• Aucun résultat trouvé

Conjonctivisme, disjonctivisme et justification perceptuelle

Dans le document Les rôles épistémiques de la perception (Page 98-101)

4. L’expérience perceptuelle est-elle une source de connaissance ?

4.1. L’argumentation de McDowell en faveur du disjonctivisme épistémologique

4.1.2. Conjonctivisme, disjonctivisme et justification perceptuelle

Forts des clarifications de la section précédente, nous pouvons à présent apprécier comment les prémisses P3) et P4) de l’argument de McDowell en faveur du disjonctivisme épistémologique sont motivées. P3) maintient que les théories conjonctives ne peuvent offrir que des justifications perceptuelles défaisables (ou non-conclusives). McDowell lui-même rend plusieurs fois cette prémisse explicite. Formulant l’argument de l’illusion et ses répercussions sur la connaissance perceptuelle, il note :

« […] the argument is that since there can be deceptive cases experientially indistinguishable from non-deceptive cases, one’s experiential intake – what one embraces within the scope of one’s consciousness – must be the same in both kinds of case. In a deceptive case, one’s experiential intake must ex hypothesi fall short of the fact itself, in the sense of being consistent with there being no such fact. So that must be true, according to the argument, in a non-deceptive case too. One’s capacity is a

capacity to tell by looking [how things are in the world] ; that is, on the basis of experiential intake. And even when this capacity does yield knowledge, we have to conceive the basis as a highest

common factor of what is available to experience in the deceptive and the non-deceptive cases alike,

and hence as something that is at best a defeasible ground for the knowledge. » (McDowell 1982a : 386)

Il convient ici d’ajouter un bémol à notre lecture de McDowell. Bien que nous ayons introduit la citation ci-dessus comme établissant la prémisse selon laquelle les théories conjonctives en

général ne peuvent offrir que des justifications perceptuelles défaisables, il s’avère en réalité

peut-être plus juste de limiter sa portée à la thèse selon laquelle les théories des sense-data – une théorie conjonctive parmi d’autres – ne peuvent offrir que des justifications perceptuelles défaisables. Car comme mentionné dans le second chapitre, l’argument de l’illusion ou de l’hallucination est traditionnellement présenté avec pour conclusion que nous ne percevons jamais directement des objets physiques indépendants de l’esprit mais seulement des sense- data ; il semble ainsi approprié d’interpréter McDowell comme faisant ici référence à une théorie de la perception proche des théories des sense-data, et de comprendre ce qui est dit être perçu dans les expériences trompeuses aussi bien que dans les expériences véridiques comme étant des sense-data123. Néanmoins, un autre passage de McDowell paraît attester de

sa conviction que toutes les théories conjonctives peuvent n’offrir que des justifications perceptuelles défaisables. Alors qu’il diagnostique la source du scepticisme eu égard à la connaissance perceptuelle, McDowell affirme :

« Consider situations in which a subject seems to see that, say, there is a red cube in front of her. The idea is that even if we focus on the best possible case, her experience could be just as it is, in all respects, even if there were no red cube in front of her. This seems to reveal that perceptual experience provides at best inconclusive warrants for claims about the environment. » (McDowell 2008 : 378)

En effet, l’idée selon laquelle une expérience perceptuelle véridique d’un cube rouge pourrait être la même, en tant qu’expérience, en l’absence d’un cube rouge semble précisément constituer la thèse caractéristique des théories conjonctives en général124. Celles-ci, nous l’avons signalé, se démarquent du disjonctivisme en admettant que quel que soit le genre d’expérience dont nous jouissons lorsque nous percevons véridiquement, ce même genre

123 Thau 2004 et Millar 2007 partagent cette interprétation.

124 Overgaard 2011 soutient aussi que la cible de McDowell ne saurait se restreindre aux seules

d’expérience peut être celui dont nous jouissons lorsque nous hallucinons. Or, une telle idée – et par conséquent toute théorie conjonctive de la perception – implique, selon McDowell, que les expériences perceptuelles procurent au mieux des justifications non-conclusives ou défaisables pour des croyances à propos de notre environnement. Mais pourquoi cela devrait- il être le cas ? Comme il a été auparavant remarqué, d’après les théories conjonctives, une expérience perceptuelle en tant que telle est compatible avec la non-réalisation dans le monde de ce qui apparaît perceptuellement ; elle laisse toujours ouverte la possibilité d’une inadéquation entre réalité et apparences. Il s’ensuit que quand nous recourons à une telle expérience perceptuelle pour justifier la croyance correspondante, nous possédons au mieux une justification compatible avec la fausseté de la croyance qu’elle supporte, une justification qui laisse ouverte la possibilité de croire quelque chose de faux en se fiant à elle ; nous possédons donc au mieux une justification perceptuelle défaisable.

Quant à P4), la prémisse affirmant que les théories disjonctives peuvent offrir des justifications perceptuelles indéfaisables, elle est également clairement défendue par McDowell. Par exemple, à l’encontre de la compréhension du disjonctivisme proposée par Wright, McDowell insiste sur le fait que :

« The point of the disjunctive conception is that if one undergoes an experience that belongs on the « good » side of the disjunction, that warrants one in believing – indeed presents one with an opportunity to know – that things are as the experience reveals them as being. When one’s perceptual faculties « engage the material world directly », as Wright puts it, the result – a case of having an environmental state of affairs directly present to one in experience – constitutes one’s being justified in making the associated perceptual claim. […] And this justification is not defeasible. If someone sees that P, it cannot fail to be the case that P. » (McDowell 2008 : 384)

Et contre la disqualification du disjonctivisme par Burge, McDowell en expose les réels tenants et aboutissants en avançant que :

« The disjunctive formulation states the point positively : of experiences that seem to reveal to one some aspect of how things are in one’s environment, some make that aspect of reality perceptually present to one, whereas the others only seem to do that. Making something perceptually present to one goes beyond being merely veridical, the best condition Burge can attribute to exercises of perceptual capacities. Having something perceptually present to one is having an indefeasible warrant for believing that things are a certain way. » (McDowell 2010 : 246)

Que les conceptions disjonctives de la perception peuvent mettre à disposition des justifications indéfaisables suit directement des clarifications de la section précédente. En effet, le disjonctivisme maintient que perceptions véridiques et hallucinations, bien que potentiellement phénoménalement indiscernables, ne sont pas des états mentaux du même genre. Pour McDowell, comme il apparaît dans les citations ci-dessus, les expériences perceptuelles s’avèrent soit des états de choses objectifs se manifestant ou étant présents pour des sujets, soit des situations dans lesquelles on dirait qu’un état de choses objectif se manifeste à un sujet bien que cela ne soit en réalité pas le cas. Or, en tant que genre d’état mental, les perceptions véridiques – pour McDowell, les cas où un fait se manifeste à un sujet – se révèlent factives ; leur occurrence garantit que les choses sont dans le monde comme elles apparaissent dans l’expérience. Autrement dit, et comme McDowell lui-même le souligne, si un sujet voit que p, si p se manifeste à un sujet, alors nécessairement p125. Par conséquent, lorsque nous recourons à une expérience véridique – genre d’état perceptuel absent des théories conjonctives – pour justifier la croyance correspondante, nous possédons une justification qui exclut la fausseté de la croyance qu’elle supporte, une justification qui garantit la vérité de la croyance ; nous possédons donc une justification perceptuelle indéfaisable.

Dans le document Les rôles épistémiques de la perception (Page 98-101)