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Chapitre II : Soin et jardin

II. Jardin thérapeutique et Maladie d’Alzheimer

1. Recommandations et critères

Le plan Alzheimer (2008-2012) recommande la création de nouvelles structures, dans lesquelles il faut prévoir des jardins thérapeutiques. Il est nécessaire de pouvoir proposer une ouverture sur l’extérieur par un prolongement sur un jardin ou sur une terrasse clos(e) ou sécurisé(e) (Rivasseau-Jonveaux, et al., 2012).

La possibilité de rester en contact avec la nature doit être offerte aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer, quel que soit leur lieu de vie. Il peut s’agir de la création d’un jardin à l’occasion de la construction d’un établissement ou de la rénovation d’un jardin déjà existant.

La grande majorité des établissements qui accueillent des patients atteints de la maladie d’Alzheimer disposent souvent d’espaces verts mais « ceux-ci ne sont que rarement spécifiquement adaptés aux besoins de ces patients et des équipes ». En France, le potentiel des jardins est encore méconnu et sous- utilisé, c’est une voie qui reste à développer.

En 2007, une enquête menée auprès de 992 unités Alzheimer montre que si 82% des établissements disposaient d’un espace extérieur accessible, dans seulement 43% des cas il était offert en libre accès aux patients. Le jardin n’était jamais cité comme élément intégré à la prise en soin des patients et son utilisation n’était jamais mentionnée dans l’offre de soins des établissements.

En Lorraine, une enquête réalisée auprès de 63 établissements montre que les jardins ne sont utilisés pour des activités autres que la promenade ou le repos que dans 14,3% des cas

Pour que le jardin soit un bon outil, il doit être adapté à sa population. Critères généraux d’aménagement :

- Signalétique claire.

- Espace de déambulation sécurisé.

- Accessibilité aux personnes à mobilité réduite. - Proximité des toilettes.

- Sentiers circulaires, sans impasse, ramenant naturellement le patient vers les soignants.

- Clos.

- Mobilier adapté.

- Présence d’eau souhaitable. - Choix ombre/soleil.

- Plantes avec variété de couleurs, goûts, senteurs.

- Utilisation de plantes régionales et ajout de quelques plantes exotiques pour susciter la curiosité.

Il faut faire la balance des atouts et des difficultés du lieu et réfléchir à la pérennité du projet.

 Au Centre Universitaire de Nancy, l’équipe du Centre Paul Spillman a porté un projet original de jardin thérapeutique, à destination de patients en service de soins et réadaptation 5SSR), incluant une UCG et des malades en soins palliatifs.

Ce jardin, baptisé « Art, mémoire et vie » conjugue une approche neuropsychologique et artistique. L’originalité de ce jardin tient certainement dans cette volonté d’ajouter une dimension artistique au jardin. Celle-ci « repose sur la présence de sculptures et d’œuvres d’art, tant abstraites que figuratives, conçues spécifiquement pour être vues, observées, approchées, touchées, sans interdit » (Rivasseau-Jonveaux, et al., 2012, p. 249). L’art est une forme de respect pour l’identité culturelle de la personne malade, loin des considérations fonctionnelles du matériel hospitalier.

L’espace jardin, qui se veut paisible et attractif, a été pensé autour de la structuration de l’espace, du repérage temporel, de l’enrichissement sensoriel de l’environnement. Des invariants culturels, et des références à la mémoire sociale du patient étaient recherchés. Les besoins et souhaits des équipes soignantes ont été préalablement analysés par des questionnaires spécifiques.

Le résultat est un jardin, harmonieux tant dans la forme que dans la couleur, organisé autour de quatre zones distinctes, correspondant aux quatre éléments : le Feu, la Terre, l’Eau et le Vent. Chaque zone est ainsi connotée par une couleur dominante, le choix et la disposition des plantes. L’espace est structuré, l’orientation topologique est facilitée. Le repérage temporel apparaît à travers l’éclairage solaire, une horloge, l’évolution des saisons, le rythme des activités.

