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Partie I. Une protection nécessaire contre le parasitisme économique

Section 2 Une jurisprudence anarchique

Les décisions dans lesquelles la théorie du parasitisme a été invoquée manquent de manière générale de clarté, d’une part, par la confusion des juges concernant la distinction entre parasitisme et concurrence déloyale, d’autre part, par les motivations imprécises de leurs décisions.

I. La distinction nébuleuse entre parasitisme et concurrence déloyale

La distinction entre parasitisme et concurrence déloyale n’est aujourd’hui plus forcément importante, puisque les deux comportent des points communs et conduisent aux mêmes effets et sanction. Mais le manque de clarté des juges sur l’importance ou non de cette distinction porte à confusion alors que la situation devrait être limpide.

A. Une distinction a priori claire

Le parasitisme n’est qu’une modalité de la concurrence déloyale, et en cela il ne peut en différer totalement. Les conditions d’application des deux régimes sont les mêmes, puisqu’elles sont issues de la responsabilité civile délictuelle. Mais le juge a récemment rappelé qu’au-delà de ce fondement commun, le parasitisme et la concurrence déloyale ne devaient être confondues114. Dans un litige entre la société Fashion, exploitant sous la marque Bel Air et la société Kookaï, la première reprochait à la seconde de commercialiser des pantalons portant confusion avec ses propres pantalons. La Cour a observé que la concurrence déloyale ne pouvait être admise, puisqu’au-delà de la similitude de la gamme de couleurs et de la coupe des jeans, plusieurs différences étaient observables, notamment la présence de boutons pression et de poches arrières cousues sur l’un et non sur l’autre, la forme différente de la coupe du bassin, de la longueur de la ceinture et de la distance entre l’entrejambe et le haut du pantalon, et l’étiquetage évidemment différent. Ces différences ne permettaient pas de démontrer un risque de confusion, nécessaire pour une action en concurrence déloyale pour confusion. En revanche, le choix des couleurs de la gamme de Kookaï, framboise, bleu, et

beige/vert, était similaire à celui de Bel Air, ce qui pouvait conduire à un effet visuel identique. Pour la Cour, le modèle n’était pas original, mais le choix des couleurs l’était. La société Kookaï a donc été condamnée pour parasitisme, au moyen qu’elle se serait ainsi placée dans le sillage de la société Fashion. La faute du parasitisme et de la concurrence déloyale relève de deux sources différentes : d’une part dans le premier cas, la recherche de profit tiré des investissements ou du savoir-faire d’autrui, d’autre part dans le second cas, la recherche de confusion. Ceci a été clairement affirmé par la Cour elle-même, ce qui n’empêche pas que les juges ne soient pas toujours clairs dans leurs décisions sur le parasitisme.

B. La confusion des juges

Deux principales raisons fondent la confusion des juges sur la différence entre concurrence déloyale et le parasitisme : d’une part, l’élargissement des conditions de la concurrence déloyale, d’autre part, que si la présence d’un élément intentionnel est indifférent pour l’action en concurrence déloyale, il est difficile de déterminer si cet élément est également indifférent pour le parasitisme ou non.

D’abord, les conditions de l’action en concurrence déloyale sont de plus en plus larges, et celle-ci est admise dans de plus en plus de cas, de sorte que la concurrence déloyale est à même de prendre en compte les situations de parasitisme. A l’origine, le parasitisme a été conçu pour pallier les insuffisances de la concurrence déloyale. Puis, le parasitisme est devenu assez autonome par rapport à la concurrence déloyale115. A présent, il devient difficile de savoir si parasitisme et concurrence déloyale doivent être liés, par absorption du parasitisme dans la concurrence déloyale, ou s’il faut les traiter différemment.

En effet, la jurisprudence a supprimé l’exigence directe d’un rapport de concurrence dans l’action en concurrence déloyale, pour la remplacer par l’exigence indirecte d’une clientèle commune, également liée à la situation de concurrence. Puis l’exigence du lien de concurrence a totalement disparu lorsque le juge a affirmé que « la situation de concurrence n’est pas une condition de l’action en concurrence déloyale »116. En conséquence, comme évoqué précédemment, l’action en parasitisme pour utilisation illégitime de la réputation d’autrui peut aujourd’hui également être condamnée par la concurrence déloyale. Des points de rapprochement sont donc clairs, mais les deux actions sont aussi différentes. Pourtant, La

115 DUCOCQ Georges, « Concurrence déloyale et parasitisme, deux régimes autonomes ? », p. 90. 116 Cass. Com, 12 février 2008, op.cit. Note 24, La Fermière c/ Yoplait.

