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Bilan des avantages et inconvénients de la théorie du parasitisme face à la législation

Partie II. L’application injustifiée de la théorie en droit positif

Section 1 Bilan des avantages et inconvénients de la théorie du parasitisme face à la législation

Le régime allemand, codifié et – parfois trop - précis, a des avantages dont la France devrait s’inspirer, mais comporte également des inconvénients sur lesquels il pourrait s’inspirer du régime français.

I. La souplesse d’une théorie jurisprudentielle à la française

La théorie du parasitisme en France a pour avantage d’être très souple et s’adapte ainsi à de nombreuses situations, mais c’est également l’insécurité juridique à laquelle cette adaptabilité est liée qui la décrédibilise en partie.

A. L’adaptation aux enjeux actuels et futurs

La jurisprudence française sur la concurrence déloyale et parasitaire a permis, par la largesse des termes de l’article 1382 du code civil, d’étendre la théorie à des cas qui ne bénéficiaient autrement d’aucune protection. La théorie du parasitisme bénéficie ainsi de l’universalité de la responsabilité civile206. Cet avantage lui a permis, à l’instar des juges allemands sur le fondement de la clause générale du §1 UWG, de protéger de nouvelles catégories qui ne bénéficiaient pas de la protection de la propriété intellectuelle, alors qu’une telle protection était manifestement nécessaire, c’est-à-dire pour protéger le titulaire d’une valeur économique de l’usurpation des tiers. Par exemple, la jurisprudence a protégé par le biais du parasitisme les titulaires de logiciels ou de bases de données, ainsi que les appellations d’origine, avant qu’une protection par la promulgation d’une loi par le législateur ne soit votée207. De même, elle protège les noms de domaines, depuis l’apparition de l’internet208.

Un exemple aujourd’hui très actuel qui mériterait également une protection par la théorie du parasitisme est celui des créations par les robots journalistes. En effet, certaines agences de presse commencent à utiliser des robots pour rédiger des dépêches, comme l’agence américaine Associated Press. Au regard du droit d’auteur, la robotisation de la production journalistique pose des questions. La protection par le droit d’auteur suppose l’existence d’une œuvre de l’esprit originale, ce qui ne s’applique pas aux robots, en l’absence de détermination d’un auteur personne physique209. Il s’agit ici d’une nouvelle forme de création qui n’est pas protégée par le droit d’auteur, et dont la reprise servile pourrait éventuellement être sanctionnée par la théorie du parasitisme.

206 LE TOURNEAU, op. cit Note 188. « De la modernité du parasitisme », p. 5. 207 LE TOURNEAU, op. cit.Note 188 « De la modernité du parasitisme », p. 5.

208 BEKALE NGUEMA Gilbert Blaise, Concurrence déloyale et commerce électronique, p. 64 et s. 209 LEBOIS Audrey, « Quelle protection juridique pour les créations des robots journalistes ? », p.1.

L’utilité de la théorie du parasitisme est alors ici de « pallier les incohérences ou insuffisances de la loi »210, et doit pouvoir garder cette fonction, en prenant garde de ne pas « reconstituer des monopoles non voulus par le législateur et inévitablement contraires à la liberté du commerce et de l’industrie »211. La malléabilité de la responsabilité civile est donc un grand avantage, à manier avec précaution.

B. Un risque d’insécurité juridique

Le risque de cette malléabilité de la théorie du parasitisme est son insécurité juridique. Comme vu précédemment, la jurisprudence en matière de parasitisme reste assez incertaine car la motivation des juges est souvent floue. Les solutions paraissent fluctuer au gré des espèces sans qu’on puisse en tirer une logique certaine. Toute systématisation semble ainsi impossible en matière de parasitisme, qui est liée à une forte casuistique212. Le risque qui en résulte est celui d’une insécurité juridique contestable213. Le droit français devrait ici s’inspirer de la clarté des conditions à l’allemande, qui, si elles rendent difficiles une action en concurrence parasitaire, ont au moins le mérite d’être précises, compréhensibles et fiables. La sécurité juridique est pour cette raison beaucoup mieux respectée en Allemagne qu’en France au sujet de la concurrence parasitaire.

II. La cohérence d’un régime légal de concurrence déloyale à l’allemande

Les allemands ont légiféré depuis 1909 en matière de concurrence déloyale. La protection de la loi UWG, contre la concurrence déloyale, ne protège pas uniquement les concurrents, mais tous les acteurs du marché. Cela a l’avantage de réunir tous les comportements déloyaux en une seule loi, et pose la question de la nécessité d’une législation en France. Mais cela a pour conséquence l’éparpillement des normes juridiques qui concernent la protection de ces autres acteurs dans d’autres codes et lois.

210 COLOMBET Claude, « Quelques réflexions « impertinentes » en matière de propriété littéraire et artistique », mél. Gavalda, p. 79 et s.

211 BURST Jean-Jacques, « La reconstitution des monopoles de propriété industrielle par l’action en concurrence déloyale ou en responsabilité civile : mythe ou réalité ? », mél. Mathély, p. 93.

212 CARON Christophe, « Les relations fusionnelles du parasitisme et de la contrefaçon »,comm. 32. 213 PASSA Jérôme, « Pour ou contre la sanction du parasitisme ? Divergences, confusions et contradictions », p.109.

