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Une question préalable à résoudre à propos de l’utilisation poten-tielle du droit des marques par un créateur pour identifier ses œuvres concerne la fonction même de la marque. En effet, à teneur de l’art. 1 al. 1 LPM5, la marque est «un signe propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises». Ainsi, la fonction d’identification de la marque doit porter sur les produits ou services d’une «entreprise». Or, dans le contexte artistique, cette fonction d’identification portera sur les œuvres d’un créateur (ou d’un collectif artistique) et pas sur ceux d’une entreprise comme telle, l’entreprise pouvant être définie comme une «organisation autonome de production de biens ou de services marchands»6. Toutefois, cette

3 On relèvera le parallélisme entre la peinture et la mode dressé par le juge saisi dans l’affaire Louboutin précitée (note 1, 778 F. Supp. 2d 452): «Painting and fashion design stem from related creative stock, and thus share many central features.

Both find common ground and goals in two vital fields of human endeavor, art and commerce. For the ultimate ends they serve in these spheres, both integrally depend on creativity. Fashion designers and painters both regard themselves, and others regard them, as being engaged in labors for which artistic talent, as well as personal expression as a means to channel it, are vital. Moreover, the items generated by both painters and fashion designers acquire commercial value as they gain recognition»; ce parallélisme a permis au juge de conclure qu’un créateur de mode pas plus qu’un artiste ne peut revendiquer un monopole sur une couleur («No one would argue that a painter should be barred from employing a color intended to convey a basic concept because another painter, while using that shade as an expressive feature of a similar work, also staked out a claim to it as a trademark in that context. If as a principle this proposition holds as applied to high art, it should extend with equal force to high fashion. The law should not countenance restraints that would interfere with creativity and stifle competition by one designer, while granting another a monopoly invested with the right to exclude use of an ornamental or functional medium necessary for freest and most productive artistic expression by all engaged in the same enterprise»).

4 Ce thème n’étant en effet pratiquement pas traité en doctrine, en particulier dans les ouvrages de droit de l’art, étant relevé que l’application du droit de la concurrence déloyale dans le domaine artistique ne pourra pas être abordée dans le cadre de la présente contribution.

5 Loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance du 28 août 1992 (LPM), RS 232.11.

6 Selon la définition du dictionnaire Petit Robert.

référence à l’identification des produits ou services d’une entreprise figurant à l’art. 1 al. 1 LPM n’empêchera pas qu’une ou plusieurs personne(s) active(s) dans le domaine artistique (p.ex. un artiste, les héritiers de ce dernier ou encore une institution ayant été constituée dans le but de préserver le patrimoine artistique d’un créateur) déposent une marque en son (leur) nom. En effet, la loi dispose expressément que

«chacun peut faire enregistrer une marque»7. Dans ces circonstances, on ne saurait considérer qu’une marque ne puisse pas être déposée au motif que le déposant/titulaire ne serait pas une «entreprise»8.

Il est envisageable qu’un artiste dépose comme marque ses œuvres comme telles (particulièrement comme marques figuratives ou comme marques tridimensionnelles) en sus de son nom et/ou de sa signature9. Toutefois, une œuvre (d’art) ne peut pas constituer simultanément sa propre marque, car la marque doit conceptuellement se distinguer du produit qu’elle est supposée différencier des produits d’autres entre-prises10. Ainsi, une sculpture ne peut pas constituer la marque (potentiel-lement tridimensionnelle) qui servirait à identifier cette même sculpture, mais elle pourra cas échéant être utilisée pour distinguer d’autres produits ou services11. Dans la mesure où la description des produits et services qui est faite dans la demande d’enregistrement de marques respectera cette contrainte (ce qui ne semble pas problématique), les autorités d’enregistrement (soit en Suisse, l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle) enregistreront une telle marque. Pour ce qui concerne plus spécifiquement le dépôt de marques tridimensionnelles, le motif d’exclusion de l’art. 2 let. b LPM qui exclut de la protection les formes tridimensionnelles qui «constituent la nature même du pro-duit» (et les formes techniquement nécessaires) ne permettra pas d’interdire l’enregistrement de formes purement esthétiques. En effet,

«[l]es formes de produits ne présentant que des différences mini-mes par rapport aux éléments purement génériques sont exclues de l’enregistrement. Par contre, si une forme de produit comporte des

7 Art. 28 al. 1 LPM.

8 Voir dans ce sens CHERPILLOD IVAN, Geltungsbereich, in: von Büren Roland / David Lucas (éd.), Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. II/1, Bâle 2006, p. 3 ss, p. 12, considérant que les œuvres d’un artiste peuvent être traitées comme les «produits» d’une «entreprise» au sens de l’art. 1 al. 1 LPM.

9 La question de l’enregistrement du nom et de la signature de l’artiste sera examinée ci-dessous sous B.

10 CHERPILLOD, (note 8) p. 12.

11 CHERPILLOD, (note 8) p. 12.

éléments décoratifs allant au-delà des éléments inhérents à la forme, elle ne constitue en principe plus la nature même du produit»12.

