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« L'interculturel, comme tout champ du social, est un carrefour d'acteurs, de biens, de produits, de discours, d'interactions, de croyances et de luttes de position. » (Gohard-Radenkovic 2010, p.65). C'est en vertu de ce constat, qui porte sur l'hétérogénéité conceptuelle de cette jeune discipline éducative, que nous nous proposons d'en explorer les débats actuels. « Ne faudrait-il pas reconsidérer les définitions établies de l'interculturalité en débusquant les présupposés, les concepts proposés et les valeurs implicites qu'ils véhiculent, et en dévoilant les non-dits et les interprétations biaisées dans les consignes et les formations ? » (ibid., p.73). C'est justement ce que nous nous proposons de faire, à travers la description des critiques adressées aujourd'hui à l'interculturel.

Cette « crise » et ces « critiques » sont portées par des didacticiens comme Philippe Blanchet, Daniel Coste, Aline Gohard-Radenkovic, Martine Abdallah-Pretceille ou Fred Dervin. Ce dernier est l'auteur d'un article intitulé « Pour faire face à la crise de l'interculturel », et Regards critiques sur la notion d'interculturalité est le titre d'un ouvrage coordonné par Blanchet et Coste.

1 Le biais différentialiste de l'interculturel

« Crise » est à relier ici à son acception étymologique de « critique », puisque les théorisations du champ de l'interculturel contiennent aujourd'hui des contradictions manifestes que les chercheurs s'emploient à mettre en évidence, à « critiquer ». À première vue, cette critique comporte deux traits essentiels, le premier étant à notre avis à l'origine du second : le premier porte sur l'interprétation culturaliste des groupes humains dans certaines acceptions de l'interculturalité, c'est-à-dire sur la position essentialiste qui considère une culture comme un tout cohérent, monadique et monolithique, et non comme un construit dynamique résultant des relations entre groupes ou individus. Le second aspect de la critique porte sur

l'« angélisme » de l'interculturel, autrement dit sur son manque de réalisme concernant une certaine âpreté des rapports humains : « On observe également le développement d'une acception ''angélique'' de la notion, même au sein d'une conception interactionnelle de la question interculturelle, qui en réduit la portée à une simple attente de ''relations humaines harmonieuses malgré les différences culturelles et linguistiques''. » (Blanchet et Coste 2010, p.9).

1.1 Critique du culturalisme et de l'essentialisme culturel

Commençons par ce qui constitue l'essentiel de cette « crise » : la critique du culturalisme, ou essentialisme culturel. « Le culturalisme (…) tend à expliquer la culture comme système de comportements appris et transmis par l'éducation, l'imitation et le conditionnement, dans un milieu social donné. » (Boudon et al. 1989/2012, p.53). Il se présente comme « une représentation idéologique des sociétés ». Pour Dervin, il existe « une démarche culturaliste de l'interculturel », qui repose sur un « biais différentialiste » (Dervin 2011, p.106). Ce biais repose sur une conception causaliste et déterministe de la culture, qui correspond à l'idée que « la connaissance de l'Autre, de son mode de vie, de ses idées, etc. peut permettre à la fois de le comprendre mais surtout de le décrire et l'expliquer » (ibid., p.12). La dérive de l'interculturel est « différentialiste » en ce que la considération de monades culturelles conduit à mettre en évidence des différences plutôt que des ressemblances, ou des relations interculturelles effectives. Or « n'abuse-t-on pas de la culture pour expliquer les actions des humains, en occultant ainsi leur liberté ? » (Demorgon 2005, p.28). « Ainsi, la reconnaissance, relativement récente en France, des cultures tend à une ''dictature'' du culturel par réduction de l'individu à son appartenance culturelle, par sur-valorisation de la dimension culturelle qui débouche sur une dérive culturaliste et différentialiste. » (Abdallah-Pretceille 2003, p.10).

