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B/ Utiliser le théâtre pour mieux communiquer en entreprise : une évidence ?

II. Communicare et son équipe de comédiens-formateurs

2. Lʼobsession de la professionnalisation

Au cœur de ce projet est cette priorité donnée à la professionnalisation. Cʼest important de sʼarrêter sur ce point et de creuser ses implications. Tout dʼabord, il faut souligner combien ce thème est crucial pour Communicare. Il est mentionné lors de toutes les universités dʼété et lors de toutes les réunions bilans depuis des années. Les autres organismes de formation pour qui je travaille nʼont jamais manifesté un tel intérêt pour ce sujet. Cet intérêt est louable : il montre lʼinvestissement dans le métier de formateur. Faut-il pour autant en parler avec tant de ferveur et dʼinquiétude ? Communicare est-il visionnaire dans son souci de se préparer à lʼavenir ? Je crois que les comédiens dérangent car ils sʼoctroient une certaine liberté dans leur vie – du moins, cʼest lʼimage quʼon projette sur eux. On imagine une vie de bohème, un certain

36 La Cour des Comptes, dans son rapport de 2008 intitulé « La formation professionnelle tout au long de la vie », déplore une action faiblement cohérente des différents acteurs de la formation professionnelle, en raison des cloisonnements du système. Disponible en ligne :

non-conformisme, de la légèreté. Si les comédiens entrent dans les entreprises pour des formations, alors il faudrait se montrer dʼun professionnalisme maximum pour contrebalancer cette image dʼinsouciance et de frivolité. Communicare a intégré, inconsciemment, ce regard social, cette méfiance ; cela explique sans doute que le thème de la professionnalisation revienne sans cesse dans les discours.

Le mot professionnalisation est à mettre en lien avec le mot compétence. La professionnalisation se définit comme le processus qui fait dʼun individu un professionnel, avec ce que cela sous-entend dʼinsertion dans lʼemploi. Depuis quelques années, au niveau européen, il y a une incitation forte à renforcer lʼemployabilité de la population. En effet, dans un contexte de perte de compétitivité et de mondialisation agressive, la force des nations européennes doit être dans le haut niveau de qualification de sa main dʼœuvre. La stratégie de Lisbonne promeut une Europe de la connaissance, une Europe de lʼinnovation. Dans son prolongement, les différentes branches avec leurs divers métiers ont cherché à faire reconnaître les spécificités de leurs activités et ce que cela signifiait en termes de compétences. Des parcours professionnels ont aussi été définis. « La certification renvoie à un acte consistant à attester quʼune personne a été évaluée sur la base dʼun référentiel formalisé. »37 Faut-il que la certification soit connue et reconnue. Toutes les certifications nʼont pas la même valeur, au-delà du fait quʼelles soient enregistrées au RNCP (en France).

37 « Le rôle de la certification dans les processus de professionnalisation » Anne- Marie CHARRAUD, Education permanente, n° 188, septembre 2011

Avec le développement de la formation professionnelle, le professionnalisme des formateurs sʼest développé. On remarque des parcours très variés dans ce métier. « Dans une majorité de pays européens, les formateurs dʼadultes ne sont pas tenus de détenir un titre de formation particulière, mais doivent être des travailleurs qualifiés affichant un certain nombre dʼannées dʼexpérience professionnelle dans leur domaine. »38 Une grande part de ce professionnalisme est liée à lʼexpérience même si les formateurs, en tant que groupe professionnel, ont eu le souci de se construire une identité propre en sʼappuyant sur des savoirs universitaires. Ils ont puisé beaucoup de références en psychosociologie, notamment en ce qui concerne lʼanimation de petits groupes. Les formateurs, et cela sʼest vérifié dans lʼéquipe Communicare, cherchent aussi à développer une réflexivité sur leur pratique. En effet, pour être formateur, il faut maîtriser un domaine de connaissance (ici la communication) et détenir des compétences pour transmettre sa connaissance à des adultes. Cela induit des allers-retours entre ce que lʼon fait et la conscience quʼon a de comment on fait. Il faut être capable de conceptualiser à partir de la pratique, savoir formaliser des compétences implicites. Se rendre compte de ce quʼon sait accroît le sentiment de légitimité dans son champ.

Tous les formateurs de Communicare ont à cœur de développer leur potentiel. Tous se renseignent, lisent, se conseillent mutuellement des références pédagogiques, partent régulièrement en formation pour aiguiser leur champ de

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GAUSSEL, Marie. « Se former tout au long de sa vie d’adulte ». Dossier d’actualité Veille et analyses, n°61, avril 2011.

spécialisation ou pour combler des lacunes. Ils participent volontiers aux universités dʼété et aux réunions Communicare. Ils sont fréquemment en contact les uns avec les autres pour évoquer ensemble leurs missions. Il y a un vrai désir dʼéchanges partagés. Tout ceci va dans le sens de leur professionnalisation. Cependant, cela ne semble pas suffisant.

Selon Communicare, les formateurs doivent faire un effort continu pour mieux connaître lʼenvironnement de lʼentre- prise, ses cultures, ses enjeux et ses problématiques. Pour rester des interlocuteurs crédibles et recherchés, les comédiens-formateurs doivent acquérir une meilleure compréhension des attentes de lʼentreprise et du marché de la formation. Ils doivent développer et élargir leurs compétences pour faire face à lʼévolution des pratiques et des techniques. Passer par une certification leur a semblé, visiblement, une bonne option. Les dirigeants de Communicare se sont aussi rendu compte que dans un pays obsédé par la qualité, il fallait montrer « patte blanche ». Détenir un savoir spécialisé, reconnu comme tel, fonde une relation de confiance entre le professionnel et son client. Lʼexpérience en soi nʼest pas assez. Il faut faire la preuve de cette expérience, surtout quand on a un bagage universitaire limité. « Au regard de la société, les diplômes attestent de la validité des savoirs dans un champ spécifique de connaissances et marquent la possession dʼun attribut de la profession type. »39 Une certification peut-elle avoir le même poids quʼun diplôme ?

Par ailleurs, on peut se demander si la reconnaissance des compétences est le seul enjeu de la professionnalisation

39THIBAULT, Marie-Christine, Validation des acquis expérientiels et professionnalisation des formateurs, Education Permanente n°133, 1997

pour les formateurs. Ne faudrait-il pas aborder dʼautres questions ? Par exemple, est-ce que le formateur est un intervenant ? Si on répond positivement, cela aura des implications fortes. Ont-ils une marge de manœuvre par rapport à leur commanditaire ? Est-ce quʼil ne faudrait pas chercher à défendre ce qui fait quʼun formateur est un bon professionnel – à savoir la capacité de sʼadapter vraiment à son public ? Cela impliquerait que les formateurs ne soient plus de simples exécutants dʼordre, « ligotés » dans la prescription, obéissants à des programmes formatés à lʼavance, sans approche clinique. Ainsi, au lieu de remettre en cause les compétences des formateurs, on interrogerait le contexte, les situations de travail, on serait exigeant dans le dialogue en amont avec les organisations, pour pouvoir mettre en place des formations ayant un potentiel de transformation, dont le contenu serait construit au fur et à mesure. On pourrait réfléchir vraiment au sujet de la formation, au public, à lʼobjectif40. Chimérique, ce projet ? Je crois en tout cas que mon accompagnement a permis de réinterroger cette notion de professionnalisation et dʼélargir la réflexion.