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Cet intermède est consacré au mathématicien Paul Erdös. Nous présentons plusieurs as-pects de sa vie pour illustrer sa conception et sa pratique singulière des mathématiques. Nous détaillons ses principales contributions, sa manière de travailler au sein de la communauté mathématique et sa vision de l’activité mathématique. Nous présentons également quelques exemples de problèmes qu’il aimait chercher.

Paul Erdös est né en 1913 à Budapest et mort en 1996 à Varsovie. Ses parents étaient tous les deux professeurs de mathématiques en lycée. Il a été très vite intéressé par les mathématiques. Jean-Louis Nicolas, dans un discours prononcé à l’occasion de la remise du doctorat honoris causa de l’université de Limoges à Monsieur le professeur Paul Erdös, raconte ainsi que « à quatre ans, vous [Erdös] teniez le raisonnement suivant : si on enlève 250 de 100, on obtient 150 en dessous de zéro, c’est-à-dire que vous redécouvriez les nombres négatifs » (Nicolas, 1986). Erdös a publié son premier article en 1932, obtenu un premier Ph.D à Budapest en 1934 puis un second en 1939 à Manchester. Il a ensuite été lauréat du prix Wolf en 1983. Tout au long de sa carrière, il a écrit plus de 1500 articles, soit seul, soit avec plus de 450 co-auteurs différents. De ce souci du travail de collaboration est apparue la définition du nombre d’Erdös : deux personnes sont liées si elles ont écrit un article en commun. Le nombre d’Erdös d’un auteur est la longueur minimale d’une chaine reliant cet auteur à Paul Erdös. Ainsi une personne a un nombre d’Erdös égal à 1 si elle a publié un article en commun avec Erdös, une personne a un nombre d’Erdös égal à 2 si elle a publié un article en commun avec une personne ayant un nombre d’Erdös égale à 1, etc.(pour plus de détail, consulter le site internet http ://www.oakland.edu/enp/index.html). Selon Hoffman, auteur de sa biographie, Erdös était un « moine des mathématiques », il a mené sa vie autour des mathématiques : « une vie d’ascète, contemplative, une vie vouée à une mission unique et limitée : découvrir la vérité mathématique »(Hoffman, 2000, p. 28). Cependant, il était curieux de tout et s’intéressait aussi à la politique et à l’histoire.

Dans son premier article en 1932 (Erdös, 1932), il a redémontré un théorème établi un siècle plus tôt : entre un nombre et son double il y a toujours un nombre premier. Sa dé-monstration est plus simple et plus élégante que celle de Tchebychev. En 1949, Atle Selberg et Erdös donnent une démonstration « élémentaire » du théorème des nombres premiers : le nombre Π(x) de nombres premiers inférieurs à x est équivalent à x

l’infini (i.e. lim

x→+∞ Π(x)

x

ln(x) = 1) (Erdös, 1949 ; Selberg, 1949). Ce théorème a été conjecturé par Gauss. La démonstration est « élémentaire » au sens où elle n’utilise pas de fonctions de variables complexes ni le calcul intégral, contrairement à la démonstration de Hadamard et La Vallée-Poussin. Un autre résultat important d’Erdös est le théorème d’Erdös-Kac, qu’il a établi avec le probabiliste Marc Kac en 1949 (Erdös, 1949). Ce résultat sera le point de départ de la théorie probabiliste des nombres. Erdös a beaucoup travaillé en analyse com-binatoire et a grandement contribué au développement de ce domaine des mathématiques, notamment avec la théorie de Ramsey. Ses articles traitent également d’autres domaines des mathématiques tels que la théorie des ensembles, la théorie des graphes, l’analyse et l’étude des polynômes, la géométrie combinatoire, les statistiques dans les groupes finis.

Jean-Louis Nicolas qualifie les méthodes de travail d’Erdös « d’insolites » : « Vos méthodes de travail sont assez insolites [...] un cahier de papier blanc pour pouvoir travailler à tout moment, et une mémoire extraordinaire. [...] Vous avez une agilité d’esprit exceptionnelle [...] Vous êtes ainsi un voyageur de commerce en mathématiques à l’échelle mondiale. [...] Je vous accompagnai à l’Ambassade du Canada à Paris. Dans la salle d’attente vous avez résolu une question sur laquelle je séchais depuis longtemps, puis au fonctionnaire étonné de vous voir retourner si vite au Canada, vous avez déclaré : si j’étais un violoncelliste, cela ne vous étonnerait pas. Un mathématicien est comme un musicien » (Nicolas, 1986). La façon de vivre d’Erdös était ainsi originale, il parcourait le monde de congrès en congrès sans rester plus de 8 jours au même endroit. Il écrivait (près de 1500 lettres par an) et téléphonait beaucoup à des collègues du monde entier. Dans ses articles, ses lettres ou ses conférences, il posait de nombreux problèmes, souvent d’énoncés simples et compréhensibles mais dont la solution pouvait être très compliquée. Il a écrit plusieurs listes de ces problèmes (par exemple (Erdös, 1963), voir ci-dessous) et offrait des prix allant de 25 à 10 000 dollars pour la solution de problèmes, le montant du prix était fonction de la difficulté présumée du problème. Erdös avait le génie de deviner celui ou celle parmi ses collaborateurs qui serait le plus apte à s’attaquer à un problème donné. Il aimait les démonstrations courtes et élégantes. Ainsi, selon Hoffmann, « Erdös, plus que quiconque, faisait des mathématiques une activité de groupe » (Hoffman, 2000, p. 19). Il donne à ce propos l’avis d’Erdös sur le travail en solitaire de Wiles. Selon lui, le théorème aurait pu être démontré plus tôt si Wiles avait tenu la communauté mathématique au courant de ses travaux. Hoffmann cite un autre mathématicien, Ken Ribet, qui décrit l’importance de la communauté mathématique dans l’activité des chercheurs : « les mathématiciens communiquent en permanence. En discutant avec d’autres personnes, on vous fait des compliments ; on vous dit que ce que vous avez fait est important, on vous donne des idées. C’est une sorte de nourriture, et si vous vous coupez de cela, alors vous faites quelque chose de probablement très bizarre psychologiquement » (cité par Hoffman, 2000, p. 180). Cette description de l’activité mathématique illustre parfaitement la manière dont Erdös considérait et pratiquait les mathématiques.

