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Étiologie de la flexibilité cognitive. Les résultats du modèle génétique univarié retenu

pour la flexibilité cognitive indiquent que l’héritabilité de la flexibilité cognitive est nulle et que les différences individuelles au niveau de la flexibilité cognitive s’expliquent par des facteurs issus de l’environnement (incluant l’erreur de mesure). Les résultats montrent plus spécifiquement une prédominance de l’environnement unique (82%), incluant l’erreur de mesure, comme source de variance avec une légère contribution de l’environnement partagé (18%). Cette étude est la première à examiner l’étiologie de la flexibilité cognitive durant l’âge préscolaire. Les résultats obtenus sont cohérents avec ceux de la seule autre étude ayant examiné l’étiologie de la flexibilité cognitive durant l’enfance, mais auprès d’enfants plus âgés, soit âgés entre 7 et 15 ans (Engelhardt et al., 2015). Bien que l’héritabilité de la flexibilité cognitive semble varier en fonction de la tâche utilisée pour la mesurer (Engelhardt et al., 2015), la contribution des facteurs génétiques demeure plutôt faible par rapport à la contribution de l’environnement. Ainsi, les mécanismes qui sous-tendent les différences individuelles dans la flexibilité cognitive seraient essentiellement environnementaux, mais les études faites à ce jour sont insuffisantes pour en arriver à une conclusion. Ce constat est cohérent avec ceux d’études réalisées durant l’adolescence et à l’âge adulte (Taylor, 2007; Chou, Kuo, Lin, & Chen, 2010). En effet, les études de jumeaux qui ont utilisé la version adulte du DCCS (le Wisconsin Card Sorting Test; WCST) suggèrent que la performance à

cette tâche ne serait pas sujette à des influences d’ordre génétique (Taylor, 2007; Chou et al., 2010). Les corrélations MZ pour la majorité des scores obtenus au WCST sont près de zéro au sein d’une population adulte (Taylor, 2007). Quant à la performance au WCST au sein d’une population adolescente, la variance attribuable aux gènes est presque inexistante tandis que celle attribuable aux facteurs issus de l’environnement unique est prédominante (A = .07, C = .29, E = .65; Chou et al., 2010). Les différences individuelles dans la flexibilité cognitive ne semblent donc pas s’expliquer par de la variance génétique, peu importe le stade de développement.

Même si les résultats des différentes études convergent, l’absence de variance génétique peut soulever des questions, notamment à la lumière des études qui démontrent que certaines FE, telles que la mémoire de travail, sont modérément ou hautement héritables (Li & Roberts, 2017). Les études qui se sont intéressées au point d’émergence des différentes FE suggèrent que la flexibilité cognitive émergerait plus tard dans le développement comparativement à la mémoire de travail (Cepeda, Kramer, & Gonzalez de Sather, 2001; Davidson, Amso, Anderson, & Diamond, 2006; Garon et al., 2008). La mémoire de travail se développerait durant les premiers mois de vie (Diamond, 1985), tandis que la flexibilité cognitive émergerait seulement vers l’âge de 3 ans (Marcovitch & Zelazo, 2009). Ce délai nécessaire avant que la flexibilité ne se développe pourrait être le signe que cette habileté se développe avec la pratique et donc par le biais de mécanismes environnementaux. Certaines études expérimentales démontrent d’ailleurs que l’on peut entraîner la flexibilité cognitive en pratiquant des activités qui la sollicitent (Howard, Powell, Vasseleu, Johnstone, & Melhuish, 2017). Il est toutefois aussi possible que ce délai (le développement plus tardif de la flexibilité) s’explique par des facteurs génétiques qui interviennent plus tard dans le développement. C’est pourquoi davantage d’études incluant des mesures répétées à plus long terme de la flexibilité cognitive sont nécessaires pour clarifier les mécanismes qui sous- tendent le développement de cette habileté.

La capacité à prendre en compte différentes perspectives simultanément, à s’adapter au changement et naviguer de façon flexible entre différentes tâches et demandes environnementales, pourrait être moins sensible aux influences génétiques et se développer

