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Justification perceptuelle indéfaisable et connaissance

Dans le document Les rôles épistémiques de la perception (Page 107-110)

4. L’expérience perceptuelle est-elle une source de connaissance ?

4.1. L’argumentation de McDowell en faveur du disjonctivisme épistémologique

4.1.4. Justification perceptuelle indéfaisable et connaissance

Que McDowell défende la prémisse établissant qu’une justification perceptuelle indéfaisable peut fournir une connaissance perceptuelle se trouve attesté de manière indirecte dans les citations ci-dessous :

« Experiences of the first kind [objective states of affairs making themselves manifest to subjects] have an epistemic significance that experiences of the second kind [situations in which it is as if an objective state of affairs is making itself manifest to a subject, although that is not how things are] do not have. They afford opportunities for knowledge of objective states of affairs. » (McDowell 2008 : 381)

« The point of the disjunctive conception is that if one undergoes an experience that belongs on the « good » side of the disjunction, that warrants one in believing – indeed presents one with an

opportunity to know – that things are as the experience reveals them as being. » (McDowell 2008 : 383)

Ces citations confirment la prémisse qu’une justification perceptuelle indéfaisable peut fournir une connaissance de manière indirecte seulement puisque McDowell n’y fait pas explicitement mention de justification indéfaisable. Toutefois, nous avons constaté précédemment que les théories disjonctives de la perception, contrairement aux théories conjonctives, peuvent offrir des justifications perceptuelles indéfaisables ; plus précisément, que les expériences véridiques y procurent ce genre de justification. Or, c’est à ces expériences véridiques que fait référence McDowell ci-dessus en parlant d’expériences où des états de choses objectifs se manifestent aux sujets ou d’expériences appartenant au « bon élément» de la disjonction. Par conséquent, en maintenant que les expériences véridiques du disjonctiviste, à l’inverse de ses expériences trompeuses, fournissent l’opportunité de savoir que les choses sont telles ou telles, McDowell maintient implicitement que des justifications perceptuelles indéfaisables peuvent fournir une connaissance perceptuelle. Mais pourquoi cela est-il le cas ? Autrement dit, d’après McDowell, qu’est-ce qui distingue une justification indéfaisable d’une justification défaisable eu égard à la possibilité d’une connaissance ?

Avant d’étudier cette question – à laquelle McDowell ne répond d’ailleurs pas distinctement, il convient de souligner un point essentiel de la théorie de la justification endossée par celui-ci. Ce point, que nous avons déjà brièvement traité dans le troisième chapitre, concerne la force justificatrice des expériences trompeuses. Ces dernières ne peuvent certes ni procurer de justifications indéfaisables ni, comme le relève McDowell, fournir l’opportunité de connaître quelque chose du monde ; mais justifient-elles néanmoins de manière défaisable certaines de nos croyances ? Pour McDowell, le disjonctivisme se différencie du conjonctivisme sur le plan épistémologique dans la mesure où, en refusant d’inférer de la possible indiscernabilité phénoménale entre expériences véridiques et trompeuses que ces expériences forment des états mentaux du même genre, il refuse d’admettre qu’expériences véridiques et trompeuses ont la même valeur épistémique139. Les expériences véridiques, nous l’avons vu, justifient indéfaisablement ; quant aux expériences trompeuses, McDowell semble bien ne leur attribuer aucun rôle justificateur. Lorsque nous sommes trompés par nos sens, McDowell prétend que nous ne possédons pas de justification pour former la croyance correspondante mais qu’il nous apparaît seulement que nous

possédons une telle justification. Les hallucinations ne s’avèrent en d’autres termes que des justifications apparentes pour McDowell. Celui-ci soutient en effet que le fait que le monde soit tel qu’il apparaît perceptuellement contribue au fait que nous soyons justifiés, ou encore que la justification perceptuelle implique que le monde soit tel qu’il apparaît140 ; il s’ensuit qu’il n’existe aux yeux de McDowell de justification perceptuelle qu’indéfaisable. Ce point fondamental de la théorie de McDowell se laisse finalement apprécier lorsque celui-ci répond à Brandom que :

« It might be rational (doxastically blameless) for that subject – who only seems to see a candle in front of her – to claim that there is a candle in front of her. But this is not the notion of entitlement or justification that should figure in a gloss on the Sellarsian thought that knowledge is a standing in the space of reasons. The right notion for Sellars’s point is precisely a notion for which entitlement and truth do not come apart. » (McDowell 2002b : 99)

Ainsi, en écho au chapitre précédent, nous pouvons conclure ici que chez McDowell seules les expériences véridiques justifient perceptuellement.