Cour de cassation a souvent utilisé la notion de parasitisme pour condamner des comportements sur le fondement de la concurrence déloyale. Par exemple, dans un arrêt en date du 5 juillet 2006, la Cour a condamné une entreprise sur le fondement du parasitisme car elle « avait réalisé une économie et détourné par des procédés déloyaux les clients de sa concurrente »117. L’ambiguïté de la formule montre ici particulièrement bien la confusion de la Cour de cassation118. De même, dans un arrêt plus récent en date du 16 février 2016, la Cour a condamné une société sur le fondement du parasitisme alors que la concurrence déloyale aurait suffi à obtenir une condamnation de l’agent déloyal119.

L’action en concurrence ou agissement parasitaire semble nécessiter une faute intentionnelle, comme c’est le cas en Allemagne, mais contrairement à la concurrence déloyale. Pourtant dans plusieurs arrêts comme dans l’arrêt Cartier c/ L’Oreal, la Cour d’appel de Paris a considéré que le parasitisme ne sanctionnait pas exclusivement les fautes intentionnelles, mais tout comportement fautif même involontaire120. Les actions en concurrence déloyale et en parasitisme se confondent ainsi, sans qu’on puisse y déceler une raison ou une logique particulière121. Selon M. Azéma, « on peut douter de l’utilité, et même de l’opportunité d’un habillage qui ne peut aboutir qu’à troubler la rigueur des mécanismes juridiques »122.

A ces incertitudes se couple le fait que les juges rendent parfois des décisions contradictoires, et que leurs motivations manquent parfois de clarté.

II. Des décisions contradictoires aux motivations douteuses

A. Les désaccords entre les chambres de la Cour de cassation

La cohérence du droit dans les années 2000 concernant la théorie du parasitisme n’était pas à son maximum. M. Passa condamnait cette incohérence encore en 2009 : « la jurisprudence actuelle est, sur l’importante question du parasitisme économique, marquée par la plus grande incertitude et, pour tout dire, une franche incohérence »123. En effet, si la

117 Cass. Com. 5 juillet 2006.

118 Cette ambiguïté et cette confusion sont d’ailleurs relevées par Jacques AZEMA, « L’incidence des dérives du parasitisme », mél. Didier, op. cit. note 21, p. 8.

119 Cass. Com. 16 février 2016, n°13-28.448, com. Malaurie-Vignal. 120 CA Paris, 21 octobre 2015, Cartier c. L‘Oréal.

121 AUGUET Yvan, Concurrence interdite, concurrence déloyale et parasitisme, p. 12. 122 AZEMA Jacques, op. cit. note 118, p. 8.

123 PASSA Jérôme, « Pour ou contre la sanction du parasitisme ? Divergences, confusions et contradictions », Revue propriété intellectuelle, 2009, p. 109 et s.

Chambre commerciale de la Cour de cassation ainsi qu’une grande partie des juges du fond sanctionnaient avec ardeur le parasitisme, une autre jurisprudence minoritaire tentait de limiter la sanction de la théorie du parasitisme.

Par exemple et entre autres, la Cour d’appel de Versailles a refusé de sanctionner sur le fondement de la théorie du parasitisme, la reprise d’un code de couleur sur des flacons utilisés dans le milieu hospitalier, pour des médicaments dont la dénomination était similaire à celle du concurrent. Pour refuser cette protection, la Cour d’appel rappelle que « la reproduction ou l'imitation de produits ou de leur conditionnement non protégés par un brevet ou par un dépôt de marque constitue l'exercice d'un droit qui, traduction du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, ne devient répréhensible que s'il s'accompagne de procédés déloyaux au regard des règles présidant à la probité commerciale »124. D’autres Cours d’appel ont suivi cette argumentation125. Ces Cour d’appel ont été critiquées par la doctrine qui soutenait la théorie du parasitisme.

