• Aucun résultat trouvé

Chapitre 7 : Le maintien d’un certain rôle moteur de Paris sur la scène artistique

1- Jacques Rouché et son action à l’Opéra de Paris

En 1929, Jacques Rouché est à la direction de l’Opéra de Paris depuis déjà quinze ans. Toutefois, la mort de Diaghilev marque aussi pour l’Opéra de Paris une rupture. L‘intérêt du directeur de l‘Opéra pour le ballet se perçoit dans les diverses démarches qu’il effectua pour développer l’art chorégraphique. Pour ce faire, nous avons donc déjà vu qu’il avait essayé à plusieurs reprises d’engager des collaborateurs de Diaghilev, ce, afin de permettre un renouvellement de l’Opéra. Et certaines de ces tentatives réussirent. Ainsi, dès le début des années vingt, le peintre décorateur Léon Bakst fut adopté comme décorateur à l’Opéra, puis quelques années plus tard, en 1925, Rouché réussit à s’attacher les services de Bronislava Nijinska, alors engagée comme professeur, il fit ainsi d’elle, la première Russe à travailler à ce poste274. Cette

nomination paraît judicieuse, car le niveau des danseurs (d’ailleurs peu nombreux) et danseuses, était trop faible dans l’ensemble pour que Paris puisse se targuer d’être à l’origine du ballet classique. Une autre action de Rouché visait à accorder une nouvelle place au ballet, en 1921 ; l’œuvre russe Daphnis et Chloé est inscrite au répertoire de l’Opéra. Le choix de cette œuvre n’est pas effectué au hasard. Si ce

ballet est dû aux Russes, le livret ne présente aucun caractère réellement slave. Bien au contraire, l’argument est tiré d’un roman grec, ce qui permet d’éviter un trop grand dépaysement au public de l’Opéra en lui rappelant sa culture classique. Mais cette œuvre permet tout de même un renouvellement du répertoire, propice au changement de la perception du ballet de la part des habitués de Garnier. De plus, ce ballet n’est pas entièrement russe, puisque la partition est signée du Français Maurice Ravel. Le fait que ce soit la partition, non pas la chorégraphie, qui soit réalisée par un Français a son importance ; non l’avons vu, la société était à cette période plus apte à juger d’une partition que d’une chorégraphie. De plus, il est certain que la partition sera conservée telle qu’elle, alors que la chorégraphie peut subir énormément de transformations. En effet, il est difficile de conserver une trace écrite des mouvements chorégraphiques.

« […] ce fut surtout Saint-Léon, sous le second Empire, qui inventa la première sténographie de la Danse que Mlle meunier vient de perfectionner et propose, en une lumineuse Méthode, à tous les chorégraphes soucieux de conserver le panorama détaillé de leurs moindres gestes aux reconstitutions de l’avenir »275

.

Antonine Meunier perfectionne donc l’art de la « sténochorégraphie », permettant de rendre presque éternelle une chorégraphie. Malgré cette avancée, les chorégraphies changent facilement entre les différentes adaptations proposées par les chorégraphes successifs. Ce qui restera le plus permanent dans Daphnis et Chloé sera donc l’œuvre d’un Français. Notons en effet que l’art cinématographique qui aurait pu inscrire de manière durable ces images dans les archives, ne fut que très peu utilisé pour la sauvegarde des ballets.

Rouché essaie aussi de renouveler le ballet grâce au concours de compositeurs contemporains276. L’Opéra de Paris ne présentait pas de soirées uniquement composées

de danse. Les ballets étaient insérés dans les opéras, et il était d’usage de terminer la soirée par de la danse277. Rouché perpétue cette organisation, probablement dans le but

de faire apprécier la danse à ceux qui n’ont d’yeux (ou d’oreilles), que pour la musique.

Malgré tous ces efforts, la place du ballet ne changea guère à l’Opéra. En 1929, le goût des spectateurs n’a que peu changé. Les opéras de Wagner restent en 275 P.-B. Gheusi, « Théâtre de l'Opéra : La Danse classique et Mlle Antoine Meunier », in

Le Figaro, 25 mai 1931, n°145, p. 5.

276 Claire Paolacci, op. cit., p. 391. 277 Ibid., p. 244.

tête, suivis ensuite par Boris Godounov de Moussorgski, La Damnation de Faust de Berlioz, Don Juan de Mozart, Salammbô et Sigurd de Reyer, et enfin Dalila de Saint- Saëns278. Aucun ballet ne semble donc gagner le cœur du public de l’Opéra.

Finalement, jusqu’au début des années trente, sauf lorsque des compagnies russes sont à l’affiche, la proportion de ballets présentés à l’Opéra n’excède pas le tiers de la totalité des œuvres à l’affiche279.

Le monde de la danse en France souffre donc d’un manque de public mais aussi d’un manque de professionnalisation de ce milieu. En effet, même si dans les années vingt des nouveaux métiers en relation avec les ballets firent leur apparition, peu de personnes influentes possèdent déjà les compétences nécessaires pour juger de la danse. Ainsi, lors du concours de danse du conservatoire de 1932, sur les huit juges, seul Jacques Rouché et Serge Lifar ont une compétence relative au ballet280, et Lifar

est le seul professionnel.

Le succès des ballets russes est donc d’autant plus admirable, puisque le France, qui les accueillit, ne semble pas porter de véritable engouement pour la danse. D’ailleurs, il est rare de trouver des articles mentionnant les œuvres de l’Opéra, le plus souvent les ballets commentés dans la presse sont des ballets russes. La danse française eu donc du mal à s’émanciper face au succès de sa voisine russe.