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L’échantillon et le choix de l’entretien dans le cadre de l’IPA

expérience de l’espace « La phénoménologie ouvre un horizon de

Carte 2. Itinéraires observés à Barcelone.

5. Accéder à l’expérience de la (re)découverte ici et ailleurs à travers une méthode tirée de l’analyse

5.2. L’échantillon et le choix de l’entretien dans le cadre de l’IPA

L’analyse phénoménologique interprétative est une méthode d’« analyse détaillée et approfondie pour comprendre comment un phénomène particulier est compris par des personnes particulières, dans un contexte donné » (Antoine et Smith 2016, 5). Étant donné que l’objectif d’une étude mobilisant l’IPA n’est pas la formulation d’un modèle universel -même si la comparaison de différents cas partageant un même type d’expérience pourrait faire émerger des théories (Pietkiewicz et Smith 2012)-, il n’y a pas de règles précises sur comment déterminer la taille de l’échantillon si ce n’est qu’il est conseillé qu’il ne soit pas trop large.

Les participants représentent une perspective, une manière d’être-au-monde, plutôt qu’une population, notion souvent déshumanisée. Contrairement aux études visant à la formulation de théories universelles où l’échantillon est censé être divers afin d’être le plus représentatif possible (intégrant un pourcentage déterminé de femmes, d’hommes, de personnes d’âges et de milieux socioéconomiques différents, etc.), l’échantillon dans le cadre de l’IPA doit plutôt être homogène. Les textes relatifs à la constitution de cet échantillon, dont ceux de Smith, Flowers et Larkin (2009), préconisent une révision de la taille de l’échantillon après chaque nouveau cas et conseillent de poser la limite là où les expériences recensées commencent à être trop hétérogènes. En ce sens, Smith (2011) fait une compilation des travaux utilisant cette méthode. Pour les études qu’ils ont analysées, les effectifs varient généralement entre 1 et 14 personnes. Antoine et Smith avertissent que des problèmes peuvent émerger lorsqu’un échantillon devient trop grand :

« Les analyses ne relevant pas d’une addition des thèmes identifiés, le chercheur doit pouvoir maîtriser l’ensemble du corpus pour en dégager une vision globale, ce qui est d’autant plus difficile quand l’effectif croît. Par ailleurs, plus l’échantillon est important, moins son homogénéité est assurée et les analyses risquent de rendre compte de ce qui fait la diversité de l’échantillon en plus de la diversité des expériences vécues » (2016, 7).

Dans le cadre de cette recherche, notre échantillon est composé de quinze personnes (voir Figure 11) : quatorze résidents de la région de Barcelone et un touriste d’ailleurs. Le profil recherché était celui d’une personne adulte ayant réalisé, au moins, une visite guidée à Barcelone. Devant les difficultés pour interviewer plusieurs fois une même personne (ce qui aurait réduit le nombre de participants), nous nous sommes finalement penchée sur ces quinze participants, ce qui est resté compatible avec la maîtrise des données, tel qu’il est évoqué par Antoine et Smith dans la citation précédente.

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Figure 11. Détail de l’échantillon de visiteurs analysés.

Source : auteure, 2018.

Même si le recueil de données peut être réalisé par le biais de différentes techniques, l’entretien semi-structuré est l’une des plus fréquemment mobilisées pour l’IPA. Le choix de l’entretien en profondeur pour capter la parole des habitants est très répandu et n’est pas anodin. Petiteau et Pasquier (2001), dans leur ouvrage sur la méthode des itinéraires, affirment que le récit d’un individu sur sa propre expérience est tout à fait légitime :

« On suppose que la parole de quelqu’un, si elle interroge ses propres références, est une analyse en tant que telle dont la valeur et la cohérence ont autant de pouvoir et d’intérêt que celles de n’importe quel spécialiste » (2001, 64).

Chaque individu est capable de fournir une histoire valable (Davis 2016), chacun est légitime pour interpréter sa propre expérience. Une relation de confiance s’installe entre le chercheur et l’individu analysé lorsque la parole de ce dernier et l’analyse qu’il réalise de sa propre subjectivité sont acceptées par le chercheur comme la position d’un expert.

Les quinze participants de notre échantillon sont brièvement présentés ici à travers un tableau récapitulatif (voir Tableau 8). Leurs noms ont été remplacés par des pseudonymes. L’ordre de présentation est alphabétique, à l’exception de Miguel, qui est présenté en dernier par son statut particulier (il ne réside pas à Barcelone). La présentation détaillée de chacun, ainsi que le contexte des entretiens, introduiront les résultats pour chaque individu interviewé (voir Chapitre 5).