davantage au contact de l’environnement, notamment par le biais de la pratique. Plus l’enfant serait exposé à des situations nouvelles ou à des changements qui exigent de sa part d’ajuster son comportement, plus il serait amené à développer cette capacité d’ajustement. À ce sujet, plusieurs études ont démontré que les enfants bilingues possèdent un avantage sur le plan de la flexibilité cognitive (Bialystok, 1999; Bialystok & Martin, 2004; Carlson & Meltzoff, 2008). Cet avantage serait présent dès l’apparition de la flexibilité, soit entre l’âge de 3 et 6 ans (Bialystok, 1999). Lorsqu’une personne bilingue parle, ses deux systèmes langagiers s’activent en parallèle (Costa, Caramazza, & Sebastián-Gallés, 2000; Green, 1986; Hermans, Bongaerts, De Bot, & Schreuder, 1998; Poulisse & Bongaerts, 1994; Poulisse, 1997). Le fait de devoir manœuvrer à travers différents systèmes langagiers, d’inhiber celui qui n’est pas nécessaire dans un contexte particulier pour sélectionner et activer celui qui est requis, pourrait procurer à l’enfant des opportunités de pratiquer la flexibilité cognitive. On peut donc penser que la capacité à naviguer de façon flexible entre différentes tâches et demandes environnementales est une habileté qui s’acquiert et se développe avec de la pratique, par le biais de mécanismes environnementaux.

Les résultats de la présente étude suggèrent que des facteurs issus de l’environnement unique expliqueraient la majorité des différences individuelles observées dans la flexibilité cognitive durant l’âge préscolaire. Ce mémoire a toutefois utilisé une seule tâche pour mesurer la flexibilité cognitive soit, le DCCS. Chaque tâche comporte de l’erreur de mesure et celle-ci peut gonfler les estimés de la variance expliquée par les facteurs issus de l’environnement unique dans les modèles génétiques (Plomin et al., 2008). Dans la littérature, une panoplie de tâches sont utilisées pour mesurer la flexibilité cognitive, ce qui rend difficile la compilation des connaissances sur l’étiologie de cette habileté. Une seule étude s’est penchée sur l’étiologie de la flexibilité durant l’enfance en utilisant plusieurs tâches (Engelhardt et al., 2015). Cette étude démontre que l’héritabilité de la flexibilité varie d’une tâche à l’autre : les estimations étant beaucoup plus élevées lorsque plusieurs tâches sont combinées pour créer un facteur latent. En contrepartie, la variance expliquée par les facteurs issus de l’environnement unique diminue lorsque plusieurs tâches sont combinées. Il n’en demeure pas moins que, pour la majorité des tâches prises individuellement, les influences environnementales impliquées dans le développement de la flexibilité cognitive sont plus

fortes que les influences génétiques (Engelhardt et al., 2015). Cela supporte donc le rôle prédominant des facteurs environnementaux dans le développement de la flexibilité cognitive et appuie les résultats de la présente étude.

Les résultats de ce mémoire suggèrent que les facteurs issus de l’environnement unique joueraient un rôle plus important que les facteurs issus de l’environnement partagé dans l’explication des différences individuelles dans la flexibilité cognitive. En effet, les résultats suggèrent que la majorité de la variance observée au niveau de la flexibilité cognitive proviendrait d’influences environnementales qui sont propres à chaque enfant d’une même fratrie. Parmi ces influences, certaines études soulignent le rôle des relations avec les pairs et du stress vécu (Diamond, 2016; Holmes, Kim-Spoon, & Deater-Deckard, 2016). Ce mémoire souligne quant à lui le rôle possible des pratiques parentales contrôlantes. En effet, les résultats démontrent que les pratiques différentielles de la mère envers chacun des jumeaux sur le plan du contrôle sont significativement associées aux différences phénotypiques entre jumeaux sur le plan de la flexibilité cognitive.

Relation entre le contrôle maternel et la flexibilité cognitive. Les résultats de cette

étude démontrent que le degré de contrôle que la mère rapporte manifester en présence de l’enfant est associé négativement à la flexibilité cognitive de l’enfant. Les enfants étant exposés à plus de contrôle de la part de la mère seraient moins compétents pour résoudre des problèmes impliquant la flexibilité cognitive comparativement aux enfants exposés à moins de contrôle. Les résultats de la présente étude sont cohérents avec les résultats obtenus par les études antérieures (Bindman et al., 2013; Hughes & Devine, 2019; Roskam et al.,2013) qui rapportent une association négative entre le contrôle parental et le développement des FE chez l’enfant et viennent s’ajouter aux études récentes qui soulignent le rôle des pratiques parentales dans le développement des FE en bas âge (pour une méta-analyse, voir Valcan et al., 2017). Dans la littérature, le contrôle parental est démontré comme étant négativement associé au développement de l’enfant (Hertyas et al., 2018; Hughes & Devine, 2019; Meuwissen & Carlson, 2015; Roskam et al, 2014). Certaines études démontrent aussi qu’il est négativement associé au développement des FE, telles que l’inhibition (Roskam et al.,

2014), mais il n’avait jamais été examiné en relation avec la flexibilité cognitive plus spécifiquement.

