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Ce chapitre porte sur le fond diffus cosmologique en tant que principale sonde astronomique de l’univers primordial. Ce rayonnement fossile de corps noir libéré 380 000 ans après le Big Bang présentent de faibles fluctuations sur le ciel en intensité et en polarisation dont les sources premières sont les perturbations cosmo-logiques produites durant l’inflation. Il est une source extrêmement riche d’informations sur l’évolution globale de l’Univers, sa géométrie et sa composition en matière, ainsi que sur la phase d’inflation primordiale. C’est en tant que sonde de cette dernière, et en particulier via les anisotropies en polarisation, que nous focaliserons la discussion. Après une rapide introduction, nous montrons en quoi la reconstruction des modes B partant des paramètres de Stokes est compromise si les fuites des modes E dans le mode B n’est pas corrigé. Ces

mélanges dégradent fortement la reconstruction des spectres de puissance de mode B, CBB

, principale source

de contrainte sur l’échelle d’énergie de l’inflation. Nous présentons ensuite une méthode de séparation exacte des mode E et B, son implémentation numérique pour l’estimation des spectres de puissance angulaire de mode

B et aux corrélations croisées T B et EB. Les perfomances de cette méthode statistique sont aussi présentées,

à la fois pour des expériences couvrant une faible portion du ciel et pour une possible future mission satellite. Détecter le mode B a pour but final de contraindre la physique de l’univers primordial. Nous montrons quelle type de contrainte peuvent être établi par notre reconstruction du mode B sur le rapport tenseur-sur-scalaire,

r, et sur une possible violation de parité dans l’univers primordial. Finalement, nous montrons l’efficacité d’une

possible méthode de séparation des composantes pour le cas des expériences sol ou ballon couvrant une faible portion de la voûte céleste.

L’ensemble des travaux ici présentés ont été effectué avant la détection récente du mode B des anisotropies polarisés du fond diffus cosmologique. Dans ce contexte d’ignorance observationnelle, le niveau de mode B primordial pouvait être arbitrairement bas. Ainsi, les méthodes développées ont été validées sur des niveaux

bas relativement à la valeur actuellement rapportée par la collaboration bicep2. Ces méthodes n’en demeure

pas moins pertinentes si ce niveau de mode B tel que mesuré par bicep2 se confirme, signifiant simplement qu’elles permettrons une reconstruction d’autant plus précise de ce mode de polarisation.

Les anisotropies du CMB apparaissent suivant trois modes : du plus intense au plus faible, anisotropies de température, anisotropies de polarisation de type E (mode gradient) et anisotropies de polarisation de type B (mode rotationnel) [65]. La décomposition du champ de polarisation en un mode E et B est "naturelle" d’un point de vue mathématique et physique : le mode E est principalement généré par les perturbations scalaires (comme la température) alors que le mode B, à l’ordre linéaire, n’est généré que par les ondes gravitationnelles primordiales (et non par les perturbations scalaires) [66]. L’information supplémentaire contenue dans le champ de polarisation permet de lever les dégénerescences entre différents paramètres cosmologiques et ainsi améliorer notre connaissance observationnelle de l’Univers. Une connaissance du mode E permet par exemple de contraindre la phase de reionisation de l’Univers, l’instant où les premières étoiles se forment, et ainsi de lever la dégénérescence entre la profondeur optique de reionisation et l’indice spectral de perturbations cosmologiques scalaires.

Par ailleurs, le mode B est la seule sonde remontant directement au fond d’ondes gravitationnelles primordiales

produites durant l’inflation. Sa mesure est une fenêtre ouverte sur l’Univers quelques 10−35 après le Big Bang et

permettrait donc de connaître l’échelle d’énergie de l’inflation. Le niveau du mode B est usuellement quantifié par le rapport tenseur-sur-scalaire, noté r (ou parfois T /S), qui correspond au rapport de la puissance des ondes gravitationnelles primordiales divisées par la puissance des perturbations scalaires à une échelle de longueur de

référence, r = PT(k0)/PS(k0) avec, usuellement, k0 = 0.002 Mpc−1 . Ce rapport est d’autant plus faible que

l’échelle d’énergie de l’inflation l’est. Dans le cadre de l’inflation de roulement lent, si Ei est l’échelle d’énergie de l’inflation, alors le spectre de puissance des anisotropies primaires de mode B présentera un pic de recombinaison

!!" ##" $$"

r

`

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+

1)

2

π

C

`

K

]

Figure C – Spectres de puissance angulaire pour les autocorrélations T T , EE et BB ; à cela s’ajoute la corrélation croisée T E non-nulle (non représentée ici). Dans le scenario standard de la cosmologie, les corrélations croisées T B et EB sont nulles par invariance suivant la symétrie de parité. Le mode B contient une composante primaire (piquant aux grandes échelles) et une composante secondaire (piquant aux petites échelles angulaires), toutes deux représentées en tiret.