L’environnement est enrichi d’un point de vue sensoriel, par les sculptures, les plantes mais aussi par le ruissellement d’une fontaine, le son d’un carillon. (Alzheimer: la mémoire cultivée côté jardin, 2010)

2. Des intérêts multiples, une utilisation plurielle

Le jardin est un espace de promenade, de déambulation, sécurisé, riche et stimulant : il permet de maintenir une activité physique et une autonomie élémentaire, d’assouvir un besoin d’activité motrice. C’est un lieu de liberté qui permet de s’échapper par la pensée, le loisir d’aller et venir, d’observer, de penser, de méditer, de contempler (Berge, Jacob, Stéphanie, Pop, & Rivasseau-Jonveaux, 2014).

Le jardin, adapté aux approches non médicamenteuses, autorise une grande richesse de pratiques, c’est un terrain pluridisciplinaire. Chaque professionnel peut y apporter sa compétence, sa spécialité et son propre regard sur les troubles et sur la personne.

Des séances individuelles peuvent être mises en place sous forme d’accompagnement thérapeutique, lors d’une promenade dans le jardin, propice à l’écoute et à l’observation du patient. Marcher à côté d’un patient angoissé, agité, en l’accompagnant dans sa déambulation excessive, à son rythme, va lui permettre de peu à peu ajuster, ralentir son pas et s’apaiser. Ce temps d’écoute privilégie, dans un cadre privilégié, va permettre au patient d’exprimer ses inquiétudes, ses craintes : sa parole se libère. Le rétablissement de la communication, parfois difficile, voire rompue, peut être l’objet de ce type de séances. Des ateliers thérapeutiques de groupes, utilisant le jardin comme support, sont proposés. Il peut s’agir de séances de jardinage thérapeutique (hortithérapie) : la mémoire procédurale est alors stimulée par l’utilisation de compétences sensori-motrices. Cette mise en situation concrète a un rôle facilitateur pour l’expression, et plus fondamentalement la communication. De plus, en favorisant le sentiment d’utilité, cette activité redonne un statut social à l’individu.

C’est aussi faire appel à la réminiscence, dans un cadre fonctionnel, écologique et sensoriel.

Au jardin « Art, mémoire et vie », l’orthophoniste propose des prises en soin de groupe visant à accompagner les patients dans leur cheminement, dans leur communication (Le tricot des mots, 2014). Le jardin est le support de nombreux thèmes de conversation. Chaque personne a une histoire en lien avec l’environnement naturel. L’expression est facilitée par le cadre.

En entrant dans le jardin par la multi sensorialité, les différentes gnosies, visuelles, tactiles, auditives vont être stimulées :

- L’ouïe : bruissement du vent, ruissellement de l’eau, oiseaux, bruits environnant de la ville…

- La vue : couleurs, formes des plantes, l’extérieur, le ciel…

- Le toucher : texture de la terre, des végétaux, manipulation d’outils… - L’odorat : parfum des plantes, de la terre, odeurs environnantes… - Le goût : plantes comestibles, petits fruitiers…

Le thérapeute peut attirer l’attention du patient sur le bruit d’un carillon, l’odeur d’une plante, etc. : « qu’évoque ce bruit/ cette odeur pour vous ? ».

Cet éveil des sens va favoriser l’éveil de la communication, à tous les niveaux, verbal, mais aussi non-verbal : partager une odeur florale, regarder conjointement l’esthétique d’une sculpture, écouter ensemble le gazouillis d’un oiseau, toucher la texture d’une plante…

Le jardin sollicite la mémoire autobiographique, par le biais de réminiscences spontanées et encouragées : « vous aviez un grand jardin ? que cultiviez-vous ? ».

La mémoire sémantique est aussi stimulée par le souvenir du nom des plantes, de techniques de jardinage…L’orthophoniste peut proposer des petits exercices de type « chercher des mots en lien avec le jardinage, que peut-on cultiver dans un jardin ? » Ce faisant, tous les aspects de la pragmatique de la communication vont pouvoir être travaillés : respecter un tour de rôle, s’adapter à l’échange, s’adapter à l’interlocuteur, écouter l’autre quand il parle.

Le patient est alors reconnu comme être social au sein d’un groupe ; il retrouve une identité d’être humain communicant. L’effet de socialisation existe entre les patients mais aussi avec les aidants et les soignants : c’est un lieu de rencontre.

