• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Intégration de molécules photo-commutables dans des jonctions

3.1 Commutation de résistance de jonctions moléculaires

3.1.1 Interrupteurs moléculaires

3.1.1.1 Interrupteurs en électronique moléculaire

Dans le chapitre précèdent, la conduction à travers une jonction moléculaire a été introduite. Dans ce cadre, il apparaît que l'intensité du courant dans une MJ dépend du spectre des états électroniques de la molécule placée entre les électrodes et de son couplage à celles-ci. Ces paramètres peuvent être déterminés, dans une certaine mesure, lors de la formulation de la molécule et du choix des électrodes, afin d’aboutir aux propriétés électriques et aux fonctionnalités recherchées. Dans ce chapitre, il est question du composant moléculaire logique le plus simple conceptuellement : l’interrupteur moléculaire.

Un interrupteur moléculaire est une MJ intégrant une molécule conçue de telle sorte à posséder des degrés de liberté conduisant à au moins deux états de résistance distincts pour la jonction : ON et OFF (Figure 20, [A, B]). L'un des facteurs de mérite d'un interrupteur moléculaire est son ratio ON/OFF : un ratio de résistance, de courant ou de conductance pour une tension donnée. Il est également cherché à ce que les états ON et OFF soient thermodynamiquement stables et qu'un grand nombre de transitions ON →← OFF puissent être réalisées (Figure 20, [A, C]), i.e. que le système soit endurant, afin de pouvoir réaliser, par exemple, des mémoires moléculaires.

Dans un interrupteur moléculaire, les transitions ON →← OFF sont provoquées à la suite de l'application d'un stimulus à la jonction. Ce stimulus peut être interne à la jonction, e.g. la tension appliquée ou le courant la traversant, ou externe, e.g. de nature chimique, optique ou thermique. Ainsi, les interrupteurs moléculaires offrent la perspective de pouvoir transcrire directement de tels stimulus externes en signaux électriques, avec des temps de commutation de l’ordre de 100 ps [131].

D'un point de vue structurel, les molécules intégrées dans des interrupteurs moléculaires se composent d'une ou plusieurs unités commutables. Dans ce manuscrit, le terme de dérivé de l'unité commutable sera employé pour désigner une classe de molécules. Au sein d'une même classe, les molécules diffèrent par leurs groupes supplémentaires, e.g. substituants, espaceurs ou groupes d'accroche si besoin est de chimisorber le composé, ou par des hétéroatomes sur l'unité photo- commutable. Les interrupteurs moléculaires sont le sujet d'une revue complète publiée en 2010 par van der Molen et Liljeroth [131]. Ce chapitre présente quelques concepts et réalisations dans ce domaine et aborde son interaction avec la spintronique.

3.1.1.2 Mécanismes de commutation de résistance de jonctions moléculaires

Concernant la cause de la commutation de résistance, plusieurs mécanismes existent : par exemple, la modification de l'état de charge de la molécule ou de sa forme par isomérisation ou changement de conformation [131]. Il est également Figure 20: [A] : Représentation schématique d'une MJ dans l'état ON et dans l'état OFF. [B] : Caractéristiques I-Vs pour l'état ON (ION=1,4 nA @ +2,0 V) et l'état OFF

(IOFF=0,4 nA @ +2,0 V) d'une jonction calculées à partir de l'équation 2.7 en faisant

varier εMO(V=0) (εF-εMO(V=0) ON=1,2 eV, εF-εMO(V=0) OFF = 1,6 eV, Γ1 ON = Γ2 ON = Γ1 OFF =

possible de réaliser une commutation de résistance selon d’autres procédés, par exemple, en modifiant la géométrie de la jonction, e.g. mécaniquement [132] ou en altérant la stœchiométrie de la molécule, e.g. par protonation et déprotonation [133]. Néanmoins, la description des mécanismes de commutation de MJs se limitent ici aux deux premiers cas.

Le premier mécanisme de commutation de résistance est basé sur le contrôle de l'état de charge de la molécule dans la jonction par oxydoréduction, i.e. le gain ou la perte d'électrons dans le composé. Concernant le transport dans une molécule chargée, il a été proposé que la commutation de résistance provienne de la translation d'un état d'oxydation ou de réduction vers le niveau de Fermi de la jonction [134].