Les entretiens ont été réalisés en face à face (Pers.), par vidéoconférence (Skype) ou, très exceptionnellement, par la voie téléphonique (Tél.). Les manuels consacrés à l’IPA émettent des réserves concernant les entretiens qui ne se tiennent pas en personne, car ils s’interrogent sur la capacité du chercheur à stimuler la réflexivité chez le participant dans ces situations (Antoine et Smith 2016). Je n’ai pas remarqué de différences notables entre les entretiens en face à face et les vidéoconférences. En réalité, ce dernier outil a été un moyen de communication important avec des personnes éloignées de mon lieu de résidence. En dehors des questions pratiques, le fait de pouvoir se voir mutuellement a facilité l’interaction et rendu possible le respect des moments de silence,

Échantillon

15

participants

5 entretiens

individuels

5 entretiens

en couple

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ainsi que l’identification des aspects liés à la communication non verbale (Pietkiewicz et Smith 2012).

Tableau 8. Les visiteurs interviewés.

H/F Âge Résidence Moyen Visite Profession

Beni (72’) F 63 Bigues i Riells Pers. La Barcelone des francs- maçons

Antiquaire

Carlos

(53 min.) H 48 Badalona Pers. Commerces centenaires Commercial

Carolina

(45 min.) F 55 Cerdanyola del V. Skype Histoire de la Rambla Chercheuse

Cecilia

(69 min.) F 34 Vilafranca del P. Skype La Tour des Rêves Enseignante

Gloria

(53 min.) F 40 BCN (El Carmel) Pers. Commerces centenaires A. de bureau

Jose (69’) H 34 Vilafranca del P. Skype La Tour des Rêves Télécom.

Laura

(57 min.) F 30 BCN (S. Familia) Skype BCN des francs-maçons vérité et mythes

Technicien de laboratoire

Mamadou

(62 min.) H 35 BCN (Gracia) Skype Histoires du métro A. d'entretien

Marc

(72 min.) H 67 Bigues i Riells Pers. La Barcelone des francs-maçons

Retraité

Martí

(59 min.) H 35 BCN (Born) Tél. Barcelone, nocturne et criminelle

Photographe

Meritxell

(62 min.) F 34 BCN (Gracia) Skype Histoires du métro Info. touristique

Pau

(57 min.) H 32 BCN (S. Familia) Skype BCN des francs-maçons vérité et mythes

Informaticien

Pedro

(63 min.) H 67 Granollers Pers. Secrets du Born Retraité

Valérie

(61 min.) F 32 BCN (Vilapicina) Pers. Agents nazis de Barcelone Community M.

Miguel

(39 min.) H 44 Séville Skype Gracia, bourgeoise et révolutionnaire

Chercheur

Source : auteure, 2018.

La voie téléphonique n’est pas la voie optimale pour réaliser un entretien de ce type. Nous avons précédemment expliqué les limites de ce moyen d’entretien (voir point 2.3 de ce chapitre). Dans le cadre de l’IPA, quatre individus ont été interviewés par la voie téléphonique : deux ont intégré l’analyse (Carolina et Martí) et deux autres ont dû être écartés à cause de l’impossibilité de retranscrire les enregistrements. Pour cette raison-là, la vidéoconférence a été privilégiée pour les entretiens à distance. Concernant les deux entretiens conservés, une attention particulière a été nécessaire pour respecter les moments de silence et laisser réfléchir le répondant. Nous avons

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décidé de les conserver, car les retranscriptions sont riches en contenu et nous permettent d’évaluer les possibilités de notre méthode dans les différents modes d’entretien.

En principe, les textes relatifs à l’IPA conseillent les entretiens individuels, semi-structurés et en profondeur, mais ils reconnaissent que d’autres techniques de collecte de données sont possibles, à l’instar des journaux intimes, des lettres ou des groupes de discussion (Pietkiewicz et Smith 2012). Antoine et Smith (2016) citent différents exemples pour et contre les entretiens collectifs. D’après ces auteurs, certains chercheurs considèrent que, même si les résultats ne sont pas exactement les mêmes que ceux résultant d’un entretien individuel, « la dynamique de groupe participe à la richesse des données » (Flowers, Duncan, et Knussen 2003; cités dans Antoine et Smith 2016, 6). Ils rappellent que, pour d’autres chercheurs, dans une dynamique de groupe, il existe des pressions et des effets de conformité et dominance entre les membres (Smith 2004). Dans notre étude, nous avons détecté ces effets dans les entretiens en couple. Dans l’entretien réalisé à Beni et Marc, par exemple, Beni a souvent demandé à Marc de l’aider à répondre :

Beni (63 ans) : Papa, voyons... Un moment à oublier ? La sortie du Maroc. Un moment mémorable, papa, des voyages, lequel ?

Marc (67 ans) : Je ne sais pas... le Dalaï-Lama ?

Beni (63 ans) : Tiens, je te jure que j’avais pensé la même chose, mais j’ai pensé « attend qu’il descende et le dise ».

