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Intégration dans le Royaume de Prusse, partage ou octroi de l’autonomie : les projets allemands pour l’Alsace-Lorraine

Le gouvernement allemand, à l’instar des cabinets ministériels français, s’est préoccupé du sort à donner aux territoires d’Alsace-Lorraine dès les premiers mois de la guerre. D’emblée, l’accueil fait par les Mulhousiens aux troupes françaises lors de leur offensive en Haute-Alsace, de même que le départ pour Paris des notables alsaciens et lorrains à l’été 1914, constituent la preuve évidente que cinquante ans de présence allemande n’ont pas permis l’assimilation des départements annexés en 1871. Les interrogations portent sur le rôle de l’organisation constitutionnelle du Reichsland, doté depuis 1911 d’un parlement régional, dans l’émergence d’une personnalité alsacienne spécifique, perçue depuis Berlin comme essentiellement francophile (bien que la réalité soit bien plus complexe). Ces réflexions font écho aux débats qui, en 1911, avaient précédé la rédaction de la Constitution, un texte de compromis entre partisans d’une Alsace-Lorraine autonome et défenseurs d’une germanisation accrue1. Comme le relève François Roth, « ce terme d’autonomie, vague et ambigu, pouvait s’interpréter de façon très différente. Pour les uns, il pouvait permettre de se distinguer de Allemands en mettant l’accent sur le particularisme ; pour les autres, c’était un moyen de s’intégrer, sans renier son passé, dans la grande famille des peuples allemands2 ». Malgré le vote de ce texte, l’Alsace-Lorraine n’avait pas accédé au statut d’État fédéré et était restée dépendante de la bureaucratie berlinoise. L’étude des projets allemands, contemporains des travaux de la Conférence d’Alsace-Lorraine et des services parisiens, offre une perspective comparatiste et internationale sur ces enjeux de préparation de l’après-guerre. Ce changement de perspective replace la question de l’avenir de l’Alsace-Lorraine (et les débats français correspondants) dans une histoire plus globale, en faisant abstraction de la frontière qui existe entre les travaux historiques produits de part et d’autre du Rhin.

En 1914, l’Allemagne constitue un Empire fédéral, constitutionnel mais au parlementarisme inabouti, tandis que la France se présente sous la forme d’une République parlementaire et centralisée. Une telle réflexion permet de pénétrer les rouages du fédéralisme allemand, la politique allemande se faisant à Berlin, mais aussi à Munich, à Stuttgart ou à Dresde. Comment concilier les intérêts divergents d’États pré-unitaires, qui combattent ensemble un ennemi commun, mais n’en oublient pas pour autant leurs intérêts propres ? Quels enjeux en termes de politique intérieure et internationale présentent les réflexions sur le statut futur de l’Alsace-Lorraine ? Quels points de convergence avec les réflexions françaises offrent-elles ?

I.L’ALSACE-LORRAINE, UN PAYS DELOYAL ?

Dès les premières semaines de guerre, l’Alsace-Lorraine fait parler d’elle, et les mauvaises nouvelles se succèdent à Berlin : accueil chaleureux des troupes françaises à Mulhouse, coups de feu de francs-tireurs alsaciens à l’encontre de soldats allemands, désertions au moment même où la dictature militaire s’installe dans le Reichsland. La publication du rapport intitulé Mémoires et

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Sur les débats ayant précédé l’adoption de la constitution alsacienne-lorraine de 1911, on se reportera à Jean-Marie Mayeur, Autonomie et politique en Alsace, la Constitution de 1911, Paris, Armand Collin, 1970, 212 p.

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documents sur la conduite des populations alsaciennes-lorraines dans la guerre3renforce ce constat. Il dénonce les manifestations perçues comme germanophobes depuis la déclaration de guerre en Alsace. L’activité des membres de la Conférence d’Alsace-Lorraine y tient une belle place, coupures de journaux parisiens à l’appui. La responsabilité de ces manifestations d’hostilité à l’Allemagne est imputée aux notables francophiles (fonctionnaires, élus municipaux, membres des professions libérales et du clergé), qui auraient conservé les traditions françaises et de nombreuses attaches familiales outre-Vosges4. Mais cette vision très négative communiquée à Berlin par le gouvernement d’Alsace-Lorraine correspond-elle à la réalité? Face à une Alsace-Lorraine globalement loyale, le gouvernement n’a d’yeux que pour la dizaine de notables partis à Paris et les quelques milliers d’Alsaciens ayant fait le choix d’endosser l’uniforme français ! Les historiens ayant travaillé sur cette période mettent davantage en avant le climat d’acceptation des « faits accomplis » qui domine à la veille de l’entrée en guerre, la protestation contre le traité de Francfort ayant peu à peu cédé la place à une revendication d’autonomie au sein de l’Empire5. Les témoins, comme Charles Spindler, rendent compte d’un loyalisme, teinté de résignation, chez les Alsaciens de l’été 19146. Le premier télégramme adressé par le Statthalter à Berlin évoque un état d’esprit apaisé à Strasbourg comme à Metz, et rend compte d’une mobilisation qui s’est déroulée sans incident notable7. Au Reichstag, presque tous les députés alsaciens-lorrains ont voté les crédits de guerre.

