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dispersion efficace au sein d’un site naturel colonisé par Undaria pinnatifida

III. 1. Introduction : potentiel de dispersion et dispersion réalisée

Les études menées dans les deux chapitres précédents ont montré l‟existence de limites aux flux de gènes et une migration importante à l‟échelle d‟une région (la Bretagne, Chapitre I) voire d‟une baie (la Baie de St-Malo, Chapitre II) chez l‟espèce U. pinnatifida introduite en Bretagne, il y a une trentaine d‟années. Considérant l‟histoire de son introduction initiale (caractérisée par une source commune : les populations cultivées en Asie) et les fortes interactions qu‟U. pinnatifida continue à avoir avec les activités humaines (notamment par la culture et la colonisation de sites anthropisés), ces limites aux flux de gènes étaient inattendues. En revanche, les schémas observés de mosaïque locale peuvent être mis en relation avec les traits d‟histoire de vie de cette espèce, notamment par le caractère annuel et la faible durée de vie des spores dispersantes.

Au cours des chapitres précédents, nous avons rappelé que la dispersion est un processus critique en écologie et en évolution, déterminant les processus démographiques autant que les interactions inter-spécifiques (Roughgarden et al. 1988; Ronce 2007). Chez les organismes marins sessiles adultes, cette dispersion est le plus souvent réalisée par des phases dispersives microscopiques (les « propagules ») telles que les larves des invertébrés marins ou les spores des macro-algues. Les durées de vie de ces phases dispersives sont très variables entre les organismes (de quelques minutes à plusieurs mois, Tableau III.1). Des corrélations entre la durée de vie de ces phases libres dans la colonne d‟eau et les distances de dispersion ont été proposées en utilisant des estimateurs de distances de dispersion très variables, certaines basées sur l‟observation, l‟expérimentation ou les données génétiques (voir par exemple la revue de Shanks (2009) pour laquelle les estimateurs sont donnés dans le Tableau III.1 (mais voir également Shanks et al. 2003 ; Siegel et al. 2003 ; Kinlan & Gaines 2003). A noter que la plupart de ces travaux ont été conduits sur des invertébrés marins et seulement de façon marginale chez les macro-algues (voir tableau III.1 assez représentatif de ce fait). Dans

l‟étude de ces corrélations, les estimateurs de distances de dispersion utilisés ne prennent pas toujours en compte la phase d‟établissement des propagules conduisant au recrutement et à leur participation à la reproduction de la nouvelle génération (i.e. la connectivité reproductive selon la définition de Pineda et al. (2007). La notion de connectivité reproductive se rattache au concept de distances de dispersion efficace telle qu‟elle est estimée par les outils de la génétique des populations qui, en mesurant les flux de gènes entre des populations d‟individus adultes, intègrent ces différentes étapes de transport, de recrutement et de reproduction locale. Les données de génétique des populations utilisées pour l‟analyse des distances de dispersion ont longtemps été basées sur des études populationnelles et l‟utilisation de modèles dérivés du test d‟isolement génétique par la distance géographique (Palumbi 2003; Kinlan & Gaines 2003). Cependant l‟utilisation de ces données et de ces modèles pour estimer les corrélations entre les distances de dispersion et la durée de vie pélagique a été largement critiquée (voir notamment Weersing & Toonen 2009).

Malgré le fait que la variabilité intra-spécifique de la durée de vie pélagique est insuffisamment prise en compte dans ces études, une critique majeure est que les estimateurs génétiques utilisés ont été obtenus dans le cadre d‟étude populationnelle avec des effets historiques interagissant et brouillant les effets dus aux processus de transports et de démographies jouant sur l‟échelle d‟une génération. Dans sa revue, Shanks (2009) montre néanmoins que les estimations des distances de dispersion inférées avec des approches génétiques sont globalement similaires à celles obtenues avec des données d‟observations directes pour des espèces ayant des phases de dispersion à courte durée de vie (de l‟ordre d‟une dizaine d‟heure ; Figure III.1). Dans ces conditions, les distances de dispersion estimées sont courtes quelque soit la méthode choisie (de l‟ordre du mètre ou du kilomètre). De plus, grâce à l‟émergence de récents développements théoriques, des inférences génétiques de la dispersion efficace à petite échelle spatio-temporelle (i.e. comparaisons entre parents et descendants ou entre cohortes) sont à présent réalisables par le biais de différentes méthodes (pour revue voir Broquet & Petit 2009) permettant de s‟affranchir des effets historiques et d‟analyser les flux de gènes « contemporains ».

