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Chapitre 4 – Discussion

4.2 Interprétation et comparaison avec la littérature

4.2.1 Profil des installations

Les trois grandes caractéristiques du Profil des installations identifiées grâce à la surveillance provinciale (mission, nombre de lits et pourcentage de gens âgés de plus de 65 ans) ne sont pas ressorties dans notre modèle multivarié prédictif final pour tous les hôpitaux (Figure 5) (7, 128, 129). En tenant compte de plus de facteurs (mesures de prévention de la transmission et mesures diminuant la vulnérabilité aux infections), ces variables ne sont plus significatives puisqu’il pourrait potentiellement s’agir de proxys pour d’autres variables incluses dans la présente étude.

Étant donné que le taux d’incidence d’infection à C. difficile est plus faible dans les hôpitaux des régions éloignées, nous avons tenté d’identifier ce qui distinguait les hôpitaux des régions éloignées et ceux des grands centres (Figure 5). Une différence importante est la proportion plus faible de cas d’infection à C. difficile causés par la souche NAP1 dans les régions éloignées comparativement aux grands centres. En effet, dans les régions éloignées, la proportion de cas causés par la souche NAP1 est de 23% comparativement à 46- 65% dans les régions des grands centres (8). La souche NAP1 est plus virulente et sa transmission se fait plus facilement (12, 20, 21, 51). Cela pourrait donc expliquer les taux d’incidence d’infection à C. difficile plus faibles dans les hôpitaux des régions éloignées comparativement aux hôpitaux des grands centres.

4.2.2 Mesures de prévention de la transmission

Puisque la variable «pourcentage de patients symptomatiques d’infection à C. difficile en chambre privée» est ressortie significative pour les trois modèles prédictifs, il s’agirait d’un facteur ayant une association importante avec le taux d’incidence d’infection à C. difficile. De plus, cette association va dans le sens attendu. En effet, le fait de pouvoir isoler tous les patients symptomatiques en chambre privée est associé à un taux d’incidence plus faible que lorsqu’il n’est pas possible de le faire (Tableaux 6-8, Figure 5). Premièrement, en tenant compte de l’histoire naturelle de la maladie, nous pouvons poser l’hypothèse que le fait de pouvoir isoler physiquement les patients infectés empêche la transmission de l’infection, que ce soit par simple contact ou par contamination de l’environnement (Figure 2) (22, 26). En effet, pour les patients symptomatiques d’infection à C. difficile, il est possible de retrouver dans leur chambre la bactérie sous forme d’aérosols créés lorsqu’il y a de l’activité autour du patient, comme par exemple lors du changement de la literie (32, 33). Cela permet donc de transmettre le pathogène aux autres patients présents dans la même chambre. De plus, les patients atteints d’infection à C. difficile peuvent contaminer leur environnement en touchant ce qui les entoure dans leur chambre (17, 25, 26). En plaçant les patients symptomatiques d’infection à C. difficile en chambre privée, il serait donc possible d’éviter ce type de contamination. Deuxièmement, les études évaluant le fait de placer les patients atteints d’infection à C. difficile en chambre privée montrent une réduction significative de l’incidence lorsque cette mesure est appliquée (152, 153). Cependant, ce type de mesure est souvent évalué lors de l’application simultanée de plusieurs mesures de prévention, mais des analyses sur les risques au niveau des patients abondent dans le même sens. Troisièmement, certains facteurs de risque pour l’infection à C. difficile pour le patient sont d’être hospitalisé dans une chambre à trois lits et plus et d’être hospitalisé dans une chambre sans toilette individuelle, augmentant ainsi le risque d’être en contact avec un patient infecté (Tableau 1) (123). Quatrièmement, les recommandations quant aux précautions à appliquer en présence de patients infectés par le C. difficile, tenant compte des connaissances sur le sujet, sont de placer

ces-derniers en chambre privée si cela est possible ou sinon de les placer en cohortes de patients infectés (147).

