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L’échange d’informations (coopération policière)

CHAPITRE 3 : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

3.1 La collecte des informations

3.1.3 La collecte des informations : les enjeux associés

3.1.3.4 L’échange d’informations (coopération policière)

Dans le contexte de la collecte des informations qui forgent le RNDS, l’échange d’information prévoit deux volets. D’une part, le volet qui permet d’assurer une uniformité des pratiques (la collecte des informations) et, d’autre part, le volet qui permet aux organisations policières de développer leur savoir quant aux délinquants inscrits, et d’assurer en ce sens une forme de validité des informations que les délinquants fournissent lors de l’enregistrement.

Plus de la moitié des préposés à la collecte rencontrés (n=12) ont indiqué, d’eux-mêmes, vouloir développer les contacts avec les autres organisations policières afin d’uniformiser leurs pratiques. Certains d’entre eux auraient par le passé exprimé cette volonté à la SQ, notamment en suggérant des tables de concertation ou des conférences téléphoniques favorisant ces échanges.

« Ça fait des années que j’demande à la SQ d’organiser des conférences téléphoniques pour qu’on s’parle entre préposés. J’ai aucune idée c’est qui dans la ville d’à côté qui fait la même job que moi. Si on s’parlait, on comprendrait mieux notre rôle pis on règlerait surement plus de non-conformes » (préposé à la collecte, niveau supérieur).

Les vérifications effectuées auprès de la SQ permettent de confirmer que ce type d’échanges n’existe actuellement pas. La situation actuelle, telle qu’elle est vécue par les préposés à la collecte rencontrés, s’oriente autour de l’idée que le CQEDS éprouverait des difficultés à uniformiser le processus de collecte des informations, sans pour autant se restreindre dans les diverses demandes qu’elle formule aux préposés à la collecte. Les données d’entrevues démontrent que, dans certains cas, les seuls contacts qu’ont les préposés à la collecte avec le CQEDS, sont en fait pour répondre aux reproches relatifs aux informations ou à la façon de procéder à la collecte des informations. « Ils [la SQ] m’appellent juste pour me surveiller pis m’dire c’que j’fais de pas correct. On dirait qu’on entend parler d’eux juste pour se faire reprocher des trucs » (préposé à la collecte, niveau supérieur).

L’échange d’informations non seulement entre les policiers, mais également entre les divers organismes concernés dans un dossier, est au cœur des préoccupations actuelles des organisations policières. D’ailleurs, toute la structure existante et émergente de la police menée par le renseignement reconnait ouvertement l’importance du partage d’information par la

création, notamment, de plusieurs organes responsables d’assurer ce partage d’information (Ratcliff, 2016). Par exemple, au Québec, on peut lire sur le site du ministère de la Sécurité publique du Québec (2010) que « […] l’échange de renseignements criminels entre les corps de police et les organismes publics concernés est au cœur de la lutte contre la criminalité » (en ligne). Cependant, l’application de cette méthode au quotidien semble défaillante tant à travers le vécu des participants à la présente étude qu’à travers les écrits sur le sujet (Ratcliff, 2016). Les données obtenues dans le cadre des entrevues reflètent non seulement les difficultés inhérentes à cette méthode, mais également l’interdiction qui leur est imposée de partager les informations relatives aux délinquants inscrits dans le RNDS. En ce sens, l’ensemble des organisations policières rencontrées a insisté sur les difficultés immédiates à l’interdiction qui leur est actuellement imposée de partager avec les autres policiers les informations concernant les délinquants inscrits au RNDS. Ainsi, selon ce qui ressort des entrevues, il existe en moyenne un seul policier par organisation qui est informé19 des délinquants résidant sur le territoire. Il

s’agit du préposé à la collecte.

La directive actuellement donnée par la SQ aux différentes organisations policières du Québec serait qu’en aucun temps, il n’est possible de partager ces informations avec qui que ce soit, y compris avec les autres policiers, sauf pour effectuer les validations d’adresses ou lorsqu’il s’agit d’informations obtenues à la suite de recherches tactiques associées à une enquête en cours20. À titre d’exemple, une fois la collecte des informations effectuée, le préposé à la collecte ne peut aviser un sergent de patrouille de la présence récente d’un nouveau délinquant dans un secteur. En outre, il n’est pas possible d’aviser les patrouilleurs du déménagement d’un délinquant si cette information a été obtenue dans le cadre de l’enregistrement pour le RNDS. Il n’est également pas possible pour un préposé à la collecte d’aviser une autre organisation policière concernant des informations relatives à un délinquant. En d’autres termes, pour un délinquant résidant dans une ville, mais pour qui le lieu de travail se situe dans une autre ville, il ne sera pas possible pour l’organisation policière qui procède à son enregistrement d’aviser

19 Il importe d’émettre un bémol quant à ce terme, car pour les organisations policières qui comptent de nombreux délinquants inscrits, il devient difficile pour le préposé à la collecte de se rappeler chacun de ces individus et les informations qu’ils donnent.

