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Introduction à la BSPM et liens théoriques

Chapitre 3 : La Boucle sensori-psycho-motrice (BSPM)

3.1. Introduction à la BSPM et liens théoriques

La Boucle sensori-psycho-motrice (BSPM) résulte des travaux de David Feldman, érudit de psychologie, neurologie, physiologie et philosophie, et de Jean-Paul Pes. Depuis la disparition de David Feldman, Jean-Paul Pes continue d'élaborer cette Boucle et de l'étayer des résultats des dernières recherches sur les concepts psychomoteurs vus précédemment afin de proposer la théorie qui les met en relation. La dernière actualisation est présentée en 2017 dans l’ouvrage Un corps, un cerveau, un esprit, une âme pour apprendre.

Le sujet de cette théorie est l'apprentissage. L’apprentissage est défini par les auteurs de la BSPM comme la saisie et l'intégration des expériences vécues par les sens pour les comprendre et les réutiliser. Ainsi, d’après Jean-Paul Pes, l’apprentissage correspond à la « saisie et l’intégration de toute nouvelle expérience dans les mémoires et dans les comportements […] Chaque nouvelle expérience entraîne un apprentissage, ce qui nous permet de la comprendre, de la mémoriser, de l’utiliser et de construire encore d’autres connaissances »116. Dans le processus d’apprentissage, trois étapes peuvent être distinguées :

l’acquisition, la rétention et le transfert à une situation proche.

D’après Henri Wallon, l’apprentissage individuel est « nécessaire, pour qu’une fonction s’achève et s’harmonise avec l’ensemble de la conduite »117. Ainsi, l’apprentissage

participe au développement de l’individu.

Pierre Simonet décrit les apprentissages comme un processus modifiant le comportement de l’individu de manière stable et durable. Le processus d’apprentissage serait alors difficilement quantifiable et évaluable. Ainsi, semble-t-il, « l’apprentissage ne peut être appréhendé que de manière indirecte dans ses manifestations observables, c’est-à-dire sous forme de performances mesurables »118, et ce de manière différée. C’est notamment afin

d’objectiver des apprentissages que peuvent être réalisées une évaluation et une réévaluation.

116 Pes, J-P., (2017) Un corps, un cerveau, un esprit, une âme pour apprendre, p 6 117 Wallon, H., (1984) L’enfant turbulent, p 27

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D’après Marcel Jousse, chercheur et enseignant, nous ne connaissons les choses qu’en les rejouant et les répétant en nous-mêmes, le mouvement peut ainsi avoir une place prépondérante dans l’apprentissage. Ainsi, « Celui qui apprend ses leçons et les rejoue avec tout son être, construit sa construction qui est instruction, sur la pierre. Celui qui apprend ses leçons et ne les rejoue pas avec tout son être, construit sa construction qui est instruction sur le sable »119. Appliquer ce principe dans tous les lieux d'éducation pourrait permettre une

consolidation interne des apprentissages sur laquelle l'individu pourra s'appuyer dans la vie quotidienne.

Nous nous intéressons aux apprentissages étayant le comportement psychomoteur dans la pratique d’activités physiques et sportives.

L’apprentissage « psychomoteur », d’après Jean-Claude Carric, « consiste à acquérir, à affiner, à stabiliser et à utiliser des aptitudes motrices. Il s’inscrit dans l’ensemble du développement de la personne et s’accomplit avec l’appropriation des connaissances, le développement d’aptitudes de coordination et de conditionnement, ainsi qu’avec l’acquisition de certaines propriétés comportementales »120. Cette définition apporte un

caractère intrinsèque aux apprentissages psychomoteurs, où chaque expérience motrice aurait une composante psychomotrice.

Alain Berthoz précise les structures cérébrales impliquées dans ce qu’il nomme apprentissages « moteurs ». Ainsi, d’un point de vue neurologique, « le cortex cérébral est utilisé au début de l’apprentissage et devient peu à peu silencieux ; l’activité est alors transférée aux noyaux de la base du cervelet, ce qui laisse au cortex la possibilité de faire face à de nouveaux problèmes pour leur trouver de nouvelles solutions »121.