« En fait, les individus ne sont jamais exposés à la culture d'une société en tant que telle. Cette ''culture'' n'est dans une grande mesure qu'une simplification et une rationalisation produite par certains acteurs sociaux, prêtres, intellectuels, ou, selon les cas, telles ou telles fractions des élites. Les individus, quant à eux, sont soumis à des apprentissages complexes, dont le contenu dépend de leur environnement, lequel est variable. » (Boudon et Bourricaud 2011, p.142-3). Ces aspects de description anthropologique sont bien résumés par Gohard-Radenkovic, qui identifie deux courants successifs ; le premier comprend la culture comme un

d'acculturation ou d'endoculturation », et « constitue un ensemble complexe dans lequel les divers éléments forment un organisme bien intégré ou réglé par une logique sociale spécifique. » (Gohard-Radenkovic 2010, p.56). Cette conception réduit l'individu « à une sorte d'automate qui suivrait les normes et modèles culturels dictés par la société, consommateur en quelque sorte passif de la culture ». Cette position sera critiquée dans les années 1980, ce qui correspond justement à la période d'émergence de l'interculturel en didactique :

« Les anthropologues seront accusés deculturalisme ou de réification culturelle, la bête noire des anthropologues français. (…) La conception d'une culture comme un ''complex whole'' (selon Tylor), soit comme un ensemble cohérent, organique bien intégré, une entité fixe et isolée, est donc devenue très vite insoutenable. Il ne s'agit donc plus de ''culture complexe'', mais de

complexité culturelle, cette conception étant autant valable pour les sociétés actuelles que pour les sociétés du passé. » (ibid., p.58).

Le courant de la « complexité culturelle » se trouve inspiré par « le tournant postmoderne qui va frapper de plein fouet le concept de culture en anthropologie8. » Un nouveau courant anthropologique se propose donc d'étudier l'homme non seulement comme « acteur dans le lien social » mais comme « auteur de ce lien social » (ibid.). Ce qui a décisivement marqué ce tournant épistémologique selon Gohard-Radenkovic, ce sont les processus socioculturels induits par l'expansion de l'économie-monde, la montée de la mondialisation et l'accroissement des mouvements migratoires internationaux. » (ibid.).

L'on observe ainsi que ce « renversement paradigmatique » (ibid., p.59) s'opère dans un contexte favorable à une réflexion d'ensemble sur les phénomènes migratoires, comme c'était également le cas pour l'interculturel. La conséquence épistémologique en est que « passer de l'analyse des cultures complexes à celle de complexité culturelle signifie penser la culture comme quelque chose de changeant, issu de processus et de relations, produit par des individus et par la collectivité en vertu d'interactions et de négociations, d'échanges et de tensions permanentes, sans oublier les conflits tragiques et douloureux. » (ibid.). L'intérêt se déplace donc des monades culturelles vers la complexité, et vers la prise en compte d'échanges inter-sociétaux variés, féconds et possiblement violents – ce qui exclut d'emblée toute tentation pour un interculturel « angélique ». Et les différences culturelles, fait notable, n'apparaissent plus comme des donnés mais comme des construits, résultant de l'activité relationnelle, et potentiellement conflictuelle, des acteurs sociaux ; la complexité culturelle signifie « remettre en question l'invariabilité présumée des appartenances culturelles et des identités nationales, mettre en relation les différences culturellement définies sans pour autant

nier les indéniables frontières que les groupes sociaux imaginent eux-mêmes, construisent et par conséquent essentialisent. » (Giordano 2008, cité dans Gohard-Radenkovic 2010, p.59).

Cependant, malgré ce changement de paradigme en anthropologie, l'on observe que les concepts culturalistes du complex whole « dominent encore un certain nombre de secteurs de la vie publique et de vulgarisation scientifique, dont le monde de l'éducation (…) » (Gohard-Radenkovic 2010, p.58). Et c'est la didactique interculturelle que vise ici l'auteure. En décrivant la coupure épistémologique qu'a connue l'anthropologie autour des années 1980, elle pointe la persistance en éducation de conceptions essentialistes de la culture, contre lesquelles il importe désormais de se positionner. Pourtant l'on observe que l'interculturel est précisément né autour de ce changement de paradigme anthropologique, et son caractère profondément interactionniste, fondé sur l'étude des représentations interculturelles, nous paraît précisément procéder d'une critique des essences ; comment se fait-il alors qu'aujourd'hui les critiques de l'interculturel portent sur ses aspects culturalistes, alors que justement la notion de représentation et la dialectique du Même et de l'Autre permettent de déconstruire la culture comme ensemble de caractéristiques stables ? Il y a ici un paradoxe ; soit l'interculturel a été mal compris, et ses mauvaises interprétations ont réactivé des conceptions culturalistes qui l'ont peu à peu contaminé, soit il existe dans les fondements de l'interculturel des éléments qui biaisent son discours et sa compréhension.