A. Une protection légale large bénéficiant aux autres acteurs du marché

D’après le §1 de la loi UWG sur la concurrence déloyale, la loi s’applique aux concurrents, aux consommateurs ainsi qu’aux autres participants au marché, et protège l’intérêt de la communauté214. La loi contre la concurrence déloyale a ainsi l’avantage de contenir les pratiques commerciales déloyales à l’égard des consommateurs et édictées sous l’influence du droit de l’Union Européenne, tout comme le régime de concurrence déloyale qui condamne les comportements déloyaux entre concurrents sur le marché. En France au contraire, le cloisonnement entre concurrence déloyale et pratiques commerciales déloyales et trompeuses paraît dommageable, ces dernières ne sont « qu’un prolongement de la concurrence déloyale »215. Dans les deux hypothèses il s’agit bien d’un « trouble causé au marché par un comportement irrespectueux du droit »216. Une codification de la concurrence déloyale dans le livre IV du code de commerce avait été proposé par la commission Canivet, mais n’a pas été retenue par la loi du 2 août 2005. Une législation similaire à celle de la concurrence déloyale en Allemagne serait porteuse de sens, en ce qu’elle apporterait à la fois la clarté nécessaire et manquante à la théorie actuelle du parasitisme, tout en permettant une unification des normes de concurrence et pratiques déloyales. En effet, les pratiques déloyales à l’égard du consommateur sont presque toujours des pratiques déloyales à l’égard du concurrent, et inversement217. D’ailleurs, les juges français ne semblent pas indifférents au fait que la concurrence déloyale doit également prendre en compte le consommateur. Par exemple, dans un arrêt en date du 16 février 2016, la Cour de cassation retient que « La société qui, dans le cadre des pourparlers liés à l’acquisition d’un fonds de commerce concurrent, reprend le concept de restauration (nom, agencement des tables et pizzas proposées) et cherche à tromper le consommateur en suggérant un lien entre ces deux établissements, adopte un comportement parasitaire »218. Ici, les Hauts Magistrats déterminent le comportement parasitaire non seulement par les critères classiques du parasitisme (notamment ici la reprise des éléments essentiels et caractéristiques du restaurent, fruits des efforts et des investissements de celui-ci), mais mentionne également le fait que le

214 §1 UWG : Dieses Gesetz dient dem Schutz der Mitbewerber, der Verbraucherinnen und

Verbraucher sowie der sonstigen Marktteilnehmer vor unlauteren geschäftlichen Handlungen. Es schützt zugleich das Interesse der Allgemeinheit an einem unverfälschten Wettbewerb.

215 PICOD Yves, « Plaidoyer pour une consécration législative de la concurrence déloyale », mél.

Serra, p. 361.

216 PICOD Yves, op. cit. note 198, p. 362. 217 PICOD Yves, op. cit. n°198, p. 363.

consommateur ait été trompé, l’acte de tromperie n’étant pas normalement sanctionné sur le fondement du parasitisme mais sur la tromperie du Code de la consommation.

Ce mouvement a bien été compris par les allemands et se reflète très bien dans la loi UWG. L’efficacité du droit français n’en serait que renforcée, même si ce système n’est pas sans quelques défauts, comme le fait que le juge peut se voir enfermé dans l’application de la loi.

B. Une loi UWG en manque d’ouverture

Cette critique du manque d’ouverture de la loi UWG est actuellement débattue en Allemagne et concerne surtout la nécessité d’application du § 3 I UWG en tant que clause générale qui permettrait au droit allemand de respirer à nouveau. Le §3I UWG, comme vu précédemment, permettrait au juge de pouvoir adapter la loi UWG aux nouvelles évolutions, comme celle de l’internet décrite plus tôt. En effet, en l’absence d’utilisation de la clause générale, le droit allemand de la concurrence parasitaire reste enfermé dans des conditions très strictes, qui sont certes adaptées aux pratiques qu’elles sanctionnent, mais ne permettent pas d’envisager une évolution du droit en dehors des législations. Pourtant, c’est d’abord le rôle du juge de permettre une évolution du droit, ou de la mettre en avant pour que le législateur puisse prendre le relais. On craindrait alors, en l’absence d’utilisation de la clause générale du §3 I UWG, que le droit allemand s’enferme dans un droit non évolutif. Le droit français permet bien cette évolution par l’utilisation de la responsabilité civile, et s’il fallait engager une réforme de la concurrence déloyale en France en imaginant une codification dans le code de commerce, il faudrait alors prévoir un article permettant un élargissement du régime face aux évolutions. C’est un juste milieu qu’il paraît difficile de trouver, en considération du droit français, aujourd’hui trop large, et du droit allemand, aujourd’hui trop strict, mais qui n’est pas impossible : on trouve dans les deux pays des auteurs qui proposent les réformes nécessaires.

Pour le moment, aucun des deux systèmes, français ou allemand n’est parfait en ce qu’aucun des deux pays n’a trouvé un bon équilibre entre liberté de la concurrence et protection des innovations. Mais en ce qui concerne le droit français et outre une éventuelle codification, qui ne paraît actuellement pas être en route, la théorie du parasitisme peut trouver un équilibre en respectant certaines règles jusqu’alors non respectées.