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En plus de moduler la capacité intrinsèque de migration des cellules via leur rôle mécanique, les interactions dépendantes des cadhérines influencent la polarité cellulaire et la directionnalité de la migration cellulaire. Cette fonction a été mise en évidence principalement dans le système nerveux central, grâce aux études sur la croissance axonale.

Exemples de migration dirigée régulée par les cadhérines

Plusieurs cadhérines classiques sont exprimées par les cellules environnantes tout au long du trajet de l’axone et jouent ainsi un rôle dans la navigation du cône de croissance et la formation des circuits neuronaux (Honig et al., 1998; Iwai et al., 1997) (Figure 29a). L’altération de la N-cadhérine des axones de l’optique rétinienne chez le poisson zèbre ou des cellules photorécepteurs (cellules R) chez la drosophile, les empêche d’atteindre leur destination finale et entraîne des erreurs « d’aiguillage » lors de la migration de leur cône de croissance (Masai et al., 2003; Prakash et al., 2005) (Figure 29b).

Les neurones néoformés de la zone sous-ventriculaire migrent radialement vers la plaque corticale. La Reeline est exprimée majoritairement dans la plaque corticale et stimule le recrutement de la N-cadhérine à la membrane plasmique des cellules en migration via la petite GTPase Rap1. Cette régulation de la dynamique de la N-cadhérine par un gradient de Reeline suggère un rôle prépondérant des interactions dépendantes de la N-cadhérine dans la migration dirigée des neurones multipolaires vers la plaque corticale (Jossin and Cooper, 2011). De plus, dans ce même modèle de migration neuronale, l’utilisation de mutants pour les Rabs impliquées dans l’endocytose des cadhérines (Rab 11, Rab 5 ou Rab7) empêche la migration dirigée et la localisation des neurones à la plaque corticale (Kawauchi et al., 2010) (Figure

29c).

Plus encore qu’une jonction stable, la dynamique des cadhérines au sein de la cellule, pourrait jouer un rôle essentiel à la migration dirigée des neurones. Elle permettrait une meilleure synchronisation spatiotemporelle entre les différents signaux pro et anti-migratoires. En effet en tant que signal en lui même, l’interaction dépendante des cadhérines se doit d’être dynamique pour agir de manière transitoire à un moment donné et s’éteindre l’instant d’après.

Le mécanisme exact responsable du rôle des cadhérines dans la captation et la translation des signaux directeurs lors de la migration reste méconnu. Cependant, plusieurs études récentes ont permis de lever partiellement le voile sur les mécanismes sous-jacent.

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Les jonctions adhérentes assurent la perception d’un gradient de contrainte mécanique : ce sont des mécanosenseurs

Quand la rigidité d’un substrat recouvert de cadhérines augmente, les forces exercées sur la cellule par les JAs augmentent également (Ladoux et al., 2010). La perception de rigidités différentes dans le microenvironnement par les JAs permettrait ainsi d’orienter la migration cellulaire. La création de supports de rigidités différentes peut se faire par exemple via des différences quantitatives du nombre de molécules de cadhérines à la surface des cellules avoisinantes. Ainsi, au cours de la gastrulation, la migration dirigée des cellules latérales vers la ligne médiane de l’embryon nécessite-elle l’établissement d’un gradient de BMP (protéine de la morphogénèse osseuse) qui induit la formation d’un gradient inverse d’adhérence cellulaire (von der Hardt et al., 2007).

Figure 29 : Effets de l’altération de la N-cadhérine dans la morphogénèse rétinienne et la migration neuronale.

A) Axones rétiniens de poisson zèbre visualisés après injection des fluorophores Dil (rouge) et DiO (vert), respectivement dans l’œil droit et l’œil gauche. Les axones de la rétine droite, se projettent contralatéralement et forment le toit optique gauche et vice versa. Dans le cas contrôle, noter la ségrégation exclusive des axones de chaque rétine dans le tectum optique opposé. Par contre, chez les mutants N-cadhérine, on observe des axones mal guidés (flèches jaunes) qui forment des projections ipsilatérales. B) Schéma illustrant les effets de la mutation de la N-cadhérine chez la drosophile (DN-cadhérine) dans la projection des axones des cellules photoréceptrices. Chez la mouche sauvage, les axones atteignent des cibles bien spécifiques (ronds marrons) dans la lamina du lobe optique, tandis que lorsque la N-cadhérine est altérée, les axones ne grandissent pas et n’atteignent pas leurs cibles. A) et B) sont adaptés de (Takeichi, 2007) C) Diagramme illustrant le renouvellement des cadhérines pendant la migration neuronale le long de la glie radiaire vers la plaque corticale. Les neurones changent de morphologie au cours de la migration et de leur maturation. Le trafic de la cadhérine dépendant de Rab 5 (pour l’endocytose) et Rab 11 (pour le recyclage à la membrane) est nécessaire à la migration et à l’entrée du neurone mobile (vert) dans la plaque corticale. La voie de dégradation dépendante de Rab7 est requise au contraire pour la dernière étape de migration des neurones, une fois arrivés dans la plaque corticale, pour établir leurs dendrites. Adaptée de (Kawauchi et al., 2010).

