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Les interactions entre les hommes et les ours bruns en Espagne au cours des siècles

La relation des hommes et des ours a été déterminante dans l’évolution démographique et la répartition géographique de ces derniers. Leur cohabitation remonte à la préhistoire, du temps des ours des cavernes ; les deux espèces sont depuis ce temps en compétition pour les ressources alimentaires et pour l’espace.

Depuis que l’Homme s’est sédentarisé, les méso-carnivores ont été considérés comme des espèces nuisibles et persécutés car leur présence menaçait directement et indirectement l’existence humaine. L’ours brun en particulier était vu comme un animal hideux et diabolique, dont les traits de caractère dominants étaient la férocité et la robustesse. Sa description faisait état d’une « tête épaisse et laide avec des yeux sanguinaires, une nuque dure et forte, une peau laineuse de couleur noisette (…) et des mains longues et habiles » (Valdecebro, 1880, dans Torrente, 1999). Dans un autre document, il est décrit comme un animal « féroce, cruel, robuste, de la taille d’un âne -parfois plus grand, aux poils longs, obscures et négligés, aux pieds larges -ceux de derrière étant grands comme des mains, aux griffes fortes et longues, avec une grande tête au museau pointu, des petits yeux vifs, des oreilles courtes, larges et rondes, et un cou épais » (Francisco Fernandez de Navarrete, médecin du roi, au 18ème , dans Torrente, 1999).

Source : (Torrente, 1999)

Photo 18 : Gravure d’ours brun.

Le comportement de fuite devant la présence humaine et leur caractère solitaire étaient perçus comme une tare et renforçaient le sentiment négatif envers les ours : « non seulement il est sauvage mais également solitaire : il fuit instinctivement toute société, s’éloigne des lieux fréquentés par les humains et n’ai à son aise que dans les paysages appartenant encore à la nature primitive, […], dans les forêts et les rochers où l’homme n’a pas encore imposer sa souveraineté » (Collantes et Alfaro, 19ème , dans Torrente, 1999)

Pour enrayer la prédation sur le bétail et protéger les populations locales, les actions administratives du 17ème au 19ème siècle visaient à exterminer les ours, sans aucune considération pour la conservation, ne serait-ce qu’en tant qu’espèce cynégétique. L’Etat et les autorités locales versaient des primes à quiconque abattait un animal « nuisible » et aux 18ème et 19ème siècles, des « chasseurs de fauves » vivaient de ces récompenses. La littérature fait référence à un type de chasse spécifique à la cordillère cantabrique qui consistait en un corps à corps avec l’ours équipé uniquement d’une arme blanche. Toutefois, de nombreuses incohérences ont été relevées dans les récits et il semblerait que ces combats soient des légendes. De plus, les armes à feux avaient déjà fait leur apparition en Espagne au 16ème siècle et étaient couramment utilisées dans la lutte contre les prédateurs, que ce soit à l’approche ou lors des battues destinées à abattre un maximum d’animaux en une journée.

Source : (Grodon Stables, 1881).

Photo 19: Gravure d’une scène de chasse au corps-à-corps

La chasse et le piégeage étaient donc perçus comme des outils de défense mais également comme des activités lucratives et sportives. Les primes de l’Etat étaient complétées par les recettes issues des produits dérivés de la dépouille, très appréciés à cette époque. La peau était particulièrement prisée et sa valeur était élevée ; elle était utilisée comme objet de décoration (tentures, tapis) et pour la confection de vêtements. La viande était principalement incorporée dans les charcuteries et représentait une bonne source de protéines et de graisse. Enfin, d’autres produits (foie, griffes…) servaient dans la pharmacopée, notamment pour le traitement des affections capillaires et dermatologiques et des troubles épileptiques.

La persécution des prédateurs ne suffisant pas à assurer la sécurité du bétail, la deuxième stratégie visant à limiter les dommages dans les troupeaux était d’en éloigner les carnivores. Plusieurs méthodes existaient pour protéger les productions. Leur nature était variable d’une vallée à l’autre mais les outils utilisés se basaient sur les mêmes principes et certains sont encore utilisés actuellement: le bruit à l’aide d’artifices sonores (cor de chasse, branches, bâtons entrechoqués…) ; le feu ; les chiens de protection et la construction d’enclos autour des ruchers et pour parquer le bétail, en pierre la plupart du temps.

La décimation des ours bruns en Espagne a été radicale, d’autant plus qu’ils sont très sensibles aux élévations de mortalité à cause du faible taux de reproduction de l’espèce. Pourtant le phénomène de réduction géographique et démographique des populations ursines ne représente qu’une partie des effets de l’interaction entre les ours et les humains. En effet, au travers de la persécution, seuls les animaux les plus farouches fuyant la présence humaine ont survécu ; les individus les plus imposants et les plus agressifs étaient d’avantage exposés au risque d’être abattus, entraînant une sélection génétique des individus les plus craintifs au fil des siècles. D’autre part, la crainte des hommes a poussé les ours à se retrancher dans des habitats sous-optimaux, parfois limités en ressources alimentaires, ce qui a conduit à une réduction de la taille des individus. Les conséquences sous-estimées de cette relation sont donc également une modification morphologique et éthologique des ours bruns (Naves et al, 1999), surtout dans le Sud de l’Europe où la présence humaine est plus ancienne et plus étendue.

2. Diagnostic des situations de conflit