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Compte tenu de la variété des cadhérines existantes, il semble difficile de faire émerger un rôle commun à toutes ces molécules dans la migration cellulaire. Je m’attacherai, ici, à décrire principalement les rôles joués par la N-cadhérine, qui a été l’objet d’étude majeur de ma thèse, et la E-cadhérine, parce qu’elle constitue la cadhérine la plus étudiée.

IV.A. Jonctions adhérentes, migration cellulaire et morphogénèse des tissus

Certains processus développementaux nécessitent la migration de cellules produites à distance de leur futur lieu de résidence. Celles-ci doivent pouvoir se détacher de leur lieu de naissance, naviguer entre les cellules stromales de la matrice extracellulaire et arriver sur leur lieu de destination où elles referont des nouveaux contacts. Il y a donc nécessité d’une régulation très fine de l’expression des cadhérines pendant le développement pour permettre à ces deux actions apparemment opposées de se produire. De plus, pendant la migration même, les cellules sont en contact permanent avec les cellules avoisinantes et doivent donc moduler la dynamique de leurs jonctions afin de coordonner au mieux l’adhérence et la migration.

Les contacts intercellulaires peuvent agir sur la migration essentiellement de quatre manières différentes :

- comme supports mécaniques de la migration

- comme plateforme de signalisation favorisant la migration cellulaire

- comme promoteurs de la cohésion du groupe de cellules lors de la migration collective - comme freins ou aiguilleurs de la migration lors de l’inhibition de contact de la

mobilité

-

IV.A.1. Les jonctions adhérentes constituent des supports adhésifs favorisant la migration cellulaire

L’ancrage des jonctions adhérentes au cytosquelette permet, non seulement de maintenir l’adhérence entre cellules adjacentes qui se retrouvent « collées » les une aux autres, mais d’assurer également un couplage mécanique entre les forces d’adhérence générées aux zones de contact intercellulaire et le reste de la cellule. Ce couplage permet aux cellules d’utiliser les cadhérines comme supports adhésifs pour promouvoir la migration cellulaire. Par exemple, au cours de l’oogénèse chez la drosophile, les cellules du bord, détachées de l’épithélium, utilisent la E-cadhérine pour migrer entre les cellules nourricières et atteindre l’oocyte à l’autre extrémité de la drosophile (Niewiadomska et al., 1999). Chez le poisson zèbre, la N-cadhérine contrôle le positionnement des neurones et leur correcte innervation du tissu en régulant leur adhérence au neuroectoderme et leur migration pendant la neurulation (Lele et al., 2002). Enfin, chez la souris, la croissance axonale, la fasciculation et le branchement dendritique sont finement régulés par l’adhérence dépendante de la N-cadhérine (Riehl et al., 1996; Yu and Malenka, 2003; Zhu and Luo, 2004).

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Le principe du couplage mécanique aux jonctions adhérentes

Le mécanisme à l’œuvre lors du couplage mécanique a d’abord été investigué in vitro grâce à l’utilisation de substrats artificiels de cadhérines. Les cellules neuronales sont placées sur un substrat recouvert d’une protéine chimère contenant la partie extracellulaire adhésive de la N-cadhérine, couplée au fragment Fc des anticorps. Ces études ont permis de mettre en évidence le rôle positif de la liaison à la N-cadhérine dans la migration du cône de croissance (Bard et al., 2008; Giannone et al., 2009). Cette interaction génère des forces protrusives et contractiles nécessaires à l’avancée de la cellule.

Les contacts dépendant des cadhérines supportent un stress mécanique associé à la migration cellulaire de la même manière que les plaques d’adhérence dépendantes des intégrines supportent des forces de traction quand la cellule migre sur la matrice extracellulaire. En effet, la magnitude des forces subies par les cadhérines liées à un substrat solide est du même ordre que celles transmises par les intégrines aux points focaux d’adhésion (Ganz et al., 2006; Ladoux et al., 2010). L’architecture solide des JAs est fondamentale pour que la cellule, qui migre, puisse se servir de la cellule, sous-jacente ou voisine, comme de support. En effet, des anticorps contre la N-cadhérine empêchent la migration des cônes de croissance neuronaux sur les cellules de Schwann in vitro, tandis que des anticorps contre une autre molécule d’adhérence neuronale, L1-CAM, n’affectent pas leur migration (Letourneau et al., 1990). Les contacts intercellulaires indépendants de la cadhérine et médiés par des récepteurs transmembranaires non liés solidement au cytosquelette sous-jacent ne semblent pas capables de résister aux forces nécessaires à la migration cellulaire.