66 De même, sachant que les différents types de cadhérines ne soutiennent pas toutes les mêmes forces d’adhérences (Chu et al., 2004) et qu’elle s’associent de manière homophilique, leur rôle de mécanosenseurs serait à l’origine des mouvements morphogénétiques aboutissant à la ségrégation des cellules et les frontières nettes entre tissus. L’hypothèse de l’adhérence

différentielle formulée par Steinberg veut que les cellules migrent intrinsèquement de manière

non dirigée pendant le développement et qu’elles s’agencent en tissus bien délimités en répondant aux différentes contraintes mécaniques perçues par les différents types de cadhérine (Batlle and Wilkinson, 2012; Steinberg, 1963; Steinberg, 2007).

Le mécanisme permettant aux JAs de percevoir les différentes contraintes mécaniques fait intervenir des protéines responsables de leur ancrage au cytosquelette, dont la principale est

l’α-caténine. En effet, en réponse à un stress mécanique l’α-caténine subit une transformation

conformationnelle qui libère son site d’interaction à la vinculine. Cette protéine ainsi activée interagit avec le réseau d’actine et favorise sa réorganisation nécessaire au renforcement de la JA (Yonemura et al., 2010).

D’autre part, il semblerait que l’intégration des contraintes mécaniques par les cadhérines fasse intervenir le cytosquelette des filaments intermédiaires. En effet, l’application locale d’une tension aux JAs induit une réorganisation polarisée du réseau de filaments intermédiaires de kératine au niveau des JAs ayant subi le stress mécanique (Weber et al., 2012). Cette étude montre ainsi que les JAs s’étendent principalement en direction des forces exercées sur elles. La croissance anisotropique des JAs est sans doute à l’origine de l’orientation asymétrique du cytosquelette sous-jacent, nécessaire à la migration dirigée.

De la perception des contraintes mécaniques à la persistance de la polarité cellulaire nécessaire à la migration dirigée

Pour permettre aux JAs de favoriser une direction de migration plutôt qu’une autre, l’engagement des cadhérines aux JAs doit générer un signal intracellulaire permettant la mise en place d’un axe de polarité.

La distribution des interactions dépendantes de la cadhérine à la périphérie de la cellule est fondamentale pour établir l’orientation cellulaire. In vitro, lorsque des cellules gliales sont placées sur un micropatron asymétrique recouvert de N-cadhérine, le centrosome et l’appareil de Golgi se réorientent devant le noyau, face au côté non adhérent (Dupin et al., 2009; Dupin et al., 2011) (Figure 30a et b). Ainsi, le positionnement des cadhérines exprimées par les extensions radiales des neurones ou par la glie radiaire sous-jacente pourrait être perçu par les neurones multipolaires en migration comme des signaux environnementaux de direction favorisant leur migration dirigée vers la plaque corticale (Jossin and Cooper, 2011). De la même manière, la directionnalité de la migration en chaîne des neurones granulaires du cervelet dépend des cadhérines. L’imagerie cellulaire en temps réel chez le poisson zèbre a révélé une régulation dynamique de la polarité de ces cellules. Pendant la migration, la cadhérine 2 (homologue de la N-cadhérine chez le poisson zèbre) est transférée le long de la membrane plasmique à l’avant de la cellule, et participerait à l’orientation de la migration en stabilisant le centrosome à l’avant du noyau, vers la protrusion (Rieger et al., 2009) (Figure 30c).

Il est également possible que les cadhérines interagissent avec d’autres récepteurs membranaires à la surface de la cellule, comme les récepteurs aux facteurs de croissance, et modifient leur activité. La modulation des voies de signalisation en aval de ces facteurs de croissance pourraient affecter de nombreux processus cellulaires dont l’établissement de l’orientation cellulaire. Pour plus de détails se référer à la partie IV-A-3 et à (McEwen et al., 2012).

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Figure 30 : Les jonctions dépendantes de la N-cadhérine contrôlent la polarité cellulaire des cellules immobiles et en migration.

A) Schéma illustrant le fait que les JAs dépendantes de la N-cadhérine régulent le positionnement du

noyau et du centrosome. Adapté librement de (Dupin et al., 2009). B) Des interactions asymétriques médiées par la N-cadhérine sont suffisantes pour promouvoir l’orientation d’un axe de polarité noyau-centrosome. Immunofluorescence d’astrocytes de rat placés sur des micropatrons asymétriques de N-cad-Fc. Extrait de (Dupin et al., 2009). C) Schéma représentant les différentes étapes de la migration dirigée des neurones granulaires du cervelet chez le poisson zèbre. La dynamique de la cadhérine-2 au cours de la migration (homologue chez le poisson de la N-cadhérine) permet le maintien de la polarité cellulaire interne nécessaire à la migration dirigée de ces cellules. Pendant la phase d’élongation la cadhérine-2 est transportée au front de migration où, en établissant de nouveaux contacts, elle maintiendrait le positionnement du centrosome devant le noyau. Adapté de (Rieger et al., 2009).

IV.A.3. Les jonctions adhérentes constituent une plateforme de signalisation favorisant la

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