1.2 Un interculturel mal compris ?

Les critiques actuelles en didactique interculturelle font émerger la figure d'un « interculturel mal compris » (Dervin 2010), que ces nouveaux discours de recherche tâchent de rectifier. La critique prend pour point de départ une mise en question du concept de culture, concept qui se trouve pourtant au fondement du champ interculturel et de sa dénomination. En cela le questionnement apparaît comme profond et radical, et la culture apparaît comme la pierre d'achoppement majeure des théoriciens de l'interculturel.

Un des motifs majeurs de ce que Fred Dervin nomme la « crise » de l'interculturel concerne donc la déconstruction de la notion de culture, accompagnée de celle d'identité. Comme nous l'indiquions plus haut, cette entreprise de déconstruction s'inspire d'un processus similaire dans le champ des recherches en anthropologie culturelle, ou du moins prend appui sur les thèses de déconstruction de la culture qui ont cours dans l'anthropologie culturelle depuis les années 1980. Ceci fait que ceux que nous appellerons désormais les

« interculturalistes critiques » s'inspirent beaucoup de certains écrits de l'anthropologie contemporaine, appelée parfois « postmoderne » ou « nouvelle anthropologie ». Repérant des discours essentialisants en DDLC, ces chercheurs tentent de déconstruire la conception monadique de la culture présente dans ces discours. À propos des notions de culture et d'identité, Dervin et Fracchiolla écrivent que « de nombreux chercheurs en didactique de l'interculturel les utilisent, parfois sans regard critique – ce qui pose problème car ces deux notions sont souvent sources de malentendus épistémologiques, éthiques et ''politiques''. » (Dervin et Fracchiolla 2012, p.7). Ainsi, « en continuant d'avoir recours au concept [de culture], on homogénéise trop les groupes, on les isole – alors que les frontières (autres que légales) sont des imaginaires et des créations. En bref, le concept de culture, dans les discours officiels (recherche, politique, projets européens, etc.) est lié au flou sémantique qu'il pose. » (Dervin 2011, p.28).

La critique vise des dérives culturalistes et essentialistes repérées de l'éducation interculturelle, et s'énonce au carrefour de trois postulats :

l'hétérogénéité généralisée du monde actuel ne permet plus de parler de « cultures » ;

c'est l'individu, et non le groupe, qui doit être au centre des préoccupations ;

si « culture » il y a, elle est le produit des activités catégorisantes des individus et des groupes qui se trouvent en relation.

L'on voit ainsi que c'est la « perspective sujet », avec les notions d'individu et de catégorisation, qui se trouve réaffirmée. Dans ces conditions, la connaissance de l'Autre est illusoire, elle est en fait une réduction de l'individu ou du groupe à des traits culturels stabilisés, et à des représentations plus ou moins stéréotypées. Nous retrouvons donc paradoxalement dans cette critique, qui souhaite induire un renouvellement épistémologique, les présupposés de la didactique interculturelle (interactionnelle-représentationnelle) tels que nous les avons identifiés chez Zarate par exemple, ou chez Abdallah-Pretceille. Quoi qu'il en soit, l'on (re)constate aujourd'hui que « l'éducation n'est pas immune contre ces images ni contre les discours culturalistes qui circulent sur le Soi et l'Autre, sur les communautés imaginées, qu'elles soient nationales, culturelles, ethniques... » (Dervin 2011, p.26), et que certaines pratiques éducatives participent d'une forme d'« ethnicisation » et de « culturalisation » du monde (ibid., p.27). Le problème de la délimitation, en éducation, entre savoirs et représentations semble plus que jamais d'actualité :

« Il est clair que la démarche culturaliste de l'interculturel pose de nombreux problèmes. (…) Vu que le culturalisme est basé avant tout sur l'importance des connaissances/savoirs, on est en droit de s'interroger sur la valeur de ces éléments face au sens commun, à la doxa, aux représentations et aux stéréotypes. En effet, avoir des connaissances sur une culture est-il suffisant pour pouvoir rencontrer un individu ? De quelle culture parle-t-on ? Un discours culturaliste peut-il être accepté comme ''vrai'' ou représentatif d'un vaste ensemble (nation, communauté, groupe religieux...) ? Où est le sujet dans cette conception de la culture dont les frontières sont fondamentalement impossibles à définir ? » (ibid., p.106).