Comme le mentionne Nicolas, « Paul Erdös was well known as a problem poser and a problem solver and, because of this, he was not much appreciated by Bourbaki, though J. Dieudonné once said : rien de ce que fait Erdös n’est facile ; c’est toujours extrêmement astucieux » (Nicolas, 2002, p. 538). La démarche des mathématiciens bourbakistes consistait d’abord en l’étude d’une théorie générale et ensuite en l’application à des problèmes concrets. Celle d’Erdös était d’abord de poser des problèmes et lorsque quelques-uns étaient résolus, il était possible d’en déduire une théorie. Nicolas (2006) souligne ainsi que « les problèmes posés par Paul Erdös constituent un réservoir de sujets de recherche de grande qualité pour les chercheurs du monde entier ».

La motivation d’Erdös pour faire des mathématiques venait du fait qu’il les considérait comme « une quête de beauté durable et de vérité ultime » (Hoffman, 2000, p. 30). Pour lui, les mathématiques étaient une magnifique combinaison de science, science de la certitude par laquelle on accède à la vérité, et d’art, les mathématiques ayant une certaine esthétique. Ainsi beauté et compréhension sont deux mots qu’Erdös utilisait souvent pour qualifier les mathématiques. Par exemple lorsqu’il parle de la démonstration du théorème des quatre cou-leurs, il admet que la démonstration est valable mais il précise qu’ « elle n’est pas belle » et qu’il « aimerait mieux voir une démonstration qui nous fasse un peu comprendre pourquoi quatre couleurs suffisent » (Ibid. p. 45). Cependant, il a du mal à expliquer en quoi les ma-thématiques sont belles : « C’est comme si l’on demandait pourquoi la neuvième symphonie de Beethoven est belle. Si vous ne voyez pas pourquoi, personne ne pourra vous le dire. Je sais que les nombres sont beaux. S’ils ne sont pas beaux alors rien ne l’est »(Ibid. p. 45). Erdös avait un rapport affectif aux nombres, Hoffman dit que « les nombres premiers étaient les amis intimes d’Erdös » (Hoffman, 2000, p. 38) et qu’il avait de la sympathie pour eux.

Pour résumer, Erdös était « le poseur de problèmes par excellence » ainsi qu’ « un so-lutionneur de problèmes accompli ». De plus, il était « singulièrement généreux quand il s’agissait de partager ses idées mathématiques avec ses collègues » (Hoffman, 2000).

Erdös a écrit en 1963 un article intitulé Quelques problèmes en théorie des nombres. Il explique que ce « sont des problèmes difficiles, peut être sans importance, où il reste beaucoup de questions, sinon presque tout, à résoudre » et il ajoute « bien entendu, je n’ai pas la prétention d’être complet et je me suis, dans une trop grande mesure peut-être, confiné dans des problèmes particuliers ; mon excuse est que ce sont ceux que je connais le mieux » (Erdös, 1963, p. 537). Dans cet article, il mentionne 76 problèmes de théorie des nombres, classés en six catégories : problèmes de divisibilité dans les suites finies, problèmes de divisibilité dans les suites infinies, problèmes sur les sommes et les différences des termes d’une ou plusieurs suites, problèmes sur les congruences, les diviseurs d’un entier, les progressions arithmétiques, problèmes sur les nombres entiers et problèmes divers et enfin, problèmes d’analyse indéterminée et problèmes analogues. Cet article semble illustrer précisément la manière dont Erdös pratiquait la recherche mathématique. On observe en effet le grand nombre et la diversité des problèmes sur lesquels il réfléchissait : certains sont « de simples exercices », d’autres sont difficiles, d’autres sont ouverts, certains sont démontrés, etc. Nous présentons dans la suite quelques exemples de ces divers problèmes proposés par Erdös.

Figure 3.1 – Exemple 1 - Un problème de type « exercice simple ».

Ce problème (figure 3.1) est un problème qu’il qualifie d’exercice simple et dont il donne la démonstration, qui est courte. On peut remarquer que c’est lui qui pose le problème mais qu’il a été résolu par deux autres mathématiciens. C’est en cela que l’article montre bien sa façon de faire des mathématiques et ses multiples communications avec d’autres mathématiciens. On peut ainsi lire de nombreuses fois dans cet article, « problème posé par P. Erdös, solution par... » ou « Erdös et... ont démontré que ». Voici quelques extraits (figure 3.2) :

Figure 3.2 – Exemple 2 - Extraits de la liste de problèmes de Paul Erdös (1963).

Voici deux autres exemples témoignant de la diversité des problèmes que l’on trouve dans cet article (Erdös, 1963) :

Figure3.3 – Exemple 3 - Un problème qualifié de « difficile ».

C’est un problème (figure 3.3) qu’il qualifie de difficile et dont la démonstration n’est pas publiée. Le dernier exemple de problème est celui concernant les fractions égyptiennes. Il représente le dernier type de problèmes : ceux restés à l’état de conjecture (figure 3.4).

Figure 3.4 – Exemple 4 - Un problème resté à l’état de conjecture : conjecture d’Erdös-Straus.