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Les mouvements de terrain en milieux karstiques

1.1 La karstification Définitions

Le mot karst vient du mot slovène « kras » en référence à la région éponyme du Carso ou Kras, haut plateau calcaire situé entre l’Italie, la Slovénie et la Croatie. Ce mot fut germanisé en « karst » lors de l’intégration de la Slovénie à l’Empire Austro-Hongrois (Bignot, 1972 in Peyraube, 2011 ; Williams, 2004a). La terminologie Karst a été introduite en 1893 par le géomorphologiste serbe Jovan Cvijić dans sa publication « Das Karstphänomen ». Le phénomène de la karstification est dû principalement à la dissolution des roches carbonatées par les eaux météoriques chargées en gaz carbonique, donnant lieu à un ensemble de formes très caractéristiques appelé modelé karstique ou karst (Foucault et Raoult, 1988) (Figure 1.1). Le processus de la dissolution provoquant le phénomène de la karstification est exprimé par l’équation 1.1 :

𝐂𝐚𝐂𝐎𝟑 ↔ 𝐂𝐚𝟐++ 𝐂𝐎𝟑𝟐− (1.1)

Le dioxyde de carbone se dissout dans l’eau en donnant de l’acide carbonique H2CO3 qui se dissocie rapidement en ion bicarbonate et en ion hydrogène (équation 1.2).

𝐂𝐎𝟐+ 𝐇𝟐𝐎 ↔ 𝐇𝟐𝐂𝐎𝟑 ↔ 𝐇++ 𝐇𝐂𝐎𝟑(1.2)

Ensuite, l’ion bicarbonate se dissocie en carbonate et en ion hydrogène (équation 1.3). HCO3- ↔𝐇++CO32-(1.3)

Les ions hydrogènes de (1.2), les carbonates, les bicarbonates et le CO2 constituent un système dont les équilibres changent en fonction du pH (1.3). Ces équilibres chimiques conditionnent donc les proportions relatives des différents ions du système carbonaté.

Les carbonates de calcium, CaCO3, se dissolvent en présence de l’eau et du dioxyde de carbone (H2O+CO2↔H2CO3 ou l'acide carbonique) pour donner les bicarbonates de calcium plus solubles, Ca(HCO3)2, qui sont facilement mobilisables en solution. On peut résumer le processus de dissolution et de formation du bicarbonate de calcium comme suit (équation 1.4) :

Outre la dissolution, d’autres mécanismes peuvent engendrer des formes similaires à celles observées dans les zones karstiques (Dolines de suffosion, les thermo karsts, les cavités dans la lave, …), on utilise dans ce cas le terme de pseudokarst (Gilli, 2011).

Figure 1.1 - Paysage karstique, Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse, 1999. Ouvala

Outre que les roches carbonatées, la karstification affecte également d’autres roches comme les évaporites, les quartzites et les grès siliceux. Dans ce cas, on utilise le terme de parakarsts pour les modelés qui s’y développent par dissolution et qui peuvent donner des formes similaires au karst avec lapiés, dolines et grottes (Gilli, 2011). Mais on peut également utiliser le terme de karst gypsifère ou karst salin (Nicod, 1976)

Dans un karst gypsifère, la mise en solution des évaporites s’effectue directement sans action du dioxyde de carbone. Par conséquent elle est dix fois plus rapide et plus élevée par rapport au karst carbonaté (Gilli, 2011). La dissolution du gypse dépend de la température et du temps de contact avec l’eau. En effet, la mise en solution croît légèrement avec la température, jusqu’à un optimum vers 40°C. Cette mise en solution exige un certain temps de contact. Par contre le contact de l’anhydrite avec l’eau se traduit par l’hydratation de ce sel, donc sa transformation en gypse. L’anhydrite est mise en solution soit directement, soit après sa transformation en gypse (Nicod, 1976).

Néanmoins, il existe des karsts qui se développent sous terre appelé le crypto karst. Le crypto Karst regroupe l’ensemble des formes résultantes de la dissolution en profondeur de roches karstifiables, provoquant ainsi le désordre dans la roche de couverture (Choppy, 2008). D’autres s’intercalent avec des couches de nature lithologique différente donnant des karsts interstratifiés (Williams, 2004a).

A l’échelle international, le karst représente 10% à 15% de la surface des continents (Ford et Williams, 2007 ; Gunn, 2000 ; Peyraube, 2011). Au Maroc, le karst recouvre plus de 100.000 km2 (Perritaz, 2004), soit plus de 14% de sa superficie.

Les formes karstiques et leurs développements

Dans un karst, on distingue deux types de formes karstiques : les formes de surface et les formes souterraines (Foucault et Raoult, 1988).

Les formes karstiques de surface : l’exokarst

El Gharbaoui (1987), divise les formes karstiques de surface en deux groupes : les formes karstiques mineures et les formes karstiques majeures.

Le lapiaz (ou lapiés, lapiez) est une surface creusée de cannelures ou de rigoles, de 1 cm à 1 m de largeur et de quelques millimètres à plus d’une dizaine de mètres de profondeur, séparés par des lames tranchantes (Foucault et Raoult, 1988). Il existe plusieurs types de lapiés : linéaires, alvéolés, perforés… (Goldie, 2004). Cette diversité de formes de lapiaz est liée aux facteurs qui les ont engendrées comme la pente du terrain calcaire, la lithologie, la nature de la réaction chimique, la quantité et la répartition des précipitations (neige ou pluie), la présence ou non de couverture pédologique et végétale (Karst sous couverture ou karst nu), enfin le temps d’exposition du calcaire aux phénomènes chimiques (le facteur temps) (Salomon, 2000). Le relief ruiniforme est formé par des blocs sculptés par la dissolution, séparés par des couloirs formant des labyrinthes (Foucault et Raoult, 1988).