20 Le partage d’informations en ce sens sera davantage développé au troisième niveau d’opérationnalisation du RNDS, considérant qu’il se rattache davantage à l’utilisation de l’outil qu’à la collecte des informations contenues

l’organisation policière qui dessert la ville du lieu de travail. Des exemples ont été amenés en entrevue démontrant qu’il est arrivé par le passé que la SQ avertisse des policiers concernant les risques auxquels ils s’exposaient en utilisant ces informations obtenues lors de l’enregistrement, et ce, même dans des contextes qui les obligeaient, selon certaines lois, notamment celle sur la protection de la jeunesse, à intervenir.

Dans ce contexte, de par les directives qu’elle donne à ces organisations municipales, la SQ serait la seule organisation qualifiée et autorisée à contrôler et à partager l’ensemble des informations colligées pour alimenter le RNDS. Cette procédure semble spécifique à la province du Québec, puisqu’il semble possible pour les policiers en Ontario ainsi qu’ailleurs au Canada de partager de l’information relative aux délinquants sexuels entre organisations policières ou simplement entre policiers lorsque le but de cet échange est de prévenir ou d’enquêter un crime à caractère sexuel21. En effet, comme cela a été expliqué au début de la présentation des résultats, la LERDS précise l’importance accordée à la protection des informations contenues dans le registre ainsi qu’au contexte d’enregistrement, qui doit être effectué dans des circonstances garantissant leur confidentialité (L. C. 2004, ch. 10, article 8 b). La LERDS prévoit également des infractions sans pour autant prévoir de méthode. En ce sens, les discussions auprès de la GRC permettent de constater qu’il s’agit probablement plus d’enjeux administratifs que légaux. Par contre, bien qu’il ne doive pas y avoir de problèmes à ce que les organisations policières échangent de l’information dans le but de prévenir ou d’enquêter sur un crime sexuel, il n’en est pas de même pour le volet qui relève davantage de la collecte des informations. En effet, il devient pertinent de se questionner quant à la nécessité d’échanger de l’information au moment de procéder à l’enregistrement des délinquants et quant à l’impact de cet échange sur le RNDS. Comme les études ont démontré qu’il était illusoire de croire que les délinquants présentant un risque de récidive allaient d’eux-mêmes partager des informations valides les concernant (Levenson, 2009; Association des services de réhabilitation sociale du Québec & Regroupement des intervenants en matière d’agression sexuelle, 2003) il peut sembler adéquat de favoriser un contexte d’échange qui contribue à augmenter la validité des informations contenues dans le

21 Notons cependant que les quelques appels conférences avec la GRC et la Police provinciale de l’Ontario ne peuvent suffire pour confirmer cette donnée bien qu’ils permettent de croire que le Québec se distingue à cet effet

RNDS. Les délinquants, en fonction de leur mode de vie, peuvent être amenés à fréquenter des lieux extérieurs à leur domicile, notamment pour le travail, les loisirs ou encore en raison des lieux de résidence de leur fréquentation (amis et famille). Dans le cadre des entrevues, un préposé à la collecte soulevait la problématique de n’avoir pu contacter son homologue d’une autre organisation policière lors de l’enregistrement d’un délinquant récidiviste. Selon ce participant, l’échange d’informations aurait été pertinent à ce moment, considérant que le délinquant était connu pour effectuer des attouchements sur des femmes à la sortie de ses activités de loisir. Considérant que les nouveaux lieux de loisir du sujet se trouvaient dans une ville desservie par une autre organisation policière, la directive en place, qualifiée de frustrante par ce participant, paraissait notamment aller à l’encontre des objectifs mêmes de la LERDS. Il existerait donc des contextes qui s’inscrivent au niveau de la collecte des informations et qui nécessiteraient en effet que les organisations policières puissent se parler.

La démonstration du premier niveau d’implication du RNDS permet de constater que les énoncés de la LERDS ainsi que les directives provinciales concernant la collecte des informations diffèrent parfois de ce qui est observé sur le terrain. Les raisons qui l’expliquent sont entre autre la présence de divergence dans la perception que les acteurs ont de l’outil ainsi que la présence de différents éléments contextuels propres à leur réalité organisationnelle. Ce niveau d’implication concerne autant la Sûreté du Québec que les organisations policières municipales22.