Revenons à présent à la question posée plus haut ; selon McDowell, pourquoi une justification perceptuelle indéfaisable peut-elle, contrairement à une justification défaisable, fournir une connaissance perceptuelle ? Dans la conception faillibiliste de la connaissance perceptuelle, un sujet sait que p lorsqu’il croit que p sur la base d’une justification perceptuelle et que p est le cas. En revanche, dans la conception mcdowellienne de la connaissance, cette condition de vérité nécessaire à toute connaissance ne s’ajoute pas à la justification comme une condition supplémentaire. En effet, comme nous venons de le relever, toute justification perceptuelle s’avère indéfaisable pour McDowell ; une justification perceptuelle pour croire que p assure par conséquent toujours que p est le cas. McDowell semble donc endosser la conception suivante de la connaissance perceptuelle : un sujet sait (ou peut savoir) que p lorsqu’il croit que p sur la base d’une justification perceptuelle – i.e. sur la base d’une perception véridique de p141. Au sein de cette théorie, la simple réalisation de p dans le monde peut discriminer entre un sujet qui sait que p et un sujet qui ne sait pas que p dans la mesure où cette réalisation n’est pas complètement externe (« blankly external ») à

140 McDowell 1995 : 405-406.

141 Rödl paraît défendre une conception similaire de la connaissance perceptuelle. Il affirme : « We

said receptive knowledge is justified belief ; we can also say that it is justified true belief, for what is known is true. But the truth-condition is redundant, as the justification required for knowledge secures truth. » (Rödl 2007 : 146)

l’expérience perceptuelle qui procure une justification ; au contraire, la réalisation de p est garantie par cette même expérience. McDowell opère cette réflexion dans « Criteria, Defeasibility, and Knowledge », pointant au passage la faiblesse des conceptions conjonctives de l’expérience au moment de rendre compte d’une connaissance perceptuelle :

« Suppose someone is presented with an appearance that it is raining. It seems unproblematic that if his experience is in a suitable way the upshot of the fact that it is raining, then the fact itself can make it the case that he knows that it is raining. […] Such experiences can present us with the appearance that it is raining only because when we have them as the upshot (in a suitable way) of the fact that it is raining, the fact itself is their object ; so that its obtaining is not, after all, blankly external. If that is right, the « highest common factor » conception of experience is not entitled to the idea that makes the case unproblematic. » (McDowell 1982a : 388-389)

Or, du fait que la réalisation dans le monde de l’état de choses supposément connu ne soit pas complètement externe à la justification, la conception de la connaissance que défend McDowell échappe à l’objection de la chance à laquelle il confronte la théorie faillibiliste ; dans la conception mcdowellienne de la connaissance, le fait que le monde soit tel que jugé sur la base de la justification est garanti par cette même justification. Que le monde soit tel que jugé sur la base de la justification ne se révèle donc pas un coup de chance relativement à la justification que possède le sujet. Ainsi, il paraît approprié de conclure que selon McDowell, une justification perceptuelle indéfaisable – contrairement à une justification seulement défaisable – peut fournir une connaissance perceptuelle précisément parce qu’une croyance vraie justifiée de manière indéfaisable ne permet pas que le vrai ait été atteint par chance ou par hasard. En d’autres termes, l’analogie dressée par McDowell entre une simple croyance vraie et une croyance vraie justifiée de façon défaisable afin de démontrer que la dernière ne constitue pas une connaissance ne saurait s’étendre à une croyance vraie justifiée de façon indéfaisable.

Dans le document Les rôles épistémiques de la perception (Page 107-110)