Ainsi, l’apprentissage dans un contexte d’éducation psychomotrice consisterait en des modifications du comportement psychomoteur. Il s’agirait de permettre des exécutions motrices plus fluides en développant une présence à soi. Pour cela, il semble important de valoriser et de faire prendre conscience des comportements moteurs adéquats.

Dans ce type d’apprentissage, nous intervenons sur les soubassements de l’exécution motrice, prenant notamment en compte les composantes environnementales et

119 Jousse, M., (1978) L’anthropologie du geste, p 195 120 Carric, J-C., (2014) Lexique pour le psychomotricien, p 22 121 Berthoz, A., (1997) Le sens du mouvement, p 257

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émotionnelles. Là où le geste moteur est maîtrisé, l’aspect psychomoteur, au-delà du contrôle moteur, peut être défaillant.

C’est dans cette articulation psychomotrice – entre le penser et l’agir – à travers une activité physique que nous présentons cette recherche.

Prenons un exemple pour illustrer notre propos. Un joueur se présente pour tirer un penalty, il connaît et a parfaitement intégré les différentes possibilités motrices à réaliser. Il a répété, réussi et répondu des centaines de fois à cet objectif. Mais face aux regards, aux contextes, et pour beaucoup d’autres raisons, il peut faillir. L’apprentissage, tel que le conçoit Arturo Hotz, viendra parer à ses éventuelles défaillances. Ce dernier conçoit un système d’éducation psychomotrice orientée vers l’acquisition des gestes qui conduisent à une performance réussie.

Nous considérons généralement que le processus nécessaire à la réalisation gestuelle implique trois étapes successives. Une phase d’idéation qui correspond à la représentation mentale de l’action à accomplir. Une phase d’articulation où le projet moteur préalablement élaboré est transmis aux régions qui stockent les schèmes moteurs. Et enfin, une phase d’exécution où le geste est mis en œuvre et rétro-contrôlé en permanence faisant de ce système une boucle permettant l’affinement des schèmes. Par la répétition des projets moteurs, proposée par l’apprentissage à l’entrainement pour notre exemple, la précision du geste s’affine. Un « bon » apprentissage moteur, d’après Arturo Hotz, est soumis à deux composantes. Il dépendrait à la fois de la qualité des informations extérieures, celles proposées à l’entrainement, et de la quantité d’énergie disponible chez l’individu pour y répondre. « L’apprentissage se situe dans le champ d’induction entre énergie et information »122.

Pour l’auteur, le bon entraînement repose à la fois sur les directives de l’entraineur et sur l’environnement qu’il propose, ceci est en corrélation avec la volonté de progression de la part du sportif. Cette motivation dépend de sa personnalité, de son niveau d’aspiration personnelle et de sa constitution physiologique. Voici les différentes modalités de cette proposition d’entrainement dont nous nous sommes inspirés.

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L’entraineur doit être capable de donner les directives pour la réalisation des bons gestes de la part du sportif en lui laissant la possibilité d’expérimenter ou de se tromper. Le sportif engrange un répertoire moteur conséquent.

L’entraineur propose alors des corrections et renforcements sur ce répertoire moteur. Le sportif élabore des solutions de rechange. Par l’induction de son autocritique, ce dernier peut comparer le geste final à l’intention préalable, « comparaison valeur réelle - valeur idéale »123. Le sportif doit alors choisir dans son répertoire la meilleure exécution pour un

geste réussi.

Enfin, l’entraineur observe la réalisation à cette étape et transmet ses correctifs. Le sportif, fort des expériences précédentes et de son répertoire moteur élargit, exécute le geste. Il devra toujours interpréter ses propres réalisations.

