.

63 Terme correspondant à l’équivalent malgache vary amin’anana, variété de discours mixte mélangeant

51 Indirectement, il semble en effet que se soit la méthode d’apprentissage qui soit remise en cause par Nadine dans l’extrait ci-dessous :

EI 15

I20 : hmm ! vous aussi vous avez été élève / comment comment ça s’est passé pour vous ?

N21 : difficile / difficile le français

I22 : difficile pourquoi ? // qu’est ce qui était difficile ?

N23 : apprendre euh apprendre le français c’est difficile / en malgache

Là où l’école publique semble avoir échouée, certains apprenants ont fait le choix de prendre eux-mêmes leur apprentissage en main. C’est le cas d’Eléonore, qui a été scolarisée pendant la période de malgachisation. Comme elle le précise dans l’extrait suivant, jusqu’au baccalauréat, toutes les matières sont enseignées en malgache excepté le français. On peut ressentir une certaine frustration chez la jeune femme qui, à la fin de ses études, disait maitriser uniquement les fonctions grammaticales de la langue française :

EI 3

E2 : mon enfance j’étudie dans l’école publique / et la langue que j’apprends c’est la langue malgache jusqu’au baccalauréat / QUE le français seulement les matières français mais je ne sais pas le : la langue française (…) le comble moi

je sais un peu le grammaire le conjugaison mais le vocabulaire c’est

insuffisant (…) je ne sais pas parler : clairement en français {I : aujourd’hui

vous voulez dire ? non avant hmm hmm} non avant /aujourd’hui j’ai des efforts

I3 : ben oui donc qu’est ce qui s’est passé {E : hmm ?} entre temps ? entre le moment où vous ne saviez pas beaucoup le français {E : hmm} comment vous l’avez appris ?

E4 : ah euh je lis tout: le je cherche les petits livres de des enfants / les dia

les petits dialogues je lis je lis et je :: / comment ? je retiens et je parle aussi à mes collègues quand : on a : comment ? / à l’école ou à la route comme ça

Somme toute, il est intéressant de noter que pour certains locuteurs ayant appris le français à l’école, l’acquisition préscolaire de cette langue apparait aujourd’hui incontournable. Bien qu’elle n’ait pas bénéficié d’un apprentissage en famille (son cas a été évoqué supra au début du chapitre), il semble qu’Alphée ne soit pas partisane d’une acquisition exclusivement scolaire. Avec une assurance certaine, elle compare dans l’extrait suivant l’exemple d’enfants issus des deux apprentissages, s’appuyant manifestement sur un cas de figure tiré de son expérience d’enseignante :

EG 3

A68: c'est très / mais c'est pas comme: / c'est pas le même: / c'est pas le même:

52 / y en a différent entre les deux / par exemple quand il y en a un professeur ou l'instituteur à l'école / il a posé une question en français / y en a un élève

qui parle bien à la maison / y en a un élève qui parle juste à l'école / c'est pas: pareil / donc euh / c'est très bien qu'il parle: il avait beaucoup

d'avantages qu'il parle à la maison / l'autre il arrive mais /il arrive /en retard

!

L’apprentissage du français en milieu scolaire ne semble pas faire l’unanimité au sein du groupe. Contrairement aux observations concernant l’acquisition du français en famille, on ne relève aucune qualification positive au sujet de l’apprentissage en milieu scolaire, que les souvenirs cantonnent à son niveau de « difficulté ». Comme évoqué supra, les modifications politiques successives apportées à l’enseignement ont influées de façon indéniable sur le niveau général des enseignants, entraînant de fait la baisse du niveau des élèves. Compte tenu de la pluralité des situations et des pratiques de classe, il est difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact réel de ces politiques linguistiques et on ne peut généraliser les cas de figure évoqués par les enquêtés à l’ensemble de la situation malgache. Cependant, l’insistance avec laquelle les participants revendiquent une amorce précoce et familiale de l’apprentissage est un indice non négligeable de leurs représentations à l’égard du système scolaire. Cette information est d’autant plus surprenante que les interviewés sont tous enseignants, statut qui aurait pu laisser présager des considérations moins péjoratives envers les instances éducatives. Partant, il apparait légitime de s’interroger sur le rôle de l’école publique dans l’apprentissage du français, quand les enseignants eux-mêmes ne semblent plus croire en l’efficacité de leurs propres pratiques.