Le sens de l’association pour la variable «fréquence de désinfection des salles de toilette des chambres des usagers non-infectés», présente dans les modèles prédictifs pour tous les hôpitaux et les hôpitaux non- universitaires, est contre-intuitif; il va dans le sens inverse de ce à quoi nous nous attendions. En effet, la désinfection une fois par jour comparativement à deux fois par jour est associée à un taux d’incidence plus faible d’infection à C. difficile (Tableaux 6 et 8, Figure 5A et C). Différentes hypothèses peuvent être avancées afin de comprendre le sens inattendu de cette association. Premièrement, il est possible que lors de la désinfection des salles de toilette des chambres des usagers non-infectés, le produit utilisé ne soit pas sporicide et ne permette donc pas d’éliminer le C. difficile des surfaces nettoyées. Ainsi, au lieu d’éliminer le C. difficile, les bactéries seraient plutôt étendues sur la surface nettoyée. Deuxièmement, différentes consignes doivent être suivies afin de bien désinfecter l’environnement par exemple; terminer la procédure de nettoyage de la chambre par la salle de toilette, ne pas retremper le linge utilisé pour nettoyer dans la solution désinfectante, respecter le temps de contact nécessaire pour le désinfectant utilisé, désinfecter en commençant par les surfaces les moins souillées vers les plus souillées, utiliser du matériel réservé pour l’entretien de la salle de toilette (154, 155). Si ces consignes ne sont pas suivies à la lettre, il se pourrait qu’une désinfection plus fréquente ait l’effet contraire de ce qui est désiré, en dispersant les spores au lieu de les éliminer. Troisièmement, il se pourrait aussi que le sens de cette association soit dû à une relation causale inverse. En effet, il n’est pas possible de savoir si c’est le fait de désinfecter deux fois par jour contrairement à une fois par jour qui pourrait entraîner une augmentation de l’incidence de l’infection ou si la désinfection plus fréquente est appliquée dans les hôpitaux où l’incidence est plus élevée. Ce résultat mériterait une étude plus approfondie afin de mieux comprendre l’impact de la fréquence de désinfection des salles de toilette sur les taux d’incidence d’infection à C. difficile.

L’étude de l’histoire naturelle de l’infection a montré que les patients ingèrent le C. difficile à la suite de la contamination de l’environnement, incluant les mains du personnel soignant (Figure 1) (2, 14, 22). Ainsi, il n’est pas surprenant que la variable «réalisation d’audits sur l’hygiène des mains auprès du personnel» soit ressortie dans un des modèles prédictifs (hôpitaux universitaires). De plus, le sens de l’association est celui auquel nous nous attendions, soit que la réalisation d’audits sur l’hygiène des mains est associée à un taux d’incidence plus faible de l’infection (Figure 5B). En plus de savoir si le lavage des mains est effectué, il est important de déterminer s’il est fait de façon adéquate. Différents éléments soutiennent le sens de l’association obtenue. À ma connaissance, il n’existe pas d’article étudiant uniquement la relation entre la réalisation d’audits sur l’hygiène des mains et le taux d’incidence d’infection à C. difficile. Cependant, différentes études ont évalué l’association entre le respect de l’hygiène des mains et/ou les mesures en faisant

la promotion et, de façon majoritaire, en combinaison avec d’autres mesures de prévention et le taux d’incidence de l’infection. Les programmes favorisant le lavage des mains ont été associés à une réduction de l’incidence de l’infection, mais il est difficile de connaître l’impact réel d’une telle mesure lorsqu’elle n’est pas implantée seule (156, 157). De plus, selon les lignes directrices en prévention et contrôle des infections à C. difficile émises par l’INSPQ, il est conseillé de répertorier la mise en application des différentes mesures de prévention afin d’assurer le respect des différentes pratiques et de prévenir la transmission du C. difficile (147).

4.2.3 Mesures diminuant la vulnérabilité aux infections

Une mesure qui s’est montrée efficace pour diminuer les taux d’incidence d’infection à C. difficile est la rationalisation de l’usage des antibiotiques (Tableau 2) (135). Une variable du modèle prédictif pour tous les hôpitaux va en ce sens. En effet, la présence d’un plan d’action en cas d’éclosion d’infection à C. difficile comprenant la surveillance des antibiotiques est associée à un taux d’incidence plus faible que la présence d’un plan d’action ne comprenant pas la surveillance ou l’absence de plan d’action (Tableau 6, Figure 5A). La connaissance de l’histoire naturelle de l’infection à C. difficile permet de comprendre comment la rationalisation de l’utilisation des antibiotiques peut faire diminuer les taux d’incidence de l’infection. En effet, les personnes colonisées par le C. difficile ne développeront pas nécessairement l’infection, puisqu’une flore intestinale saine permet de contrer la prolifération de la bactérie et donc l’infection (53). Cependant, la prise d’antibiotiques cause un débalancement de la flore intestinale, entraînant alors la prolifération du C. difficile qui mènera à l’infection (41, 54). Ainsi, la diminution de la consommation d’antibiotiques aurait pour effet de diminuer le nombre de patient contractant l’infection. De plus, selon les lignes directrices en prévention et contrôle des infections à C. difficile émises par l’INSPQ, en cas d’éclosion d’infection à C. difficile, il est conseillé de réviser les protocoles d’antibiothérapie en plus de renforcer la surveillance de la consommation d’antibiotiques (147). La variable «surveillance de l’utilisation des antibiotiques faisant partie du plan d’action en cas d’éclosion d’infection à C. difficile» n’est ressortie significative que dans le modèle prédictif pour tous les hôpitaux. Cependant, le sens de la mesure d’association était le même, bien que non-significatif pour les hôpitaux universitaires et non-universitaires. Il se peut que cette variable ne soit pas ressortie dans les modèles prédictifs pour chaque type de mission puisque la puissance de ces modèles est plus faible lorsque les hôpitaux sont divisés selon la mission.

