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INTRODUCTION GENERALE

par

Gérard BEZACIER Général de Division

Commandant le Centre de Doctrine d'Emploi des Forces CDEF

Dans son préambule, M. Pierre PASCALLON précisait qu'en raison du bouleversement stratégique de 1989 et de la persistance des dangers, conflits et guerres depuis 15 ans, il semblait utile « d'identifier, de scruter au plus près les menaces qui vont peser demain sur notre pays et de voir si nous sommes avec une défense appropriée face à ces menaces à venir ».

L'assemblée de cet après-midi - et en premier lieu les intervenants de qualité qui sont réunis - prouve assez que tous ici sont persuadés de cette nécessité. Chacun dans son domaine - dans sa fonction-même, pour beaucoup - est un spécialiste, un analyste précis et attentif à ce qui bouge dans notre monde. Et nul doute que ce qui va être décrit, tant en première partie sur un essai de — nécessaire — prospective sur les menaces qu'en deuxième partie, sur les conséquences à tirer concernant notre politique de défense, est indispensable et doit être partagé. Notre salle rassemble tout à la fois nombre d'acteurs de la construction de notre défense pour aujourd'hui et pour demain et nombre d'observateurs avertis, qui dans tel secteur géographique ou thématique, qui au niveau stratégique politico-militaire. La réflexion et les échanges seront donc riches, ils sont de toute évidence absolument nécessaires et urgents.

Aussi, avant de vous laisser la parole, laissez-moi vous conforter pour deux raisons, car d'une part nous partageons une vision de l'évolution de notre monde, que je vais essayer de synthétiser en quelques mots et, d'autre part, l'organisme que j'ai l'honneur de commander développe lui-même des études sur les menaces génériques, qui découlent de cette évolution.

Cette étude sur l'ennemi et sur des scénarii d'entraînement actualisés, comme l'objet du colloque d'aujourd'hui, est à la fois indispensable et urgente pour deux raisons :

- indispensable et obligatoire, car nous sommes réduits, toujours, à des choix, ce d'autant plus que notre puissance est moyenne et que les évolutions de structures ou de décisions budgétaires sont quasiment permanentes ;

- urgente, car nos forces sont déployées, donc confrontées au quotidien à ces types nouveaux d'adversité. Il faut donc préparer le futur tout en négligeant moins le présent. C'est aujourd'hui, c'est-à-dire dans cinq ans, que j'ai besoin de tel outil, et non uniquement dans un monde de la défense idéal et jamais réalisé du futur.

L'EVOLUTION DE NOTRE MONDE DEPUIS 15 ANS

Faisons rapidement un tour militaire du contexte géopolitique. Avec la fin de l'Union Soviétique, de nombreuses tendances ont éclaté soudainement. Pour se cantonner à celles qui paraissent les plus dirimantes en termes stratégiques, citons l'affaiblissement des Etats, la mondialisation de la sécurité, les proliférations, avant de se pencher sur la place des opérations françaises dans ce contexte.

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L'affaiblissement des Etats

Trois évolutions se dégagent, contribuant à converger vers cet affaiblissement croissant :

- l'augmentation importante des acteurs non-étatiques, usant ou prônant une violence de plus en plus radicale, de plus en plus étendue ;

la cohabitation de trois politiques complexes, celles des Etats, mais aussi celles des alliances d'Etats, de type supranational, jusqu'aux politiques, pragmatiques et tout aussi puissantes, de certaines grandes entreprises ; ces dernières peuvent, tout comme celles des Etats, être des politiques de sécurité, diplomatiques ou d'influence, allant jusqu'à engager des « armées privées » (sous couvert de mercenariat) ou à négocier avec diverses parties comme dans le Caucase (négociations simultanées avec les Russes et avec les Tchétchènes) ;

la nécessité stratégique de l'intervention, imposant de plus en plus de frapper à la source nos adversaires, qu'ils soient par nature des « prédateurs », des « subversifs » ou des

« revendicatifs » (le plus souvent, une association des trois). Cette politique d'intervention est d'autant plus nécessaire qu'un Etat faible devient rapidement le terrain sanctuaire de nos ennemis.