à ℓ ∼ 90 dont l’amplitude est directement proportionnel au carré de cette échelle d’énergie, i.e. [67] q CB ℓ∼90 = 0.024 ×  E i 1016GeV 2 µK. (7.14)

(Nous rappelons que le multipôle est une fréquence angulaire et correspond donc à l’inverse d’une échelle angulaire sur la sphère céleste, i.e. ℓ ∼ 180/θ[deg.] où θ est l’échelle angulaire correspondante.) L’amplitude du mode-B est directement proportionnelle à l’amplitude du mode tensoriel primordial, elle-même paramétrisée par le rapport

tenseur-sur-scalaire r. Eidemment, l’amplitude finale de CB

dépend aussi de la physique de la recombinaison. On

peut toutefois remonter à r qui est directement proportionnel, dans le cas de l’inflation à un champ, à la valeur du potentiel pendant l’inflation [43]

V1/4= 1.06 × 1016GeV r 0.01

1/4

. (7.15)

Les anisotropies de température et de modes E donnent accès à la puissance du mode scalaire primordial. Or cette puissance est inversement proportionnelle au rapport énergie cinétique dans le champ d’inflaton divisée par énergie

totale, i.e. ǫ ∝ ( ˙ϕ2)/( ˙ϕ2+ 2V (ϕ)). Un grand nombre de modèles d’inflation, c’est-à-dire de choix du potentiel d’auto-interaction du champ d’inflaton ϕ, aboutissent à la même valeur de ǫ. En détectant le mode B, il est alors possible de remonter à l’énergie totale et donc de lever la dégénérescence entre énérgie cinétique et énergie totale du champ d’inflaton, et par là bien mieux discriminer entre ces différents modèles.

Outre cette composante primaire, le mode B possède une composante secondaire due à l’effet de lentillage gravitationnel des galaxies et structures cosmiques sur les photons du CMB, transformant du mode E en mode B [68]. L’amplitude de cette seconde composante est fixée par l’amplitude du mode E et l’amplitude du potentiel de lentillage des grandes structures. Elle est donc essentiellement fixée par l’amplitude des modes scalaires produits durant l’inflation primordiale et ne dépend pas (en fait que très marginalement) de l’amplitude des ondes gravi-tationnelles primordiales. Une mesure de cette composante secondaire permettrait par exemple d’améliorer notre connaissance de la formation des structures qui dépend, entre autre, des propriétés de l’énergie noire.

D’un point de vue de la dépendance spectrale, les anisotropies primaires (uniquement dues aux ondes gravi-tationnelles primordiales) dominent aux grandes échelles angulaires (de ∼1 degré à 90 degrés) sur une gamme de multipôles allant de ℓ = 2 à ℓ ∼ 100, la valeur exacte de la borne supérieure dépendant évidemment de l’échelle d’énergie de l’inflation qui fixe la puissance des ondes gravitationnelles primordiales. Les anisotropies secondaires dues au lentillage sont quant-à elles dominantes aux petites échelles angulaires pour ℓ ≥ 100 et présentent un

SOMMAIRE 107 maximum d’amplitude à la dizaine de minutes d’arc, ℓ ∼ 1000. Ce comportement est illustré sur la figure C : la courbe bordeaux en tiret dominant à ℓ ≤ 100 correspond à la composante primaire due aux ondes gravitationnelles pour un rapport tenseur-sur-scalaire r = 0.05, tandis que la courbe bordeaux en tiret dominant à ℓ > 100 (et piquant à ℓ ∼ 1000) correspond à la composante secondaire. Le mode B potentiellement observé est la somme de ces deux composantes (courbe bordeaux en trait plein).

La mesure ultime des anisotropies en température grâce aux données du satellite planck a été récemment publiée, Ref. [25]. Elle a permis d’établir de nombreuses contraintes (plus de 30 publications en 2013, avec pour ce qui concerne la cosmologie primordiale e.g. Refs. [2, 26]). (Les données CMB, et tout particulièrement celles fournies par planck sont extrêmement riche d’informations cosmologiques et astrophysiques. Nous ne donnons ici que des exemples particuliers.) Le mode E a déjà été détecté aux petites échelles angulaires par dasi, quad et bicep ainsi que par wmap aux grandes échelles angulaires [69]. Cependant une caractérisation précise de ses propriétés statistiques sur une plage allant de la dizaine de minute d’arc à quelques dizaine de degrès, ne sera faisable que grâce aux données de planck-hfi, dont les résultats en polarisation devrait être publiés durant le premier semestre de 2014.