4.2.4 Différence entre les hôpitaux à mission universitaire et non-universitaire

La surveillance provinciale des infections à C. difficile a montré que le taux d’incidence de l’infection est plus élevé dans les hôpitaux à mission universitaire que dans les hôpitaux à mission non-universitaire, pour l’année de référence de l’étude jusqu’à 2014-2015, ce n’est cependant pas le cas pour le plus récent rapport de 2015- 2016 (5, 7, 11, 128, 129). À l’aide des Tableaux 3 à 5, il est possible de comparer l’application des différents facteurs protecteurs, mis en lumière dans le modèle multivarié prédictif pour tous les hôpitaux, selon la mission de l’hôpital. Ainsi, les hôpitaux non-universitaires présentent en proportion plus élevée trois des quatre facteurs protecteurs. Il s’agit des «regroupements régionaux», du «pourcentage de patients symptomatiques en chambre privée» et de la «surveillance de l’utilisation des antibiotiques fait partie du plan d’action en cas d’éclosion d’infection à C. difficile». En effet, 36% des hôpitaux non-universitaires sont situés en régions éloignées comparativement à 4% des hôpitaux universitaires (valeur-p = 0,0001) (Tableau 3). Comme mentionné précédemment, ce serait la proportion de cas causés par la souche NAP1 qui varierait selon la localisation géographique (8). Aussi, 58% des hôpitaux non-universitaires peuvent placer tous les patients symptomatiques d’infection à C. difficile en chambre privée comparativement à 29% des hôpitaux universitaires (valeur-p = 0,04) (Tableau 4). De plus, 34% des hôpitaux non-universitaires ont un plan d’action en cas d’éclosion d’infection à C. difficile comprenant la surveillance de l’utilisation des antibiotiques comparativement à 21% des hôpitaux universitaires (valeur-p = 0,29) (Tableau 5). Il s’agit d’une piste pouvant expliquer les inégalités entre les taux d’incidence des hôpitaux à mission universitaire et non-universitaire.

Nous avons identifié une variable confondant l’association entre la mission et le taux d’incidence d’infection à C. difficile, soit le «pourcentage de patients symptomatiques d’infection à C. difficile en chambre privée» (Tableau 9). Ce résultat fait du sens puisqu’il est réaliste de penser que le pourcentage de patients symptomatiques qu’il est possible d’héberger en chambre privée peut être une différence importante entre les hôpitaux à mission universitaire et non-universitaire. Cependant, à ma connaissance, aucune autre étude n’a entrepris d’expliquer l’association entre le type de mission de l’hôpital et le taux d’incidence d’infection à C. difficile.

4.2.5 Robustesse des résultats

Des analyses de sensibilité ont été effectuées, pour les années 2008 à 2012, au lieu de la période de référence du questionnaire de 2009-2010 afin de pallier aux fluctuations des taux d’incidence d’une année à l’autre et de vérifier si les résultats obtenus sont robustes à travers différentes années. Pour chacun des trois modèles des analyses de sensibilité, une variable devenait non-significative avec une valeur-p de 0,06 ou 0,08

(Annexes V-VII). Ces variables sont toutefois près du seuil de signification fixé. Ainsi, les résultats obtenus sont robustes. Cependant, il faut se rappeler qu’il nous est impossible, à partir des réponses au questionnaire utilisé dans la présente étude, de savoir si les mesures appliquées différaient pour les années autres que celle de référence du questionnaire.

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