Ces propos sont intéressants car ils relient démarche ou discours culturaliste et savoirs ; des savoirs qui semblent essentialisants par nature.

L'inertie méthodologique des pratiques de classe et des manuels aurait-elle contribué à subvertir de l'intérieur le champ théorique de l'interculturel ? Ou bien les concepts fondamentaux du champ ont-ils été mal compris dans la recherche elle-même ? À travers une vaste enquête portant sur les approches de l'interculturalité dans différents domaines, notamment éducatifs (textes institutionnels et discours d'enseignants), Dervin note que

« la culture et l'identité sont souvent conceptualisées comme étant des entités solides, enfermées, qui ne changent pas. Dans le cas de la culture par exemple, elle joue le rôle d'agent social (cf. ''rencontre entre cultures'') et sert à expliquer attitudes, croyances, ''valeurs'' de chacun et des ''communautés'' afférentes. En outre, la culture est abordée comme une ''île'' ou une ''péninsule'', vierge de contacts et de mélanges provenant en dehors de ses propres frontières. (…) Les traditions locales ont également une place privilégiées. » (ibid., p.105).

Cette agentivité sociale prêtée à la culture est nommée culturespeak par Dervin, qui reprend là une formule de l'anthropologue Ulf Hannerz. L'interculturel semble avoir été mal compris, dans ses aspects interactionnistes et constructivistes.

1.3 Repenser la « culture »

Bien que les vocables « culture » ou « culturel » ne soient pas évincés des écrits des didacticiens, leur emploi fait désormais l'objet de précautions ; mais ce qui est plus intéressant, c'est que ces remises en question sont faites au nom du constat d'hétérogénéité généralisée du monde actuel, de diversité, de pluralité, ces concepts apparaissant comme les antidotes de l'essentialisme culturel :

« La complexité et l'hétérogénéité croissantes du tissu social et des pratiques culturelles imposent de repenser le concept même de culture ainsi que le mode d'accès aux cultures. Face à une pensée homogénéisante aux accents culturalistes, il importe de proposer un autre paradigme de la pluralité culturelle, attentif aux mutations socio-anthropologiques contemporaines », pour « fonder une approche pertinente et efficiente du divers » (Dervin et Fracchiolla 2012, p.11).

Même constat chez Abdallah-Pretceille :

« En effet, le concept de culture ne permet plus de rendre compte de la diversité culturelle. Il nous faut partir d'un constat : nos sociétés sont structurellement et durablement marquées par la pluralité et la diversité culturelle. C'est une diversité à caractère exponentiel. Au sein de chaque

groupe voire au sein de chaque individu, on constate une pluralisation de plus en plus forte. L'hétérogénéité est devenue le dénominateur commun de tous les groupes, que ceux-ci soient nationaux, sociaux ou ethniques. On assiste à une hétérogénéisation de fait, liée à la mondialisation. (…) » (Abdallah-Pretceille 2012, p.19).

Il est sûr que la mondialisation entraîne de l'hétérogénéité, par les multiples contacts qu'elle suppose. Mais n'a-t-elle pas toujours existé, à des degrés divers ? Les contacts et relations entre sociétés n'ont-ils pas toujours amené de la diversification culturelle ? Il nous semble que la mobilisation du concept de diversité ou de pluralité réponde à des exigences épistémologiques très actuelles, et que leur « constat » vient à point nommé pour tenter de dessiner les voies d'une « sortie de crise ».