Marc (67 ans) : On est allés à... Beni (63 ans) : Dharamsala.

Dans cet exemple, Beni n’ose pas répondre elle-même à une question qui est pourtant très personnelle : le choix d’un moment mémorable lors d’un voyage. En effet, elle fait très vite son choix du mauvais souvenir, sans donner trop de détails (elle en parlera plus tard). Cependant, en ce qui concerne le moment mémorable, elle attend la réponse de son mari pour, ensuite, dire qu’en fait elle avait pensé exactement la même chose. Dans un entretien individuel, elle aurait dû répondre sans l’influence de Marc. Ici, nous ne pouvons pas savoir avec certitude si elle aurait effectivement fait ce choix. Ce n’est pas si grave, car, tout au long de l’entretien, elle évoque des moments mémorables dont elle a un souvenir très positif, sans que la question lui ait été posée directement. Initialement, il n’était pas prévu de réaliser des entretiens en couple. Pour le premier entretien que nous avons réalisé ainsi (Marc et Beni), nous avions proposé de les interviewer séparément, mais

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ils ont préféré le faire ensemble. Sans décliner directement, ils ne nous ont pas laissé d’autre choix à ce moment-là. Nous nous sommes adaptée aux conditions du terrain et, finalement, cela s’est révélé être un exercice très enrichissant. Ils ont tous les deux pris la parole de manière plus ou moins équilibrée (147/168 références codées pour le couple Beni/Marc) même si, parfois, elle lui demandait confirmation de ses propres souvenirs. Après cette première expérience, dans la même situation, nous avons accepté de réaliser des entretiens des couples ensemble.

Il faut préciser que les auteurs et chercheurs que nous avons cités sont très prudents concernant les entretiens collectifs. Leurs travaux sont réalisés dans le domaine de la santé, où les expériences sont inévitablement individuelles (la maladie, l’accompagnement, etc.). Nous travaillons sur des expériences touristiques et, lorsqu’un couple explique ses souvenirs dans un entretien, il parle souvent des expériences touristiques partagées. Ainsi, les deux participants racontent le même voyage à deux voix, chacun y rajoute ses détails, ceux qu’il a distingué en tant qu’individu, même dans une expérience partagée. Marc et Beni sont mariés depuis longtemps, mais les quatre autres couples interviewés sont ensemble depuis moins de dix ans. Cela explique que Beni et Marc parlent plutôt d’expériences partagées, alors que les individus des quatre couples restants citent plus souvent des expériences touristiques vécues en-dehors du couple.

Dans tous les entretiens en couple, nous avons pu constater l’influence de l’un sur l’autre. Cela nous a permis de collecter des verbatims qui reflètent le regard d’un proche sur l’individu analysé (avec lequel il peut être en accord ou en désaccord) et la réaction de cet individu aux remarques le concernant :

Marc (67 ans) : Fès, c’est la ville que je préfère au Maroc. Fès, précisément.

Beni (63 ans) : Bon, parce qu’il aime beaucoup les bazars, les souks, tout ce qui bouge, beaucoup de choses, beaucoup de couleurs, beaucoup de monde... Il adore marchander...

Marc (67 ans) : Non, mais… le Maroc, voyons, Marrakech, tout ça, c’est très ennuyeux parce que c’est, c’est, c’est... On ne te laisse pas tranquille, je veux dire...

***

Mamadou (35 ans) : Le reste… concernant le voyage, aussi… je n’aime pas trop attendre.

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Mamadou (35 ans) : Je n’aime pas attendre […] ça m’énerve beaucoup. Je ne peux pas. Je ne peux pas attendre. Si, même ici, parfois, elle, si elle prend du temps pour se préparer... je ne peux pas attendre. Je n’ai pas beaucoup de patience.

Smith et Osborn (2015) attribuent au guide d’entretien une fonction essentiellement liée à la préparation à l’entretien grâce à laquelle le chercheur sera mieux préparé au recueil d’informations que le répondant voudra fournir et sera plus disponible pour l’écouter et le relancer dans une démarche réflexive. En cohérence avec cette idée, nous avons préparé un guide d’entretien à partir de la question très générale « Comment l’individu devient-il touriste ? ». Le guide s’est ensuite structuré autour des trois thèmes suivants44 :

A. La pratique de la visite guidée dans un espace familier : attentes, intentionnalité, éléments mémorables, rapports aux lieux visités.

B. Les pratiques lors des séjours touristiques classiques : attentes, intentionnalité, éléments mémorables (et oubliables), voyage idéal.

C. Questions en lien avec la construction du monde familier : lieux préférés, lieux détestés, lieux rêvés, liens d’appartenance.

Suivant la logique de l’IPA (Smith et Osborn 2015), l’ordre et la formulation des questions ouvertes à l’intérieur de chaque thématique ont été adaptés au contexte de chaque entretien.