• Aucun résultat trouvé

Le travail est dur, physique, épuisant : Les femmes sont debout la journée durant dans la poussière ou les vapeurs malodorantes, amenées à soulever de lourdes charges quand il faut

retourner les bateaux ou les transporter d’un endroit à l’autre de l’atelier (« on était les uns sur les

autres, on passait les bateaux au dessus des tables »28) ou les « gerber », c'est-à-dire les stocker en pile. Pas étonnant que le Médecin du travail compte une vingtaine « d’accidents du travail,

généralement par faute de manutention,… et des accidents de déchirure musculaire »29

.

Travail douloureux aussi. Encoller au pistolet fatigue les bras et les mains, coller plus

encore puisqu’il faut faire adhérer les pièces l’une à l’autre à l’aide d’une « lissette » petit morceau de bois d’une vingtaine de centimètres arrondi en son milieu et aplati aux extrémités

avec lequel on écrase le cordon de colle entre les tissus jusqu’à ce qu’il ne reste plus de fuites30. Les mains et les poignets endurent. « Quand je me suis arrêtée (changement de poste), je pouvais

plus, j’avais très mal dans la main, je pouvais plus relever mes doigts la nuit, j’avais trente ans

quoi …; j’avais mal partout. »31Douleurs d’hier, troubles musculo-squelettiques d’aujourd’hui. Dans ces ateliers, les journées sont longues : huit heures-midi, deux heures-six heures ; sur cinq jours. Quarante heures par semaine. Mais les rythmes de production sont saisonniers et

en cas de presse, les heures supplémentaires s’additionnent, particulièrement de février à mai et

secondairement en octobre-novembre qui sont des mois de coup de feu. En font foi de récurrentes demandes d’autorisation d’accroître les horaires pour tous, y compris les ouvrières de moins de 18 ans32. Ces périodes d’intensification du travail se repèrent aussi dans les rapports annuels de CHS, à la recrudescence des accidents et novembre 1970 en compta deux, second pic de l’année.

28

Archives privées, Notes Muguette RAUD, du 2/ 11/ 2012.

29

Rapport annuel, p.X ; ils augmenteront d’un tiers en 1971.

30

Annexe 3 photographies 4 et 5 p. 91

31

Archives privées Entretien 002 Sylvie BOURNET, du 28/12/2012

32 C’est ainsi qu’en février 1969, la Direction de Zodiac sollicite de l’Inspecteur du travail « l’autorisation de faire

travailler nos ateliers entre le 24 février et le 30 mai suivant les horaires ci-après : Couture : 45 heures par semaine au lieu de 40 heures, Menuiserie et Mécanique : 50 heures par semaine au lieu de 45 heures ».Lettre de la Direction

52

45 heures de travail hebdomadaire, 9 heures de travail quotidien. Une journée qui commence à 7 heures. Aussi sélectionne-t-on à l’embauche des jeunes qui tiennent le coup33.

D’autant que les cadences sont difficiles à supporter, surtout pour les débutantes. Toutes

le disent. Au long des divers entretiens, cela revient comme un leitmotiv : « Moi j’étais quelqu’un

qui travaillait bien, mais très lent, donc le rendement c’était jamais ça, donc j’avais toujours des soucis…j’ai toujours eu un souci parce que j’étais trop lente, donc on se fait toujours

engueuler. »; « J’avais toujours un problème avec mon rendement »34. Même si la chaîne n’est

pas mécanisée et qu’aucun tapis roulant ne rythme le travail, les ouvrières ont à faire un

« rendement » comme elles disent, un nombre imparti de pièces à effectuer dans la demi-journée. On travaille vite, suffisamment vite pour que la colle ne sèche pas trop ou talonnée par celle(s)

qui attend(ent) pour continuer. L’encadrement veille à la productivité et exerce une constante

pression.

La plupart des ouvrières jugent les cadences impossibles à tenir si l’on veut faire du bon

travail ; c’est une source d’angoisse et de frustration pour des femmes fières des bateaux qu’elles

produisent et de leur savoir-faire35. On s’inquiète de la « dérive » (retard sur le temps imparti). Or

l’organisation du travail est source de retards : à attendre quelqu’un pour aider à porter, à attendre un outil, à attendre le contrôle de la chef d’équipe. De quoi s’énerver parfois. D’autant que les primes s’en ressentent.

Travail supplémentaire : les ouvrières doivent à tour de rôle balayer l’atelier le soir après avoir fait « leur rendement »36. Femmes elles sont, femmes elles restent, « bonnes à tout faire »37.

33 Rapport manuscrit d’une visite de l’Inspecteur du travail, 11mai 1962, p. 2: L’inspecteur du travail précise, au

paragraphe « Mouvements de main d’œuvre » : « femmes, prennent des jeunes (9 h de station debout par jr) »

34

Archives privées, Entretien 002 Sylvie BOURNET, du 28/12/2012 et Notes Muguette RAUD, du 2/ 11/ 2012.

35

Archives privées, Entretien 001, Francine CHENAUD, du 20/11/2012 et AMR Témoignages, « Mémoires ouvrières », Zodiac, Entretien18_A-Caillaud_zodiac. On pourrait parler de sentiment de désajustement entre les objectifs assignés et les moyens attribués. Cf : CARTRON Damien et GUASPARE Catherine, « La Perception d'un « désajustement » dans la situation de travail : les enseignements d'une revue de littérature sur les risques psychosociaux », Travail et Emploi n°129, les risques psychosociaux au travail: d'une question de société à des

questions scientifiques. Janv-mars 2012 DARES, Documentation française, p. 67-77.

36Annexe 7 p. 96. En 1969, l’entreprise n’emploie que deux seules femmes de ménage pour l’ensemble des bureaux

et des ateliers. C’est peu. cf Effectifs de 1969.

37

53

Dans ces conditions, la fatigue se fait sentir. Toutes les ouvrières interrogées en témoignent : « Dans les années 70, ça devait être dur parce que c’était que du collage », « Elles

en avaient plein le dos quand elles débauchaient le soir; j’ai vu ma copine Ch…, elle rentrait chez elle le soir, elle était lessivée hein,… après sa journée à Zodiac, hein…,à faire du

néoprène » .»38

Or certaines, qui vivent dans leur famille en campagne, ajoutent à ces rudes journées de

travail de longs déplacements parfois plus d’une dizaine de kilomètres que l’on fait en vélo

moteur, mais aussi souvent à cette époque en vélo39. Elles aident aussi leurs parents à la terre40.

Et la plupart d’entre elles assurent bien souvent l’essentiel ou tout au moins une grande part du travail domestique, qu’elles soient jeunes mariées, sœurs aînées de famille nombreuse, ou

mères célibataires.

Les journées sont bien remplies. Pas étonnant qu’elles se disent « éreintées »41

.

38

Archives privées, Entretien 003 Julie FILLON, du 01/02/2013.

39

AMR. Témoignages, « Mémoires ouvrières », Zodiac,Entretien21_M.Guillon_zodiac

40

AMR. Témoignages, « Mémoires ouvrières », Zodiac, Entretien19_D-Rauch_zodiac

41

AMR, Témoignages, « Mémoires ouvrières », Zodiac, Entretien19_D-Rauch_zodiac et

54

Chapitre 5

LES « CRISES DE NERFS »