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En juillet 1992, lors du Sommet de Munich, les Sept semblent pousser pour un achèvement du

Cycle

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, mais cela reste timide et n’apporte finalement rien de nouveau par rapport aux années

précédentes

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. Alors que la question traditionnelle des produits industriels ne pose pas de pro­

blèmes majeurs, se sont dans les nouveaux domaines de négociation que les blocages ont lieu,

et en particulier en ce qui concerne les produits agricoles et plus généralement la question de

l’accès aux marchés.

Dans le domaine agricole, le principal différend oppose les Etats-Unis et la Communauté eu­

ropéenne, elle-même divisée sur le sujet. Un accord séparé, en dehors du cadre du GATT (et

du G7), intervient à Washington le 20 novembre 1992 entre les commissaires européens et re­

présentants américains : il s’agit de l’Accord de Blair House. Cet accord est cependant contes­

té par la France, qui considère que la Commission a outrepassé ses prérogatives, allant au-delà

du mandat fixé par le Conseil des ministres. Selon la position française, l’Accord de Blair

House ne pouvait être qu’un « préaccord », nécessitant d’être ratifié par le Conseil des mi­

nistres ; or la France menaçait d’y exercer son « droit de veto »

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. Il restait en outre un blocage

sur la question de l’accès aux marchés.

La situation va se débloquer au milieu de l’année 1993. Le 1er juillet, Peter Sutherland suc­

cède à Arthur Dunkel au poste de directeur général du GATT. Quelques heures après son élec­

tion, il déclare dans un communiqué de presse que le Sommet de Tokyo, qui se tiendra une se­

maine après, sera « crucial » pour une conclusion rapide de l’Uruguay Round et qu’il faudrait

26. « Une issue favorable au Cycle d'Uruguay constituerait une contribution significative pour l'avenir de l'éco­ nomie mondiale. Une conclusion rapide des négociations renforcera nos économies, stimulera le processus de ré­ forme en Europe orientale et donnera de nouvelles chances pour assurer le bien-être d'autres nations, notamment des pays en voie de développement » (G7, 1992, § 8).

27. Le principe d’un accord est ainsi repoussé pour l’automne suivant, par la volonté notamment du Président Mitterrand, sans que les autres délégations n’aient exercé de fortes pressions. Voir Martine Royo, « La France re­ pousse à l’automne un accord sur l’Uruguay Round », Les Echos, 8 juillet 1992, p. 3. Lors du Sommet précédent à Londres, en juillet 1991, les Sept se montraient même plus optimistes : « nous affirmons notre engagement en faveur d'un ensemble de résultats du cycle qui soit ambitieux, global et équilibré, avec la plus large participation possible à la fois des pays développés et des pays en développement. Le but de toutes les parties contractantes devrait être que les négociations s'achèvent avant la fin de 1991 » (G7, 1991, § 10).

28. Le Traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne avait prévu que les décisions au Conseil des ministres devraient être prises à la majorité simple ou qualifiée, après une période de transition. En 1965, et avant que le champ d’application du vote à la majorité soit étendu, la crise de la chaise vide éclate : le général de Gaulle, alors président de la France refuse que dans une instance intergouvernementale, la souve­ raineté soit sacrifiée à l’autel de la majorité. Le crise sera réglée par le Compromis de Luxembourg selon lequel, lorsque « des intérêts très importants d’un ou plusieurs partenaires sont en jeu, les membres du Conseil s’efforce­ ront, dans un délai raisonnable, d’arriver à des solutions qui pourront être adoptés par tous les membres du Conseil dans le respect de leurs intérêts mutuels et ceux de la Communauté… » et la France obtient que soit ajouté que, « lorsqu’il s’agit d’intérêts très importants, la discussion devra se poursuivre jusqu’à un accord una­ nime ». Voir Hamon et Keller, 1997, pp. 169-171.

« des actions, pas des mots », plaçant ainsi une pression forte sur le G7 (Croome, 1995, p.