A l’opposé, la chambre commerciale de la Cour de cassation a plusieurs fois sanctionné le parasitisme, alors même que les faits pouvaient mettre en question la nécessité de cette sanction. Par exemple, dans un arrêt en date du 30 janvier 2001, la Chambre commerciale a condamné le fait pour un catalogue d’avoir des similitudes avec celui de son concurrent « sans avoir à rechercher si l'imitation retenue avait provoqué un risque de confusion ou si elle avait porté sur des éléments qui auraient coûté à l'auteur du catalogue copié des efforts et des investissements »126. Ici, la condamnation est donc faite sans recherche des efforts et investissements effectués pour la fabrication du catalogue copié, ces éléments étant pourtant essentiels dans la définition du parasitisme économique. D’autres décisions de la chambre commerciale de la même période se sont décidées en ce sens127.

Au delà des conflits entre les Cours d’appel et la chambre commerciale de la Cour de cassation, nombre de décisions, y compris plus récentes, qui manquent de motivations ou de motivations claires, démontrent l’incompréhension des juges face à la théorie du parasitisme, ou leur volonté d’extension de la théorie.

124 CA Versailles, 29 mars 2001, n° 1998-5727.

125 Par exemple CA Paris 27 avril 2001, CA Paris 20 juin 2001, CA Versailles 6 juin 2002. 126 Cass. Com. 30 janvier 2001.

127 Par exemple Cass. Com. 22 octobre 2002, Métro c. Cartier, Cass. Com. 22 octobre 2002, Go Sport c. Decathlon, ou encore Cass. Com. 8 juillet 2003.

B. Des motivations floues

Certaines motivations des juges laissent planer le doute quant à leur bonne compréhension de la théorie, ou quant à leur volonté de sanctionner avec justesse le parasitisme et non avec un moindre intérêt. Par exemple, dans un arrêt du 4 novembre 2008, le TGI de Paris a d’abord refusé la contrefaçon pour défaut de risque de confusion entre les escarpins à semelles rouges Louboutin et la copie fabriquée par Zara, - risque de confusion nécessaire selon l’article L. 713-3 du Code de propriété intellectuelle -. Puis la même décision retient la volonté manifeste de se situer dans le sillage de la notoriété de la marque imitée, en profitant de la confusion entretenue, pour condamner Zara sur le fondement du parasitisme. Ainsi, il n’y avait pas de confusion sur le terrain de la marque, mais il y en aurait une sur le terrain du parasitisme ?

De même, dans une autre affaire, la chambre commerciale de la Cour de cassation a condamné pour parasitisme un commerçant fabriquant des produits typiquement sétois, comme son concurrent, parce qu’il avait utilisé des emballages semblables, en plastique thermoformé transparent, ce qui répondait à des nécessités techniques, mais en posant une étiquette au même endroit avec un typographie similaire à son concurrent128. Comme dans l’arrêt précédent, la Cour retient le risque de confusion, alors qu’elle l’avait refusé pour les droits privatifs. Pour sa motivation, elle mélange un peu de concurrence déloyale avec le risque de confusion, au parasitisme en évoquant les investissements réalisés par le tiers, sachant que le risque de confusion était lié à des nécessités techniques, et que les investissements ne semblaient pas bien importants129.

Ces décisions ne sont que des exemples parmi d’autres, et montrent que les juges, aussi bien les juges du fonds que les Hauts Magistrats de la Cour de cassation, souhaitent protéger de manière extensive les investissements et efforts sur le fondement du parasitisme.

Le manque de clarté des décisions porte ainsi atteinte à la cohérence du droit et à la sécurité juridique, tant il est devenu impossible de classifier les différentes situations de parasitisme et de prévoir l’issue d’une décision dans laquelle la théorie du parasitisme est invoquée.

Les juges allemands quant à eux, mettent de manière générale strictement en application la loi UWG. La certitude et la cohérence qui en résultent sont ainsi plus

128 Cass. Com. 21 février 2012.

satisfaisantes que les résultats de l’application de la théorie du parasitisme par les juges français.