L'état de charge de la molécule peut être modifié de plusieurs manières [131,135]: par piégeage de charges, Seo et al. ont observé une hystérésis des caractéristiques I-Vs de jonctions incluant des dérivés de ruthénium(II) terpyridine (Figure 21, [A]) adressés par STM sur Au (111) où la commutation est associée à la réduction du ligand (Figure 21, [D]) [136]. L'oxydoréduction de la molécule peut également être provoquée par des agents oxydants ou réducteurs. Par exemple, Liao et al. [137] rapportent une commutation de conductance de plus d'un ordre de grandeur au cours de cycles d'exposition à FeCl3 et Fe(C5H5)2 pour un dérivé de

tétrathiafulvalène intégré en SAM mixte avec C8S dans un réseau de nanoparticules

d'or (Au NPs) (Figure 21, [B]) (Figure 21, [E]). Également pour un dérivé de tétrathiafulvalène (Figure 21, [C]), O'Driscoll et al. [138] ont montré une commutation de conductance d'un ratio ca. 24 par stimulus électrochimique en STM-BJ dans un électrolyte (Figure 21, [F-G]).

Concernant la commutation de résistance par isomérisation ou changement de conformation, pour certaines classes de molécules, plusieurs isomères ou conformères existent et dont les spectres respectifs des orbitales moléculaires sont radicalement différents. Ainsi, placées dans une MJ, les deux formes de la molécule peuvent conduire à deux états de conductance distincts. En outre, le changement de forme peut conduire à un réarrangement spatial notable de la molécule dans la jonction. Ainsi, une forme de la molécule peut être fortement couplée avec les électrodes tandis que l'autre sera plus faiblement couplée. Un tel mécanisme peut entrer en jeu si le contact aux électrodes est différent pour les deux formes. De surcroît, en considérant la molécule comme une simple barrière de potentiel, si le Figure 21: Représentations schématiques [A] : d’un dérivé ruthénium(II) terpyridine étudié dans la référence [136], [B, C] des dérivés de tétrathiafulvalène étudiés dans les références [137] et [138] respectivement. [D] : Caractéristique I-V de la molécule représentée dans [A] adressée par STM, suivant 0 V → 2 V → -2 V → 0 V dans l’ordre des numéros et des flèches, montrant une hystérésis associée l’état de charge de la molécule. Adapté de [136]. [E] : Ratio de conductance normalisé d’un réseau de Au NPs couvertes de C8S et de la molécule représentée dans [B] au cours

de quatre cycles d’oxydoréduction. Le ratio de commutation maximal est de ca. 20. Adapté de [137]. [F, G] : Histogrammes du logarithme de la conductance normalisée de jonctions réalisées par STM-BJ intégrant la molécule représentée dans [C]. [F] : Avant réduction, [G] : Après réduction. Le ratio de commutation est de ca. 24 à partir de la position du pic repéré par un carré rouge. Adapté de [138].

changement de forme conduit à une diminution de la largeur effective de la barrière, la conductance de la MJ s'en trouvera alors accrue. La commutation de résistance peut donc résulter d'une modification des niveaux d'énergie de la molécule et - ou - de la géométrie de la jonction moléculaire. Pour augmenter le ratio de commutation, il est cherché à ce que les effets de ces changements sur la conductance de la MJ ne soient pas antagonistes. En pratique, le cas est parfois rencontré [139] et il convient alors de déterminer la contribution dominant la commutation de résistance.

Néanmoins, le but de l'électronique moléculaire étant de réaliser des composants incluant des MJs permanentes, des interrupteurs basés sur des changement importants de géométrie peuvent ne pas avoir le volume libre nécessaire lorsque la molécule est contrainte entre deux électrodes immobiles. Ce même critère s'applique aux assemblages supra-moléculaires où l'encombrement stérique peut empêcher la réorganisation de la molécule. De plus, les électrodes peuvent également empêcher les mouvements intramoléculaires de la molécule, malgré un volume libre suffisant, par transfert de charge conduisant à la relaxation d’états moléculaires excités lors du processus vers l’état initial. Le mécanisme est alors inhibé et la molécule retourne vers un état stable sans changer de forme [131,140]. Pour circonvenir aux interactions électroniques entre la molécule et les électrodes empêchant la commutation, des espaceurs appropriés doivent parfois découpler l'unité commutable de l'électrode [141].

Malgré ces limitations, de nombreux composés ont montré des propriétés de commutation de résistance en réponse à un stimuli en adaptant leur forme. Par exemple, Qiu et al. [142] ont montré la transition ON →← OFF associée à deux conformations d’un dérivé de Zinc Porphyrine sur NiAl sous une pointe STM. Les auteurs interprètent une transition entre les deux conformères comme un effet du courant tunnel inélastique tandis que l'autre transition résulte de la tension appliquée par la pointe.

Néanmoins, parmi tous les stimulus explorés, le contrôle de la conductance d’une jonction moléculaire par voie optique a sans doute fait l’objet du plus grand nombre d’études. En effet, irradier un dispositif demeure une méthode facilement contrôlable, relativement non-invasive et transposable à des structures verticales incluant des MJs dont au moins une électrode est transparente.