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CONCLUSION GÉNÉRALE

I. Jeu spatial Effet saute-mouton structuré

La répartition spatiale de la proie résulte souvent de déplacements ajustés en fonction d'attributs du paysage pour obtenir le plus de gains énergétiques nets tout en faisant face à un risque de prédation le plus faible possible (Linnell et Strand 2000, Lima 2002, Bell et al. 2009, Valeix et al. 2009). Dans le jeu spatial entre la proie et son prédateur, le prédateur peut aussi ajuster sa répartition face à divers attributs de

l'habitat, ce qui résulte en un jeu avec la proie hautement dynamique (Lima 2002, Sih 2005, Dupuch et al. 2009, Laundré 2010, Williams et Flaxman 2012). La plupart des modèles de jeu spatial entre prédateur et proie prédisent une association positive entre les deux groupes (i.e. le prédateur gagne), sauf si le prédateur a des points d'ancrage supplémentaires à ceux associés à la répartition des ressources de la proie (Sih 2005, Bell et al. 2009). Ainsi, lors de la dispersion printanière, nous avons trouvé une relation positive entre la probabilité d'occurrence du caribou et la présence du loup, ce qui signifie que le loup gagne le jeu spatial au cours de cette saison. Ce résultat est corroboré par une mortalité des caribous particulièrement élevée à cette saison (56% des mortalités annuelles ont lieu au cours de la dispersion printanière, Courtois et al. 2007) et par un chevauchement de niche entre le loup et le caribou alors à son maximum (Basille et al. 2012). En revanche, nous avons trouvé une relation négative entre la probabilité d'occurrence du caribou et l'intensité d'utilisation du paysage par le loup au cours de l'automne et de l'hiver, révélant ainsi que le caribou est généralement en avance sur le loup dans leur jeu spatial.

Un facteur clé qui détermine le gagnant du jeu est l'importance relative des points d'ancrage et des contraintes spatiales du prédateur et de la proie (Sih 2005). La stratégie évolutivement stable (« Evolutionarily stable strategy », Maynard Smith 1982) tend à favoriser le joueur qui fait face à des contraintes spatiales ayant le moins d'effet sur son utilisation de l'espace (Sih 2005). L'orignal constitue généralement la proie principale du loup dans la forêt boréale (Tremblay et al. 2001), qui a ainsi tendance à concentrer sa recherche sur l'orignal plutôt que le caribou (Basille et al. 2012, mais voir Tremblay-Gendron 2012). Contrairement au caribou, l'orignal sélectionne les peuplements mixtes et feuillus, qui deviennent alors un point d'ancrage spatial pour le loup et l'incite à passer du temps hors des régions préférées par le caribou. Ces différences de sélection peuvent expliquer en partie l'association spatiale négative entre le loup et le caribou. En Alberta, cette ségrégation spatiale a déjà été observée entre le caribou et le loup, ainsi qu'entre le caribou et l'orignal, en conséquence d'une sélection différente des types de milieu par le caribou (James et al. 40

2004). La complexité du réseau trophique peut donc donner un certain avantage à la proie dans le jeu spatial en offrant des points d'ancrage spatiaux alternatifs pour le prédateur (Bell et al. 2009), ce qui peut alors créer pour la proie des refuges contre le prédateur.

Cependant, afin de gagner le jeu prédateur-proie, le caribou a dû réduire sa sélection pour les parcelles riches en nourriture. En effet, le loup sélectionnait plus fortement les forêts de conifères ouvertes à lichen à mesure que son intensité d'utilisation du paysage augmentait, et ce, pendant les trois saisons biologiques que nous avions étudiées. Cette sélection par le prédateur peut être une réaction adaptative à une proie mobile et qui effectue des déplacements difficiles à prédire : la sélection des parcelles où abonde une ressource immobile de la proie peut être moins coûteuse que d'essayer de suivre une proie mobile (Flaxman et Lou 2009). Ainsi, le prédateur choisit non pas une parcelle en fonction de la densité de proie qu'il y retrouve, mais bien les parcelles où le passage de la proie est particulièrement probable (Sih 1998). Ainsi, suite à la réaction comportementale simultanée du prédateur et de la proie, notre étude révèle un effet de saute-mouton avec d'une part le prédateur qui sélectionne les parcelles riches en nourriture pour la proie et, d'autre part, la proie qui sélectionne d'autres types de milieu (Sih 2005, Flaxman et Lou 2009). Plus précisément, cet effet est obtenu puisque le loup sélectionne fortement les peuplements ayant du lichen, alors que c'est à ce même moment que le caribou évite le plus ces peuplements riches en nourriture.

Bien que le caribou soit généralement en mesure de gagner le jeu spatial, nous avons observé une forte structure spatiale de l'intensité de l'effet saute-mouton. Le caribou sélectionne des forêts offrant plus de lichen lorsqu'il se situe dans une région peu utilisée par le loup. Ceci est en accord avec d'autres études montrant qu'une recherche des parcelles riches en nourriture est généralement attendue par la proie quand le prédateur est peu abondant (Sih 2005, Hammond et al. 2007, Williams et

Flaxman 2012). Toutefois, le compromis coût et bénéfice semble basculer dans les régions fortement utilisées par le loup, alors que le caribou évite les parcelles riches en lichen. Le gain que procure l'évitement des parcelles riches en nourriture sur l'aptitude phénotypique du caribou dépend grandement du risque de mortalité auquel il est soumis lorsqu'il se trouve dans cette parcelle (Brown et al. 1999). Ce risque de mortalité devrait être proportionnellement plus élevé dans les régions qui sont fortement utilisées par le prédateur. Ces compromis peuvent expliquer pourquoi nous observons seulement un fort effet saute-mouton dans les régions fortement utilisées parle loup.

Au cours de cette étude, nous avons remarqué que les coupes récentes semblaient pouvoir servir de refuge au caribou. Dans les secteurs fortement utilisés par le loup, le caribou quitte les peuplements riches en lichen pour sélectionner les coupes récentes. Cette réaction peut être due au fait que le loup évite fortement les coupes récentes au printemps. Quoique légèrement plus élevée à l'automne, la sélection pour les coupes récentes n'était jamais forte, comme rapporté dans plusieurs études (Courbin et al. 2009, Houle et al. 2010, Lesmerises et al. 2012). Cette perturbation anthropique pourrait donc servir de refuge aux proies durant certaines périodes de l'année (Basille et al. 2009, Hebblewhite et Merrill 2009, Muhly et al. 2011) ce qui permettrait d'accentuer la ségrégation spatiale avec son prédateur. Ainsi, dans notre système, certaines perturbations anthropiques spécifiques comme les coupes récentes semblent permettre à la proie de gagner le jeu spatial.

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