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Invariant de Makar-Limanov

2.2.1

Naissance d’un invariant

L’invariant, dit de Makar-Limanov, est apparu pour la première fois dans le contexte de la conjecture de linéarisation des actions de C∗ sur C3. Dans

leurs travaux sur cette conjecture, M. Koras et P. Russell avaient en effet établi une liste de contre-exemples possibles. Ils avaient en fait construit des actions de C∗ sur des variétés de dimension trois ayant beaucoup de

propriétés semblables à celles de C3, et avaient montré que si l’une des variétés

de la liste était isomorphe à C3, elle fournirait alors un contre-exemple à la

conjecture de linéarisation.

L. Makar-Limanov débloqua la situation en prouvant qu’une variété de la liste (une hypersurface de C4 dite cubique de Russell), n’est pas isomorphe à

C3 et ne constitue donc pas un contre-exemple à la conjecture de linéarisa- tion. Pour ce faire, il a eu recours à un nouvel invariant ; invariant qui porte aujourd’hui le nom d’invariant de Makar-Limanov. Finalement, la conjecture a pu être résolue affirmativement dans [31].

Théorème 2.2.1. (Kaliman, Koras, Makar-Limanov, Russell) Toute action algébrique de C∗ sur C3 est linéarisable.

Voici la définition de l’invariant de Makar-Limanov.

Définition 2.2.2. L’invariant de Makar-Limanov d’une C-algèbre A est défini comme l’intersection des noyaux de toutes les dérivations localement nilpotentes sur A, soit :

M L(A) = \

D∈LND(A)

Si X est une variété algébrique affine, alors on définit l’invariant de Makar- Limanov de X comme l’invariant des fonctions régulières sur X ; c-à-d M L(X) := M L(C[X]).

Remarque 2.2.3. Le lemme 3.1.1 du chapitre 3, montre que l’invariant de Makar-Limanov est bien un invariant. C’est-à-dire que les invariants de Makar-Limanov de deux variétés isomorphes sont isomorphes.

Exemple 2.2.4. Pour tout n > 1, M L(Cn) = C.

A titre d’exemple, donnons également les résultats, annoncés ci-dessus, relatifs à la cubique de Russell.

Proposition 2.2.5. La cubique de Russell est définie comme l’hypersurface X de C4 d’équation x+x2y +z3+t2 = 0. Elle vérifie les propriétés suivantes :

1. X est lisse et difféomorphe à C3;

2. X est factorielle et il existe un morphisme dominant C3 → X ;

3. ML(X) = C[x] et X n’est donc pas isomorphe à C3.

Remarque 2.2.6. L’histoire de la cubique de Russell n’est pas encore finie. En effet, on ne sait pas si X × C est isomorphe ou non à C4! (On ne sait

d’ailleurs pas si ML(X × C) = C.)

2.2.2

Filtrations, graduations et dérivations induites

La principale technique pour calculer l’invariant de Makar-Limanov d’une algèbre est l’utilisation de graduations. Lorsque l’on travaille avec des al- gèbres de polynômes, on en construit facilement en mettant des poids sur les variables. Plus généralement, si X ⊂ Cn est une variété affine, une telle

graduation permet de construire, dans un premier temps, une filtration sur l’anneau C[X], puis, dans un second temps, une algèbre graduée correspon- dante.

Pour des raisons techniques, avoir des poids réels, et non pas simplement entiers, facilitera le calcul de l’invariant de Makar-Limanov des hypersurfaces de Danielewski. On définit donc une filtration de la façon suivante.

Définition 2.2.7. On dit qu’une famille {At}t∈R est une filtration sur une

algèbre A si elle vérifie les cinq conditions suivantes :

• At est un sous-espace vectoriel de A pour tout t ∈ R ;

• At1 ⊂ At2 pour tout t1 < t2 ∈ R ; • S t∈R At= A • T t∈R At= 0 ; • At1 × At2 ⊂ At1+t2 pour tout t1, t2 ∈ R.

Si A est une algèbre munie d’une filtration {At}t∈R, on construit une

algèbre graduée Gr(A) en posant : At− = [ s<t As , Gr(A) = M t∈R At/At− ,

et en définissant une multiplication par : (a1+ At−

1 )(a2 + At−2) = a1a2+ A(t1+t2)− si a1a2 ∈ At1+t2 \ A(t1+t2)− = 0 si a1a2 ∈ A(t1+t2)−.