Le droit des marques pourrait également entrer en considération pour protéger d’autres éléments caractéristiques de la création d’un artiste, par exemple la couleur utilisée par un peintre (p.ex. le célèbre bleu utilisé par Yves Klein)13, ce qui soulève la question de la vali-dité de telles marques au regard des principes généraux du droit des marques, tout particulièrement du caractère distinctif de celles-ci et

«du besoin absolu de disponibilité»14. En accord avec la jurispru-dence américaine récente rendue dans l’affaire Louboutin c. Yves Saint Laurent15, on peut douter de l’admissibilité de la validité de telles marques de couleur (cette affaire étant toutefois encore en cours)16.

Dans la perspective de la protection contre une monopolisation de certains signes par le droit des marques dans le domaine artistique, une question particulière qui s’est posée est celle de la protection par le droit des marques d’œuvres tombées dans le domaine public (après l’échéance de la protection par le droit d’auteur)17. Sur le plan du principe, il n’y a pas d’obstacle à ce qu’un même bien immatériel soit

12 Directives en matière de marques de l’Institut fédéral de la Propriété Intellectuelle (1.1.2011), ch. 4.11.4.1, p. 93 (accessibles à: https://www.ige.ch/fileadmin/user_

upload/Juristische_Infos/f/rlma/rlma_f.pdf); par comparaison, le droit allemand pré-voit, à la différence du droit suisse, un motif d’exclusion pour les formes de produits qui donnent à ceux-ci une valeur importante (cf. § 3 al. 2 ch. 3 de la loi allemande sur le droit des marques: «Dem Schutz als Marke nicht zugänglich sind Zeichen, die ausschließlich aus einer Form bestehen, […] 3. die der Ware einen wesentlichen Wert verleiht», ce qui semble exclure la protection des formes esthétiques par le droit des marques; dans ce sens, SCHACK HAIMO, Kunst und Recht: bildende Kunst Architektur Design und Fotografie im deutschen und internationalen Recht, 2ème éd., Tübingen 2009, n° 212, p. 106.

13 Yves Klein ayant créé le «International Klein Blue» (IKB) et l’ayant utilisé pour ses célèbres monochromes d’un bleu «ultramarin»; voir p.ex. l’une de ses œuvres IKB 79 (1959), accessible à: http://www.tate.org.uk/servlet/ViewWork?cgroupid=

999999961&workid=8143&tabview=text&texttype=10.

14 Pour les marques de couleur, voir les Directives en matière de marques précitées en note 12, ch. 4.9, p. 81 s.

15 Voir note 1.

16 Devant la Cour d’appel du 2ème Circuit (voir le mémoire de réponse de Yves Saint Laurent du 27 décembre 2011: http://www.scribd.com/doc/76732040/ Louboutin-v-YSL-2d-Cir-12-27-11-YSL-s-brief-on-appeal).

17 Cette question a été passablement discutée en Allemagne suite à une affaire concernant le dépôt comme marque du célébrissime portrait de «Mona Lisa» tranchée par le Bundespatentgericht, GRUR 1998, p. 1021, voir KOUKER LUDWIG, «Marken-rechtlicher Schutz gemeinfreier Werke», in: Festschrift für Wilhelm Nordemann zum 70. Geburtstag am 8. Januar 2004, Munich 2004, p. 381 ss; LIEBAU SÖREN, Gemein-freiheit und Markenrecht: Möglichkeit einer Remonopolisierung von urheber-rechtliche gemeinfreien Werke, thèse Berlin 2000; OSENBERG RALPH, «Markenschutz für urheberrechtlich gemeinfreie Werkteile», GRUR 1996, p. 101 ss; SCHACK HAIMO,

«Kunst als Marke – Marke als Kunst», in: Festschrift für Manfred Rehbinder, Recht im Wandel seines sozialen und technologischen Umfeldes, Munich 2002, p. 345 ss.

potentiellement protégé par différents droits de propriété intellectuelle, en raison de l’indépendance respective desdits droits18. Dans la mesure où la protection du droit des marques a une autre fonction et une autre portée que celle du droit d’auteur, la protection par le droit des marques pour des œuvres tombées dans le domaine public ne doit donc pas être exclue par principe, pour autant bien entendu que les conditions de protection du droit des marques soient remplies. Dans l’arrêt concernant une marque figurative représentant «Mona Lisa», le Bundespatentgericht allemand a tranché que la célébrité du tableau et son utilisation intensive19 avaient pour effet que ce signe ne jouissait d’aucune force distinctive et ne pouvait dès lors pas remplir sa fonc-tion de marque (comme moyen de distincfonc-tion des produits ou services d’une entreprise par rapport à ceux d’autres entreprises)20. En droit suisse, c’est le motif d’exclusion de l’art. 2 let. a LPM concernant les signes appartenant au domaine public qui serait applicable dans une telle hypothèse. Cette disposition laisse toutefois ouverte la possibilité de démontrer que le signe se serait imposé dans le commerce, ce qui sera très délicat à démontrer pour des œuvres d’art célèbres tombées dans le domaine public. En tout état, les créateurs devront veiller à ce que les produits et/ou les services pour lesquels la protection est requise (p.ex. en matière de créations dans le domaine des beaux-arts des «tableaux [peintures] encadrés ou non» en classe 16 et des services d’«authentification d’œuvres d’art» en classe 4221) soient soigneuse-ment déterminés.

B. Marques correspondant au nom ou à la signature

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