Jusqu’à 2014, la composante primordiale du mode B n’avait pas été détectée et seules des limites supérieures avaient pu être obtenues [69]. Toutefois, sa composante secondaire due au lentillage gravitationnel a été détecté indirectement avec les données de sptpol [41] et plus récemment, une détection directe a été proclamée par la collaboration polarbear [42]. (Plus précisément, cette composante secondaire a été détectée à 1.66σ dans la bande 500 ≤ ℓ < 900 et à 1.27σ dans la bande 900 ≤ ℓ < 1300, ce qui exclut l’hypothèse d’une composante secondaire nulle à 97.5% de niveau de confiance.) Le 14 mars 2014, la collaboration bicep2 a annoncé la détection d’un mode

B pour une gamme angulaire allant de ℓ ∼ 30 à ℓ ∼ 150 significativement en excés du mode B secondaire du au lentillage [3]. Les quatre points de mesure obtenus dans cette gamme de multipôle sont très bien reproduit par un pic de recombinaison ce qui favorise leur interprétation comme étant d’origine primordiale avec un rapport tenseur-sur-scalaire de r = 0.2. Compte tenu de la petitesse du mode B du CMB, sa détection et sa caractérisation nécessitent un très bon contrôle des effets systématiques, une bonne connaissance de la polarisation des émissions d’avant-plan venant polluer les mesures du CMB et le développement de nouvelles techniques d’analyse de données, afin d’être en mesure d’aller chercher un signal très ténu et dont le niveau global est encore inconnu. Dans cette perspective, les données qu’a fournies l’instrument haute fréquence hfi du satellite planck permettront de bien mieux comprendre, et donc mieux soustraire, les émissions astrophysiques d’avant-plan et d’aboutir au moins à la meilleure limite supérieure sur le mode B du CMB aux grandes échelles angulaires (au-delà de la dizaine de degrés). Par ailleurs, un grand nombre d’expériences sol (comme e.g. polarbear, actpol, sptpol ou encore qubic) ou ballon (comme ebex ou spider) dédiées à la détection du mode B, sont soit en cours d’acquisition de données soit en phase de développement. Ces expériences ont une sensibilité instrumentale bien meilleur que celle du satellite planck. Cependant, à la différence d’une mission satellite qui donne accès à environ ∼ 70% de la voûte céleste, les expériences sol ou ballon ne couvrent qu’une faible portion du ciel, ∼ 1%. Ces dernières sont donc plus sensibles à la polarisation et ont un meilleur contrôle des effets systématiques que l’instrument hfi pour des échelles angulaires en-deçà de la dizaine de degrés, et fourniront ainsi les meilleures contraintes sur le mode-B dans une gamme complémentaire de celle étudiée grâce aux données fournies par planck. Enfin, il est important de noter que des études sur la conception d’une future expérience satellite dédiée à la polarisation du CMB, et plus particulièrement au mode B, sont en cours depuis quelques années déjà, e.g. litebird, pixie ou encore prism ou core. Il est maintenant évident que la prochaine étape pour le CMB est la détection et la caractérisation fine de ce fameux mode B de polarisation. (On notera que les études de variation du spectre electromagnétique du CMB (c’est-à-dire des distortions de la loi de corps noir) est une autre voie prometteuse.)

Pour une expérience comme planck, ou pour toute possible expérience satellite dédiée à la polarisation, l’ob-jectif est en premier lieu d’accéder aux plus grandes échelles angulaire et donc de chercher à détecter le mode B primordial via son pic de reionization à ℓ = 2 − 20 et son pic de recombinaison à ℓ ∼ 90. Pour une expérience couvrant une faible portion de ciel, le mode primordial ne sera a priori détectable que via son pic de recombinaison, comme les résultats de bicep2 le confirme.

De façon schématique, l’analyse et l’interprétation physique des données CMB procède en quatre étapes (cf. Ref. [70]). Le point de départ est les données ordonnées en temps qui subissent un premier traitement. Des cartes du ciel des trois paramètres de Stokes, I, Q et U sont alors construites pour chaque fréquence électromagnétique mesurée. Ces cartes par fréquence sont ensuite combinées pour former des cartes par composante (CMB, différents avant-plans). A partir des cartes de la composante CMB, les spectres de puissance angulaire (ou tout autre quantité statistique pertinente pour le CMB, tels les bispectres) en température et en polarisation sont estimés. Enfin, ces

spectres de puissance peuvent être utilisés pour établir les contraintes sur les différents paramètres et modèles cosmologiques.

Les données fournies par les expériences dédiées au CMB sont extrêmement riches d’informations : anisotropies primaires, mais aussi secondaires (toutes deux en température et en polarisation), fond diffus infrarouge, catalogue d’amas par effet Sunyaev-Zeldovich, etc. Nous focalisons ici la discussion sur les anisotropies polarisés du CMB, essentiellement en tant que sonde de l’univers primordial, et nous ne parlerons que peu de toute la richesse du ciel mirco-onde, qu’il faut toutefois garder à l’esprit.

Chapitre 8

Analyse spectrale et reconstruction du