Figure 1.2 - Quelques formes courantes de lapiés (d’après Collignon, 1988 et Nicod, 1970 in Gilli, 2011)

b) Les formes karstiques majeures : les dolines, les ouvalas et les poljés (Figure 1.3)

La doline est une dépression fermée circulaire ou elliptique dont le fond peut contenir un embut ou un puits absorbant, comme il peut être colmaté par la terra rossa (résidu argileux de la dissolution des calcaires). Le diamètre de la doline est de quelques mètres à plusieurs décamètres (Renault, 1970), mais selon d’autres auteurs elle peut atteindre presque 1 km.

Généralement, la profondeur est moins importante, mais elle peut atteindre parfois plusieurs centaines de mètres (Salomon, 2000). Dans le paysage, les dolines peuvent être isolées ou en groupes, en essaims ou en trains de dolines, très denses qui minent totalement le terrain. L'évolution morphologique d'une doline dépend de quatre facteurs : la dissolution, le comblement, l'évacuation et la désagrégation (Salomon, 2000). En fonction de ces quatre facteurs, plusieurs types de dolines peuvent être distingués : dolines en baquet, en entonnoir, en cuvette, en verre de montre (Gilli, 2011). D’autres classifications des dolines, basées sur le type du mécanisme engendrant leur formation et sur la nature du matériel affecté, vont être discutées dans la section 1.3.

L’ouvala se forme lorsque plusieurs dolines entrent en coalescence (Foucault et Raoult, 1988). Le poljé est une grande dépression karstique à terra rossa qui peut atteindre plusieurs kilomètres de longueur et quelques kilomètres de largeur. Généralement le fond est plat où on peut trouver des reliefs résiduels ou hums et un orifice naturel appelé ponor qui draine les eaux d’inondation. Il existe plusieurs classifications de poljés selon les critères tectoniques, structuraux, lithologiques ou hydrogéologiques. La classification retenue dans ce travail, et présentées dans cette partie, est celle de Ford et Williams, 1989 (Figure 1.3). Cette classification s’appuie sur les influences qui contrôlent l’évolution des poljés. On distingue :

les poljés de bordure : sont de grandes dépressions fermées localisées au bord d’un karst, leur superficie atteint un kilomètre carré ou plus. Ils renferment un grand nombre de vallées aveugles avec un plancher à fond plat sous forme d’une plaine inondable bien développée, qui peut recevoir plusieurs écoulements allogéniques dont les débits sont supérieurs aux volumes d’eau absorbés par les pertes ou par les puits absorbants.  Les poljés structuraux : se trouvent à l’intérieur du karst où les dislocations

structurales ont produit des dépressions tectoniques munies d’une couverture relativement imperméable. Dans ce cas, la boutonnière agie comme un barrage sur le mouvement des eaux souterraines, l’obligeant à émerger sous forme de sources sur le côté amont de la barrière, l’eau s’écoule ensuite à travers la boutonnière imperméable et s’enfouie dans des ponors sur le côté aval.

Les poljés de niveau de base : sont de grandes dépressions qui se situent également à l’intérieur du karst, incisées par la dissolution jusqu’au niveau de fluctuation de la nappe phréatique, ils sont dotés de marécages et ils peuvent être considérés comme des fenêtres

sur la nappe phréatique. Par conséquent, en saison de pluies, le niveau piézométrique remonte en surface provoquant l’inondation de ce type de poljé (Salomon, 2000).

Figure 1.3 - Les trois principaux types de poljés (Ford et Williams, 1989).

On peut signaler d’autres formes de l’exokarst, par exemple les gouffres ou les avens qui sont des puits naturels dont les parois sont verticales et mènent aux réseaux karstiques souterrains (Foucault, 2007). En addition, des vallées sèches se forment par enfoncement du réseau hydrographique dans le karst donnant la naissance à des canyons (Foucault et Raoult, 1988).

Les formes karstiques souterraines : l’endokarst

L’endokarst est constitué de différents types de cavités ou grottes souterraines naturelles, muni de galeries, de salles, de spéléothèmes, de rivières souterraines. L’ensemble des cavités forme le réseau karstique (Annexe G).

Les galeries sont des cavités généralement étroites (plus hautes que larges) formé par l’élargissement des fissures, des diaclases et des failles, sous l’effet corrosif des eaux infiltrées. Elles peuvent être également la conséquence de l’élargissement des joints de stratification qui jouent le rôle de collecteurs connectés, à dominance horizontale, permettant une circulation continue de l’eau. Les dimensions d’une galerie peuvent aller de quelques décimètres de diamètre aux conduits gigantesques de 100 m de large et 50 m de haut (Renault, 1970). Tandis que les salles se forment généralement en suivant les joints de stratification, avec une largeur plus importante par rapport à la hauteur. Mais elles peuvent également se former par éboulement souterrain des voûtes ou par croisement de plusieurs galeries (Renault, 1970). Les spéléothèmes sont représentés par les divers types de concrétions calcaires qui se forment sur le plafond, le plancher et les parois des grottes. On peut distinguer : les stalactites, les stalagmites, les piliers, les draperies ou rideaux calcaires, les gours, les dragées calcaires, les fistuleuses, les excentriques (Annexe G).

Les rivières souterraines se forment suite à l’enfoncement d’une rivière superficielle dans un puits absorbant ou dans un embut ou une perte. Elles participent à l’élargissement et l’approfondissement du réseau karstique. Les rivières souterraines réapparaissent sous forme de sources à fort débit appelées résurgences (Foucault et Raoult, 1988).