La méthode de discordance entre jumeaux MZ a permis de démontrer que l’association entre le contrôle maternel et la flexibilité cognitive persiste en contrôlant pour les facteurs génétiques. Ainsi, le contrôle maternel contribuerait de façon unique à la prédiction des différences individuelles dans la flexibilité, au-delà du bagage génétique transmis à l’enfant par le parent. Cela vient appuyer les résultats des analyses génétiques bivariées discutés ci-dessous. Les résultats de la présente étude viennent s’ajouter à ceux d’autres études qui ont démontré la contribution environnementale unique de différents comportements parentaux dans le développement de l’enfant à l’aide de la méthode de discordance entre jumeaux MZ (Asbury et al., 2003; Caspi et al., 2004; Cecil, Barker, Jaffee, & Viding, 2012; Guimond et al., 2012). Cette étude est toutefois la première à utiliser cette méthode pour examiner la relation entre certaines pratiques parentales et certaines composantes du fonctionnement exécutif de l’enfant. Bien que la méthode MZ permet de renforcer la validité interne et la robustesse de la relation entre les comportements parentaux et les FE (Vitaro, Brendgen, & Arseneault, 2009), elle ne permet pas de statuer sur la direction de la relation observée. Les discordances entre jumeaux sur le plan des FE peuvent résulter de pratiques parentales différentielles, mais peuvent aussi en être la cause. Les comportements de contrôle du parent pourraient priver l’enfant d’occasions d’apprendre à réguler par lui-même ses comportements et résoudre par lui-même les problèmes qu’il rencontre. Ainsi, l’enfant perdrait d’importantes opportunités d’exercer ses FE et plus spécifiquement sa flexibilité cognitive, ce qui nuirait au développement de celle-ci. Par contre, un parent pourrait aussi devenir plus contrôlant envers un enfant qui a plus de difficulté à réguler ses comportements. Le fait que le contrôle maternel ait été mesuré en même temps que les FE constitue d’ailleurs une limite importante de cette étude. L’utilisation d’une mesure plus précoce du contrôle maternel et d’un devis longitudinal croisé avec mesures répétées du contrôle parental et des FE à travers le temps aurait permis d’établir plus clairement la direction des relations observées entre les FE et le contrôle maternel. En effet, il est possible qu’un enfant présentant des déficits sur le plan des FE suscite plus de comportements contrôlants de la part de son parent. Cette étude ne permet donc pas de

déterminer si le contrôle entraîne des déficits sur le plan des FE ou si ce sont les FE de l’enfant qui entraînent plus de contrôle parental. En outre, la possibilité que la relation soit bidirectionnelle ne peut être écartée (Larsson, Viding, Rijsdijk, & Plomin, 2008; Sameroff, 2009), soulignant également la pertinence d’utiliser un devis croisé. Ce devis permettrait de déterminer plus clairement quelle variable (contrôle ou flexibilité cognitive) survient en premier et de tester des hypothèses causales inverses/rivales. Il est aussi important de préciser que la portion de variance dans la flexibilité cognitive qui est expliquée par le contrôle maternel est petite. Ainsi, il est pertinent de poursuivre les efforts afin d’identifier les autres facteurs issus de l’environnement unique qui jouent un rôle dans le développement de la flexibilité cognitive.

Étiologie de la relation entre le contrôle maternel et la flexibilité cognitive. Un

modèle génétique bivarié a permis de décomposer les contributions génétiques et environnementales qui sous-tendent la relation entre le contrôle maternel et la flexibilité cognitive. Les résultats obtenus sont cohérents avec ceux des analyses de discordances entre jumeaux MZ et suggèrent que la relation entre le contrôle maternel et la flexibilité cognitive est essentiellement expliquée par des facteurs issus de l’environnement unique et non pas par des facteurs génétiques. Bien que faible, cette corrélation Re est de force identique à celle de la corrélation phénotypique entre le contrôle et la flexibilité dans l’échantillon global (-.13). Les différences individuelles dans la flexibilité cognitive s’expliqueraient donc essentiellement par des facteurs issus de l’environnement et il en serait de même pour la relation entre celle-ci et le contrôle maternel. Cette étude est la première à examiner l’étiologie de la relation entre le contrôle maternel et la flexibilité cognitive et à départager les influences génétiques et environnementales sous-jacentes à cette relation. Bien qu’elle souligne que les mécanismes qui sous-tendent la relation entre le contrôle maternel et les FE sont essentiellement environnementaux, cette étude ne permet pas de statuer sur la direction de la relation observée. Elle indique toutefois que cette relation persiste en contrôlant pour les facteurs génétiques transmis par le parent à l’enfant et qu’elle est de nature environnementale. Seul un devis expérimental permettant de démontrer qu’un changement dans le contrôle parental suivant une intervention environnementale entraîne un changement

dans les FE permettrait de confirmer le rôle causal du contrôle parental dans le développement des FE.

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