Quand les cellules migrent sur un substrat de cadhérines, le couplage mécanique entre les JAs et le réseau contractile d’actomyosine sous-jacent fait intervenir de nombreuses protéines liant l’actine et directement ou indirectement les caténines associées aux cadhérines. La vitesse d’avancée du cône de croissance est corrélée avec l’efficacité du couplage mécanique entre la N-cadhérine et le flux rétrograde d’actine, et dépend de l’α-caténine (Bard et al., 2008). Des données in vivo concernant la migration des cellules germinales du poisson zèbre ont permis de montrer que la liaison de la E-cadhérine au réseau d’actine via la β-caténine était indispensable à leur migration (Kardash et al., 2010). Afin de supporter les forces d’adhérence, de nombreux câbles d’actine parallèles à la membrane sont formés après contact et la contractilité de ce réseau d’actine, permise par le recrutement de la myosine II par Rho, permet de soutenir un peu plus l’adhérence (Adams and Nelson, 1998; Liu et al., 2010).

L’embrayage moléculaire aux JAs assure leur fonction de support de la migration

La polymérisation de l’actine à l’avant de la cellule génère une force de réaction de la membrane plasmique à l’avancée des filaments d’actine, entraînant un flux rétrograde de

l’actine (Cramer, 1997; Lin and Forscher, 1995). Lorsque ce flux est stoppé par l’ancrage des

filaments aux points focaux d’adhésion, la polymérisation de l’actine à l’avant génère cette fois une avancée nette de la membrane plasmique puisque la force de réaction de la membrane est inférieure à celle, opposée, produite aux points focaux d’adhésion. C’est le principe

d’embrayage moléculaire (ou « molecular clutch ») lié aux intégrines (Mitchison and

Kirschner, 1988; Suter and Forscher, 2000) (Figure 28).

Un deuxième type d’embrayage moléculaire peut avoir lieu, lorsque deux cellules superposées établissant des JAs avancent en se servant l’une de l’autre comme support (Kardash et al., 2010). Si le substrat n’est plus la matrice extracellulaire mais la cellule adjacente, le mécanisme reste le même. En effet, le flux rétrograde d’actine s’enclenchant aux JAs, la formation de connections JAs-actine solides contrebalance les forces de réaction qui

63 apparaissent au front de migration. L’embrayage moléculaire permet alors la formation d’une protrusion à l’avant de la cellule (Giannone et al., 2009; Suter et al., 1998) (Figure 28).

En outre, au fur et à mesure de la migration, la cellule établit de nouveaux contacts adhésifs qui sont soutenus par un flux polarisé de vésicules transportant les cadhérines vers les jonctions en formation (Kametani and Takeichi, 2007). Ce flux de cadhérine, mis en évidence dans des cellules épithéliales sous-confluentes, permettrait de favoriser le glissement de deux cellules les unes sur les autres.

Figure 28 : L’embrayage moléculaire au cours de la migration cellulaire

Vue de côté d’une extension membranaire d’une cellule en migration sur un substrat plus ou moins rigide de molécules de la matrice extracellulaire ou de molécules d’adhérence intercellulaire. La cellule exprime les récepteurs d’adhérence adéquats (bleu) et peut former des complexes d’adhérence sur sa face ventrale. Les filaments d’actine sont entraînés dans un flux rétrograde en raison 1) de leur polymérisation aux extrémités + contre la membrane plasmique, 2) de leur dépolymérisation à leurs extrémités – et 3) aux forces de traction de la contraction des myosines le long des filaments. La connexion dynamique entre la F-actine et les complexes d’adhérence est permise par des molécules adaptatrices spécifiques de chaque type d’adhérence. La force exercée aux sites d’adhérence déforme le substrat (longueur d’onde de plus en plus courte en fonction du stress d’adhérence). A) Il n’y a pas de connexion entre la F-actine et les récepteurs d’adhérence. L’embrayage moléculaire n’est pas enclenché et aucune force ne contrebalance la force de contraction de la myosine et la force de réaction de la membrane plasmique à l’avant. S’en résulte un flux rétrograde élevé. B) L’interaction des molécules d’adhérence avec le réseau d’actine est faible, l’embrayage s’enclenche et commence à réduire le flux rétrograde, mais il patine. A) Le couplage mécanique est en place, l’adhérence est renforcée par la régulation positive des molécules adaptatrices. Le flux rétrograde est réduit, permettant l’extension d’une protrusion à l’avant de la cellule en migration. Adaptée de (Giannone et al., 2009).

64 Pour résumer, on notera les similitudes entre le couplage mécanique aux jonctions adhérentes et aux points focaux d’adhésion. Cela suggère que les effets des interactions avec les cellules exprimant les cadhérines, et avec la matrice extracellulaire, peuvent être intégrés facilement au niveau cellulaire pour aboutir à une régulation commune du cytosquelette, qui dirigera la migration cellulaire dans un environnement complexe.

Il reste maintenant à savoir comment, in vivo, les JAs de la cellule « réceptrice » ou « support » résistent à la tension exercée par la cellule en migration. Il serait également intéressant de savoir ce qui différencie les deux côtés des JAs pour savoir s’il y a une signature des complexes cadhérines/caténines du côté de la cellule qui guide, qui supporte et du côté de la cellule qui migre.

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