1.4 La « diversité » comme concept de sortie de crise

Face à l'homogénéisation culturaliste, l'hétérogénéité du monde, sa diversité, sa pluralité semblent constituer les nouveaux horizons de la réflexion interculturelle, qui cherche à y fonder un renouvellement paradigmatique. La critique du culturalisme se fait au nom des « processus de métissages, de bricolages et d'acculturations réciproques » (ibid., p.28) qui sont à l'œuvre dans tout groupe et chez chaque individu. Par ailleurs, le pluralisme culturel fait l'objet de précautions épistémologiques, celui-ci ne devant pas être entendu comme une simple perception cloisonnée de la diversité (une diversité fait de groupes « homogènes » n'entretenant pas de relations entre eux), mais comme un complexus dynamique de relations humaines :

« La différenciation culturelle ne se réduit pas à une juxtaposition de groupes et de sous-groupes supposés homogènes. Elle induit, au contraire, une définition de la culture dans un espace de relations et une praxis. Il convient donc de définir un autre paradigme afin de comprendre la pluralité et la diversité. Une réponse, désormais obsolète, consiste à diviser cette pluralité en une addition d'homogénéités. L'hétérogénéité est ainsi appréhendée par découpage en plusieurs unités présentées comme homogènes mais qui, finalement, sont des homogénéités artificielles, construites a priori et donc arbitraires. » (ibid., p.19).

La relation entre groupes est donc première pour penser le divers, faute de quoi l'essentialisme se fragmente et se démultiplie. C'est la définition d'un « autre paradigme » qui est en jeu dans cette définition de la diversité.

Pour Blanchet et Coste, la notion de culture n'est pas forcément obsolète mais elle connaît une « complexification », ce qui « ne peut qu'affecter ce qui intéresse la didactique des langues et des cultures » ; les axes de cette complexification sont le fait que « les sociétés contemporaines se présentent et sont désormais représentées (à quelques pensées rétrogrades près) comme multiculturelles », et que « les acteurs sociaux sont définis comme partie prenante à des degrés divers de plusieurs configurations culturelles, comme constitutivement

pluriculturels et comme susceptibles de circuler tour à tour dans et entre ces ''cultures'' ». Ces « cultures » sont envisagées comme des pratiques et des normes communes à un groupe, elles sont « conçues alors comme propres à des communautés de pratiques (famille, groupes de pairs, réseaux sociaux, milieu professionnel, audiences et ''cibles'' des médias, etc.) et caractérisées, à des degrés divers, par des normes de fonctionnement, de régulation et d'évolution, mais aussi par des formats communicationnels et des genres discursifs relativement particularisés. » (Blanchet et Coste 2010, p.18). Ceci fait que tout individu peut virtuellement appartenir à plusieurs cultures, puisqu'il appartient à plusieurs groupes. La notion de pluralité se trouve donc, ici également, centrale. Pour les auteurs de Regards critiques sur la notion d'interculturalité, les disciplines scolaires elles-mêmes participent de cette complexification de nature pluriculturelle, en permettant « un accès à des communautés de pratiques et à certains modes de représentation et de conception du réel, à une culture et à des langages de la discipline. » (ibid., p19). C'est semble-t-il la variation – socioculturelle, sociolectale – qui sert de modèle de description sous-jacent à ces « cultures » ; l'ensemble de l'édifice théorique repose alors sur la notion d'individu (ou de sujet9), et de variation. L'on retrouve ici les thèses du sociologue Bernard Lahire qui, dans L'homme pluriel (2005), fait bien état de la labilité des comportements et des identifications des acteurs sociaux selon les groupes qu'ils fréquentent et les positionnements qu'ils adoptent. Cette thèse de la « complexification culturelle » a l'avantage de conserver l'appellation de « culture », tout en maintenant de la diversité.

1.5 Peut-on faire de l'interculturel sans culture ?

L'on comprend en effet qu'il soit inconfortable de remettre en question la notion qui constitue le fondement et l'appellation de l'interculturel. La racine lexicale « culture » pose problème, de même que le préfixe « inter- », dans la mesure où il s'agit moins désormais de se situer dans un « entre deux cultures » bilatéral, que dans la pluralité multilatérale. « Puisque l'interculturel pose tant de problèmes – surtout à cause de la ''culture'' – pourquoi ne pas transformer ou changer simplement de mot ? » (Dervin 2011, p.123). De même que certains proposent de « faire de l'anthropologie sans culture » (Dervin et Fracchiolla 2012, p.7), d'autres feraient bien « de l'interculturel sans culture » (Dervin 2011, p.123). Cependant, faute de trouver une dénomination suffisamment concise et évocatrice, et malgré une attitude très

9 Les discours didactiques scientifiques, contrairement aux autres sciences humaines, n'opèrent pas de distinction conceptuelle entre ces deux termes ; aussi les emploierons-nous comme synonymes dans cette

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