La performance sportive est au cœur des préoccupations de Arturo Hotz mais certaines de ses perspectives concernant l’entrainement peuvent être transposées dans le champ de l’éducation psychomotrice.

Les expériences vécues participent à modeler la capacité de récupérer l'information par la perception, les capacités attentionnelles, cognitives et motrices à partir d'une biologie en développement. La BSPM est un modèle théorique biologique, écologique et phénoménologique rendant compte des liens entre capacité d'apprentissage et développement psychomoteur. Elle représente la façon dont l'individu interagit avec le monde, la perception ou le « sensori », le traitement de l'information ou le « psycho » et l’action ou le « moteur », formant une « boucle » de rétroaction.

Ce modèle théorique concorde avec les trois lois qui caractérisent le développement psychomoteur, la loi de variabilité, la loi de différenciation, et la loi de succession.

La loi de variabilité est une théorie des stades de développement discontinus – a

contrario de successifs – expliquée par les travaux de Henri Wallon. Cette loi définit l'évolution

du développement dans un sens progressif, non uniforme et non continu. L’individu se développe dans un système de progressions rapides, de stagnations, de régressions et de redémarrages. Henri Wallon présente le développement de l’enfant comme étant discontinu

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et régi par des stades pendant lesquels une fonction ou un comportement est prépondérant. Les stades se suivent dans une alternance entre des phases centrifuges de construction de l'intelligence, de développement des connaissances, d’ouverture vers le monde extérieur et des phases centripètes de construction et de consolidation de la personne.

Concernant la loi de différenciation – en lien avec la théorie de l'étayage de Suzanne Robert-Ouvray – elle « permet de dresser un tableau des acquisitions normales d'un bébé et d'un enfant du point de vue psychomoteur »124. Le bébé a une motricité globale dont les

décharges sont généralisées à tout le corps. Peu à peu la motricité s'affine pour devenir de plus en plus fine et élaborée. L'enfant passe d'une motricité involontaire à une motricité volontaire.

La loi de succession définit l'ordre de maturation neurologique. Elle comprend la loi céphalo-caudale, le contrôle musculaire se développe de la tête au pied et la loi proximo- distale, le contrôle se développe de l'axe du corps vers la périphérie.

La BSPM prend en compte le développement de l’individu dès le plus jeune âge. L’approche sensori-motrice d’André Bullinger, psychologue, sert de base à l’explication des interactions précoces du bébé et fait partie des références de la BSPM. Dès la naissance, le nourrisson interagit avec le milieu humain et matériel qui l’entoure. Il en capte les signaux sensori-moteurs qui sont d’abord « objets de connaissance » puis deviendront « moyens de connaissance ». Cette interaction est qualifiée de « flux sensoriel*» par l’auteur. Les flux sensoriels sont caractérisés par une source et un capteur qui peuvent tous deux être en mouvement ou non. Ce sont les variations qui sont le mieux perçues et entraînent la régulation tonico-posturale qui permettra au nourrisson de situer le corps dans l’espace.

André Bullinger distingue le système archaïque, qui entraîne la mise en tension et l’orientation du corps, du système récent qui permet l’analyse et l’exploration. C’est l’association des variations de ces flux sensoriels avec les états toniques de l’organisme qui nourrit l’activité psychique de représentation : c’est la « boucle cognitive » selon André Bullinger. Par l’élargissement du système récent et de la boucle cognitive, le nourrisson met en place de plus en plus d’ « invariants » : un invariant étant un flux intégré ayant engendré une régulation sensori-motrice qui permettra l’intégration de nouveaux invariants. Pour

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l’auteur, « les grandes fonctions psychomotrices comme la coordination oculomotrice, la coordination des deux hémicorps, l’organisation des activités motrices en fonction du niveau d’activité développée par le bébé, les capacités attentionnelles et la stabilité émotionnelle nécessaire à la cognition sociale du nourrisson trouvent leur origine dans la représentation unifiée de l’image du corps que l’organisme va progressivement construire durant les premiers mois de vie »125.