Exemple 2.2.8. 1. Soit A = C[x±

1, . . . , x±n] l’algèbre des polynômes de Laurent à n va-

riables. Mettons des poids αi ∈ R sur chaque variable xi et définis-

sons la fonction degré degα : A → R ∪ {−∞} par degα(0) = −∞ et

degα(x j1

1 · · · xjnn) = (α1j1+ · · · + αnjn).

On peut alors construire une filtration sur A en posant, pour tout t ∈ R, At = {P ∈ A tels que degα(P ) 6 t},

ainsi qu’une application gr : A → Gr(A) en posant gr(0) = 0 et gr(a) = a + A(degα(a))− ∈ Adegα(a)/A(degα(a))− pour tout a ∈ A \ {0}. On identifiera donc, de façon naturelle, l’élément gr(a) avec la par- tie homogène de plus haut degré de a, ainsi que l’algèbre Gr(A) avec l’algèbre A elle-même.

2. Soit B ⊂ A une sous-algèbre de l’algèbre A = C[x±

1, . . . , x±n] munie de

la filtration {At}t∈R correspondant à une fonction degré degα. Alors, on

construit une filtration {Bt}t∈R sur B en posant Bt = At∩B. On définit

donc naturellement l’algèbre Gr(B) et l’application gr : B → Gr(B) correspondantes. On vérifie facilement que Gr(B) est une sous-algèbre de Gr(A).

Dans toute la suite, le contexte est le suivant : on travaille avec une sous-algèbre finiment engendrée B = C[g1, . . . , gm] ⊂ A = C[x±1, . . . , x±n]

munie d’une fonction degré degα obtenue en mettant des poids réels αi sur

les variables xi.

Supposons que D soit une dérivation non nulle sur B. Nous allons construire, à partir de D, une dérivation sur Gr(B).

Comme D est non nulle, l’ensemble E = {gi | D(gi) 6= 0} est non vide et

on peut donc définir le réel

τ = max{degα(D(gi)) − degα(gi) | gi ∈ E}.

On vérifie alors que

D(Bt) ⊂ Bt+τ pour tout t ∈ R,

et que l’on construit bien une dérivation, dite dérivation induite, Dτ sur

Gr(B) en posant :

Dτ(f ) = D(b) + B(t+τ )− si f = b + Bt− ∈ Bt/Bt−.

Lemme 2.2.9. Si D est une dérivation localement nilpotente non nulle sur B, alors la dérivation Dτ construite ci-dessus est une dérivation localement

nilpotente non nulle sur Gr(B).

De plus, degDτ(gr(b)) 6 degD(b) pour tout b ∈ B.

Preuve. Rappelons que l’application gr : B → Gr(B) est définie par : gr(0) = 0 et gr(b) = b + B(degα(b))− si b ∈ B \ {0}. Étant donné un élément b ∈ Bt\ Bt−, il y a alors deux cas :

• Si D(b) ∈ B(t+τ )−, alors Dτ(gr(b)) = 0.

• Si D(b) ∈ Bt+τ \ B(t+τ )−, alors Dτ(gr(b)) = gr(D(b)).

Par récurrence, il vient, pour tout entier k ∈ N, que Dk

τ(gr(b)) = 0 ou

Dk

τ(gr(b)) = gr(Dk(b)). Ceci implique que Dτ est localement nilpotente pour

tous les éléments de gr(B) et l’est donc sur Gr(B).

Pour finir la preuve de ce lemme, il suffit donc de vérifier que Dτ

n’est pas la dérivation nulle. Or, par définition de τ , il existe un indice i tel que degα(D(gi)) = degα(gi) + τ . Ainsi, gi ∈ Bdegα(gi) \ B(degα(gi))− et D(gi) ∈ B(degα(gi)+τ )\ B(degα(gi)+τ )−; ce qui implique bien que Dτ(gr(gi)) =

gr(D(gi)) 6= 0. 

On dispose maintenant de tous les outils pour calculer l’invariant de Makar-Limanov des hypersurfaces de Danielewski. C’est ce que nous allons faire dans la section suivante.

2.3

Calculs pour les hypersurfaces de Danie-