347). Dans la foulée, les ministres de la « Quad »

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, qui représentent tous les pays du G7, se

rencontrent à Tokyo, un peu avant les chefs d’Etat et de gouvernement. Le 7 juillet, les mi­

nistres de la Quad proposent un accord-cadre (broad package agreement) sur la façon dont ils

vont poursuivre les négociations sur l’accès aux marchés. Le package est validé par les chefs

d’Etat et de gouvernement lors du sommet de Tokyo III

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.

Les négociations commerciales multilatérales, dans le cadre du GATT puis de l’OMC, sont

menées par les Etats (leurs représentants officiels). En dépit de la règle du consensus et de la

règle du « un pays égale une voix », les rapports de pouvoir entre Etats s’expriment dans la

définition, l’orientation et les résultats des négociations (Gerbier et Abbas, 2000 ; Steinberg,

2002). Les rapports de pouvoir au sein de l’OMC impliquent une certaine hiérarchie de pou­

voir, une « hégémonie institutionnelle » (Abbas, 2000). Au cœur de cette hégémonie, les Etats

de la « Quad », c’est-à-dire les Etats du G7, ont traditionnellement mené les débats. Ce pre­

mier cercle est celui qui façonne l’agenda des négociations commerciales ; les autres Etats ap­

paraissant, à des degrés divers, plus ou moins passifs et « regime takers » en matière de négo­

ciations commerciales multilatérales (Abbas, 2002).

3.2.2.2.2 Les nouvelles puissances commerciales et la remise en cause de l’influence déter­

minante du G7 sur les négociations multilatérales

Les évolutions récentes dans les négociations commerciales multilatérales ont cependant

transformé la gouvernance de l’OMC. Comme l’indique Mehdi Abbas : « l’époque où une

poignée de main entre le négociateur européen et le négociateur américain à Blair House (dé­

cembre 1993) suffisait pour annoncer la fin du Cycle de l’Uruguay est révolue » (Abbas,

29. Pour « Quadrilatérale », groupe composé des Etats-Unis, de l’Europe, du Japon et du Canada. Il s’agit du G7 version commerce.

30. Dans sa conférence de presse du 9 juillet, le Premier ministre japonais Miyazawa estime que les négociations quadrilatérales qui se sont tenues juste avant le sommet, qu’il a lui-même encouragées, ont été fructueuses et que des « progrès significatifs » ont été réalisés en ce qui concerne l’accès au marché des biens et services <http://www.g8.utoronto.ca/summit/1993tokyo/miyazawa/3.html>. Quant au Communiqué économique du Som­ met, après le traditionnel rappel de l’engagement du G7 contre le protectionnisme, il indique que : « [n]otre prin­ cipale priorité est de mener à bon terme le cycle d'Uruguay. Nous accueillons avec satisfaction le progrès signifi­ catif réalisé récemment sur la voie d'un accord relatif à un vaste accès au marché des biens et des services, parce qu'il constitue une étape importante vers la reprise immédiate des négociations multilatérales à Genève » (G7, 1993, § 7).

2005, p. 890).

Désormais, il faut tenir compte, au-delà des dissensions intra-quadrilatérales, du positionne­

ment des principales puissances du Sud : le Brésil, l’Inde et la Chine pour l’essentiel. Si ces

Etats n’exercent pas encore de leadership dans la définition et l’orientation des négociations,

ils n’hésitent pas à faire valoir leurs préférences et à imposer un blocage sur les dossiers qui

leur sont défavorables. Cette nouvelle configuration des rapports de forces en jeu dans les né­

gociations traduit des changements structurels dans le commerce mondial, à commencer par

l’émergence de certains NPI en tant que puissances commerciales de premier plan, et le relatif

déclin de la puissance commerciale des pays du G7 qui l’accompagne. Le graphique de la fi­

gure 3.5 met en évidence ce déclin relatif.

L’émergence de nouveaux acteurs clés pousse à une complexification des processus de négo­

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