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I – Analyse du caractère « présence de trayon surnuméraire » Article

A. Introduction de l’analyse et résumé de l’article

La polythélie est une anomalie relativement courante chez les mammifères. Elle se caractérise par la présence d’un ou de plusieurs trayons surnuméraires (TS) par rapport au nombre habituel de l’espèce. Ces TS sont en général situés dans l’alignement des trayons normaux, le plus souvent à l’arrière de ces derniers [111,112]. Reliés à une petite glande mammaire surnuméraire, ou à l’une des glandes normales par un canal auxiliaire, certains peuvent être fonctionnels. La polythélie ne se limite pas aux femelles puisqu’on trouve également des TS chez les mâles. Différents cas de TS sont présentés figure 7.

En élevage les TS sont la plupart du temps considérés comme des tares, d’une part pour des raisons esthétiques, mais aussi pour les difficultés qu’ils peuvent entraîner lors de l’utilisation de machines à traire. Il est aussi parfois avancé que ces cavités surnuméraires pourraient agir comme des réservoirs à bactéries et causer des mammites [113]. En outre, dans le schéma de sélection caprin français, les mâles d’IA porteurs de TS sont écartés et les femelles ne peuvent être qualifiées « mères à boucs ». Les TS sont en effet une cause d’élimination pour 4,7% des boucs nés d’accouplements programmés (futurs jeunes mâles d’IA) en Saanen et 8,5% en Alpine, ce qui représente une perte génétique importante.

La fréquence et l’héritabilité du phénomène sont très variables d’une population à l’autre. En bovin, par exemple, la littérature rapporte des fréquences s’étalant entre 15 et 69% et des héritabilités s’échelonnant de 0,09 à 0,63 [113,114]. En caprin, une étude menée sur un élevage expérimental turc de Saanen fait état d’une fréquence du phénotype de 17% et d’une héritabilité de 0,34 [115]. La transmission du caractère a été étudiée dans plusieurs espèces de mammifères. Chez l’homme [116], le mouton [117] et le cochon d’Inde [118] l’hypothèse d’un unique gène, tantôt récessif tantôt dominant, a été proposée. Les données bovines sont toutefois moins franches et penchent plutôt en faveur d’un gène unique avec un modèle de pénétrance plus compliqué, ou alors d’un gène majeur additionné d’un effet polygénique,

73 Figure 8 : Manhattan plots des 6 analyses d’associations effectuées sur le caractère « Trayon Surnuméraire ».

De gauche à droite sont présentées les analyses pour la race Saanen seule, la race Alpine seule, puis les deux races mélangées. La première ligne concerne les analyses faites en prenant les SNP individuellement et la deuxième les analyses haplotypiques. Pour chaque graphique, on retrouve pour chaque position le –log(Pvalue) correspondant en fonction de la position sur le génome. Les changements de couleur représentent un changement de chromosome. La barre horizontale indique le seuil de significativité tout génome. (Figure issue de l’Article 1).

74 voire d’une transmission polygénique [114]. Différents loci associés au caractère ont d’ailleurs été trouvés, mais aucun ne semble pouvoir expliquer une grande part de la variance génétique [119,120]. Aucune détection de QTL sur ce caractère n’a, à notre connaissance, été publiée en caprin à ce jour.

Pour les raisons précédemment évoquées, la filière caprine montre un intérêt particulier pour l’étude de ce caractère. Le but de ce projet est donc de mieux connaître cette anomalie dans la population caprine française des races Alpine et Saanen, d’en estimer l’héritabilité et de chercher des QTL liés à ce phénotype dans l’optique d’orienter à terme la sélection vers des animaux exempts de TS.

L’héritabilité du caractère a été estimée sur l’ensemble des femelles pointées, nées entre 2005 et 2007, en races Alpine et Saanen, tandis qu’une analyse d’association (GWAS) a été réalisée sur le dispositif de détection de QTL présenté dans le chapitre 1 (II-D.). L’ensemble des analyses a porté sur une modélisation logistique adaptée à la nature binaire du phénotype. La fréquence du caractère « trayon surnuméraire » a été estimée autour de 4% dans chacune des deux races. Elle était équivalente à celle trouvée dans l’échantillon de race Alpine utilisé pour l’analyse GWAS, mais montait à 6,8% pour les animaux Saanen de l’analyse GWAS. La fréquence était très variable d’une famille du dispositif de détection de QTL à l’autre, s’étalant de 0,8 à 11,9%. Ces fréquences ont probablement été sous-estimées par rapport à la représentativité globale du phénomène dans la population. En effet, elles ont été évaluées à partir d’animaux adultes, les femelles pointées, et il est fort possible qu’un certain nombre d’éleveurs prennent en compte ce caractère dans le choix de leurs femelles de renouvellement et éliminent un grand nombre d’animaux porteurs de cette tare avant le passage des pointeurs. Il est également possible que certains TS de petite taille passent inaperçus lors du pointage. La fréquence du phénotype « TS » est d’ailleurs bien supérieure dans la littérature (majoritairement bovine).

L’héritabilité du caractère a été estimée légèrement supérieure à 40% dans les deux races caprines françaises, ce qui correspond à ce qui est trouvé dans la littérature en bovin. Cette héritabilité élevée est favorable à une sélection sur le caractère.

Sur l’ensemble des 6 analyses d’association réalisées, i.e. 3 populations (Saanen, Alpine et combinées) x 2 modèles (effet SNP versus haplotype), 17 zones du génome sur 10 chromosomes différents ont été détectées au niveau chromosomique (figure 8). Le niveau de significativité du génome entier n’est toutefois jamais atteint et aucun de ces signaux ne se détache. Une de ces régions a été détectée par deux analyses à la fois, l’analyse Saanen haplotypique et l’analyse haplotypique mêlant les deux races. Cela signifie qu’il n’y a globalement pas de recoupement entre les races ni même entre les modèles d’analyse.

L’ensemble de ces résultats permet de postuler un déterminisme de type polygénique pour le caractère et l’absence d’un gène à effet majeur. Parmi les QTL détectés en bovin, un seul correspond à une région orthologue de nos résultats : la zone significative sur le chromosome 13 caprin (correspondant au chromosome 5 bovin [119]). Ce signal pourrait être associé à des gènes impliqués dans la voie de signalisation des Wnt (wingless-type integration site family) qui joue notamment un rôle dans le développement embryonnaire de la glande mammaire [121].

76 L’ensemble des résultats suggère un déterminisme polygénique du caractère. Il est également possible que notre prise en compte du caractère de manière binaire (présence/absence) soit trop réductrice et que la présence de trayons surnuméraires recouvre en réalité différents caractères selon le nombre de trayons supplémentaires, leur position et le fait qu’ils soient fonctionnels ou non. Il faudrait ainsi adapter le phénotypage pour pouvoir réaliser une étude plus détaillée.