Figure III.1 : Représentation du différentiel entre les distances de dispersion observées et estimées avec des données génétiques en fonction de la durée de vie des propagules.

Cette figure suggère une adéquation relativement bonne dans le cas des espèces dont les durées de vie de la phase dispersive (ex. spores des macroalgues) est courte. En revanche les estimateurs génétiques semblent de piètre qualité pour les espèces avec des phases de dispersion à longue durée de vie (ex. larves vivant plusieurs semaines chez les invertébrés marins).

Ces nouvelles méthodes sont notamment celles de la « génétique du paysage » qui s‟appuie sur des statistiques bayésiennes (Manel et al. 2005) ou des modèles d‟isolement par la distance développés au niveau individuel (Rousset 2000). Ce dernier modèle permet en particulier d‟estimer des distances de dispersion « parent-descendance » sur la base de génotypes multilocus, de la position géographique et de la densité in situ de la population établie. Rousset (2000) a montré que le produit du taux de dispersion et de la densité efficace, la taille de voisinage au sens de Wright (1943) peut être estimé avec des méthodes génétiques utilisées à l‟échelle individuelle. Ces méthodes ont été largement utilisées dans le milieu terrestre notamment chez les plantes mais restent encore marginales en milieu marin (voir cependant

Ledoux et al. (2010) pour une étude récente sur le corail rouge). Les avantages de l‟approche individuelle comme unité opérationnelle sont ainsi de pouvoir mener des études à une échelle plus fine ainsi que d‟éviter les biais potentiels dans l‟identification des populations (Manel et al. 2003).

Dans le cadre de l‟étude des espèces introduites, quantifier les distances de dispersion efficaces (i.e. dispersion réalisée telle qu‟on peut la mesurer par les flux de gènes) est un élément fondamental pour comprendre les éléments déterminants du maintien local et de l‟expansion progressive d‟une espèce introduite. De plus, les méthodes indirectes par les outils et les méthodes génétiques mentionnées plus haut s‟avèrent particulièrement pertinentes pour les organismes à cycle bentho-pélagique et en particulier les macroalgues. L‟étude directe de la phase pélagique (spores) s‟avère en effet difficile voire impossible du fait de leur petite taille (< 100µm) et de l‟absence de critères phénotypiques diagnostiques de reconnaissance spécifique. Par ailleurs, les estimations de la durée de vie des spores menées jusqu‟alors, y compris concernant notre modèle d‟étude, reposent essentiellement sur des approches en laboratoire qui rendent très peu compte des stress et des perturbations environnementales pouvant influencer la survie, la fixation et la germination des spores. Chez

U. pinnatifida, les études expérimentales ont également montré une grande variabilité de la

survie des spores (quelques minutes à quelques heures ; Suto 1950 ; Forrest et al. 2000). Enfin, à l‟instar de ce qui a été observé chez d‟autres macro-algues (ex. Macrocystis pyrifera,

à courte distance, et donc une bi-modalité des courbes de distribution des distances de dispersion depuis une population source.

Je me suis ici intéressée à la microstructure spatiale de la distribution de la diversité génétique au sein de deux populations établies en milieu naturel rocheux. U. pinnatifida étant une espèce annuelle, nous avons pu réaliser, dans le cadre de cette thèse, l‟étude sur deux années successives et donc deux générations différentes. Afin de déterminer les distances de dispersion réalisées à l‟échelle d‟un site, j‟ai mené une étude à l‟échelle individuelle grâce à des cartographies des individus obtenues sur le terrain par GPS différentiel et l‟obtention de leur génotype multilocus qui ont ensuite été utilisés pour estimer des tailles de voisinage et décrypter des structures locales d‟apparentement génétiques.