La mondialisation de la sécurité

Cet élargissement de la sécurité va de pair avec l'explosion des échanges, tant en volume qu'en portée dans un monde désormais « fini », limité :

- à commencer par les flux d'informations, qui facilitent les comparaisons et provoquent les frustrations (en particulier entre mondes pauvres et riches) ;

- mais aussi par les flux d'argent, de capitaux et de masse monétaire ou les échanges boursiers, difficilement contrôlables même pour les échanges licites ;

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- et surtout par les migrations humaines, flux d'hommes permanents qui ne peuvent que s'accroître encore au fur et à mesure de l'évolution déséquilibrée du monde.

Ces échanges accrus impliquent deux conséquences : - il est devenu impensable de maîtriser les flux d'argent, ce

qui est pour nous une fragilité face à la redoutable puissance de financement que possèdent nos adversaires ; - les sécurités intérieures et extérieures sont inextricablement

liées, demain encore plus qu'hier, et les forces de police pourraient être de moins en moins aptes à contrôler la dangerosité.

Les proliférations et la diversité

Les armes modernes sont de plus en plus variées, disséminées et accessibles, cela inclut naturellement le nucléaire, qu'on ne « désinventera » pas. H n'est qu'à comparer l'Iran et l'Irak, pour bien comprendre que l'acquisition de l'arme nucléaire demeure une garantie de puissance, qu'on agresse plus facilement le pays de Bagdad que celui de Téhéran.

Mais la prolifération est aussi celle des effets du nombre d'armes technologiquement accessibles, avec des disparités s'accroissant sur le plan technologique : le « gap » technologique entre, d'une part, les Etats-Unis - et dans une moindre mesure les Occidentaux - et les autres nations d'autre part, progresse de façon exponentielle. Le retard est donc de plus en plus difficile à combler, il ne peut en tout cas pas l'être rapidement.

De ces trois tendances découlent deux conséquences majeures :

La première est stratégique : le recours à la guerre subversive se systématise face à nous et met à mal notre modèle « mécanique et électronique ». L'adversaire, dans les dimensions de la vitesse et du temps, s'oppose ainsi

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efficacement à nos conceptions et nos outils modernes : à notre faculté de tout voir et de frapper systématiquement, il oppose une absence de cibles ; à notre capacité de réagir vite et notre volonté de finir rapidement tout conflit débuté, il oppose le temps long, connaissant notre faiblesse de démocratie à rester mobilisée longtemps (coût des opérations et, surtout, soutien de l'opinion publique dans la durée).

Soulignons au passage l'inanité d'un concept tel que celui du

« first in, first out » : nous sommes toujours dans les Balkans, à Chypre, au Liban, en Corée...

La seconde est opérative : l'ennemi est naturellement tenté par des armes exotiques, peu chères et médiatiques ; il privilégie la transparence, préférant se fondre au sein des populations civiles et dans les zones refuges urbaines ou montagneuses pour éviter d'être vu, donc frappé ; toujours, il profite du développement des technologies duales, qu'il peut acheter facilement (libre accès, financement facile, pas de contrainte organique).

Dans ce contexte mondial en évolution permanente, les opérations militaires françaises se poursuivent quotidiennement avec 20.000 hommes projetés en permanence. Et la présence de morts, de blessés dans nos rangs, illustrerait, s'il était nécessaire, que nous avons bien des ennemis, qui nous agressent et qui tuent, même en l'absence de grand compétiteur d'ici une quinzaine d'armées.

Autant nous avions un ennemi hier, que nous n'osions pas nommer par pudeur alors même qu'il s'agissait de la puissante Union Soviétique, autant nous avons toujours un ennemi, différent, et que nous devons nommer et décrire sans hésitation.

Une préoccupation supplémentaire est en revanche la réduction simultanée des capacités européennes de défense (réductions de budget, formats taillés à la baisse) de façon totalement désordonnée et incohérente au niveau du continent : l'armée belge est réorganisée, réduite et

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