Des ateliers transgénérationnels prennent forme. Du jardinage, mais également d’autres activités de plein air (jeux de ballon, quilles, boules…), des séances de gym douce, des lectures de nouvelles, de poésies, des spectacles musicaux… Le but étant de réunir les générations d’une même famille autour d’une activité commune à partager.

Tour à tour lieu de promenade, d’activités, de prise en soins, de rencontres, d’échanges, support pour d’éventuelles activités à l’intérieur, les ressources du jardin semblent inépuisables.

3. Difficultés et limites

Il semble cependant nécessaire de souligner que certaines difficultés peuvent être rencontrées, que certains aspects peuvent limiter l’utilisation de l’espace jardin thérapeutique.

Pouvoir assurer la sécurité la plus totale possible est une condition sine qua non à la conception du jardin. Il faut se montrer très vigilant quant à une éventuelle mise en danger des patients.

Une souplesse de l’organisation institutionnelle est primordiale, par exemple pour pouvoir s’adapter aux conditions météorologiques et aux impératifs de chacun.

Un jardin entraîne des coûts et demande de l’entretien : les questions budgétaires et la charge de l’entretien doivent être sérieusement examinées

D’un point de vue thérapeutique, le jardin peut également présenter des défauts et ne pas être adapté à tous les patients. Durant un atelier de groupe par exemple, l’aller et retour d’autres patients peut être un élément de distractibilité trop important pour certaines personnes.

Une trop grande richesse de stimulation sensorielle peut provoquer l’angoisse, la dispersion. Source de liberté pour certains, le jardin peut s’avérer source d’inquiétude pour d’autres, de par sa faible dimension contenante.

Ainsi, comme tout autre proposition non médicamenteuse, le jardin doit être envisagé de telle façon qu’il réponde aux troubles, aux besoins et aux envies du patient.

4. Evaluation

L’intérêt des jardins est objectivé dans différentes recommandations, soulignant des effets bénéfiques de trois ordres : l’activité physique et les contacts sociaux, les effets indirects et la restauration de capacités physiologiques et psychologiques.

Plus précisément dans la maladie d’Alzheimer, des travaux montrent des bénéfices sur : - Les tentatives de sortie inadaptées

- L’amélioration du sommeil

- L’agressivité, grâce à la marche à l’extérieur.

A contrario, un environnement inadapté a des effets négatifs : on observe une augmentation de l’agitation lorsqu’un patient n’a pas pu bénéficier d’un temps passé à l’extérieur suffisant.

Le maintien des habitudes de jardinage des patients, accompagnés et guidés par leurs aidants, entraîne une communication jugée améliorée durant l’activité (enquête Lorraine, Alzheimer 54). Patients et aidants font part d’un intérêt certain pour la promenade dans un espace naturel et rapportent des effets bénéfiques sur le rythme nycthéméral, le sommeil et l’appétit.

A Nancy, un questionnaire de satisfaction a été proposé aux patient, aux aidants et aux soignants, trois ans après la mise en accès du jardin. Les soignants rapportent des bénéfices comportementaux face à la déambulation, aux comportements perturbateurs et aux troubles du sommeil.

Thérèse Jonveaux (Les jardins thérapeutiques: recommandations et critères de conception, 2012) rapporte quelques propos glanés lors de l’évaluation du jardin :

« Le jardin donne une sensation de liberté »

« Le patient y redevient une personne »

« Le jardin, c’est une marque de respect pour les patients ».

Dans une communication du CHU de Nancy du 23/04/2015, on apprend que 3 thèses de doctorat, sont en cours concernant ce jardin :

- Jazz art, pour mesurer les répercussions cognitives, émotionnelles, psychologiques et interpersonnelles d’un environnement artistique sur des patients atteints de troubles neurodégénératifs.

- Jazz top, pour étudier comment stimuler au mieux les fonction cognitives attachées à la topographie.

- Jazz burn, pour objectiver l’intuition d’un impact favorable des espaces verts sur les personnels soignants.

L’apport du jardin se doit d’être fondé sur la démarche et les principes d’une médecine par les preuves. Il est nécessaire d’approfondir les recommandations dans ce domaine partiellement exploré. Il faut pouvoir créer des références, transposer des expériences positives d’un établissement à un autre.

Des études scientifiques de grande ampleur sont encore à menées pour confirmer et analyser les différents aspects de l’utilisation du jardin thérapeutique.