Néanmoins, la présence des opérations militaires sur le sol alsacien, les difficultés de circulation et les vexations endurées par la population du fait des armées cantonnées suscitent un réel mécontentement8. Dès l’automne 1914, en réponse au général Deimling, le député alsacien Eugène Ricklin interpelle le gouvernement en ces termes : « L’armée ne doit oublier que l’Alsace-Lorraine n’est pas un pays ennemi9 ». Ricklin rappelle que la très grande majorité des Alsaciens a accompli loyalement son devoir. Le député Georg Ledebour, qui s’exprime au cours de la même séance, relève lui aussi que l’Allemagne est en train de ruiner le crédit constitué auprès des Alsaciens depuis 1871. Le député du Zentrum Matthias Erzberger place, quant à lui, le problème sur un terrain plus politique, s’en prenant à ceux qui, depuis Strasbourg, ont péché par excès d’autoritarisme : « La plaie béante est devenue purulente, parce que les politiques conduites depuis quarante ans n’ont pas su tenir compte des vœux légitimes des populations des provinces conquises ». La revendication d’autonomie n’a pas été satisfaite et l’Alsace-Lorraine, comparée à une colonie, demeure placée dans un état de subordination vis-à-vis des autres États fédérés10.

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Denkschrift und Dokumente über das Verhalten der Elsass-lothringischen Bevölkerung während des Krieges, [s.d.], 78+36 p.

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Dans Das Elsass, t. I. Corroborant cette analyse, le Statthalter von Dallwitz dénonce à son tour ces mêmes milieux, dont les enfants se seraient enrôlés dans l’armée française ou qui, demeurés en Alsace, mèneraient une campagne hostile à l’Allemagne.

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Vogler (Bernard), dir., Nouvelle histoire de l'Alsace : une région au cœur de l'Europe, Toulouse, Privat, 2003, p. 231-233 et Grandhomme (Francis et Jean-Noël), Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre, Strasbourg, 2013, op. cit., p. 20-24.

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Spindler (Charles), L’Alsace pendant la guerre 1914-1918, op. cit., p. 41. « Il faut croire que, de leur côté, les Allemands ne pensaient pas que les Alsaciens répondraient avec un tel ensemble à l’appel aux armes, car un ordre du jour du colonel les félicite hautement de cette preuve de patriotisme ».

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Pol. Arch. Auswärtiges Amt, R 2977. Mémoire du Statthalter von Dallwitz intitulé « La nouvelle organisation constitutionnelle de l’Alsace-Lorraine », 30 juin 1917. Dans les semaines qui suivent la mobilisation, « l’état d’esprit de l’ensemble de la population alsacienne est exemplaire, nos troupes sont acclamées partout où elles passent ».

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Geh. Staatsarchiv Preuss. Kulturbesitz, I. HA Rep. 89 Nr. 3626. Lettre adressée par le Statthalter von Dallwitz à la chancellerie, 13 octobre 1915.

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Landesarch. BW Karlsruhe, 49 Nr. 2047. Session du Reichstag, sept. 1914, compte-rendu de l’ambassadeur badois.

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Erzberger (Matthias), Erlebnisse im Weltkrieg, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1920, p. 159. Le général Deimling, commandant du XVe corps d’armée avait ainsi salué les troupes pénétrant en Alsace : « Chargez vos fusils ! Nous entrons en pays ennemi ».

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Face à ce diagnostic, différents projets sont mis sur la table à l’automne. Quel statut, quelles institutions nouvelles donner à ces provinces, qui feront des Alsaciens de bons Allemands ? Doit-on conserver la Terre d’Empire, telle qu’elle a été établie au lendemain de sa conquête, ou bien diviser celle-ci pour mieux l’assimiler? Quatre options peuvent être envisagées : le maintien de la situation existante, l’incorporation dans le Royaume de Prusse, le partage entre États fédérés allemands ou l’accession de la terre d’Empire au statut d’État fédéré. Trois ans à peine après l’octroi de la Constitution alsacienne-lorraine, il convient de remettre l’ouvrage sur le métier et les mêmes personnnalités, chargées de concevoir le texte adopté en 1911, se penchent une nouvelle fois sur le destin politique de la Terre d’Empire. Autour du chancelier Bethmann-Hollweg11, on retrouve le secrétaire d’État à l’Intérieur Clemens von Dellbrück, ainsi que le sous-secrétaire d’État à la chancellerie Wahnschaffe, dont les contacts avec les milieux militaires s’étaient révélés précieux12. Mais Delbrück est désormais convaincu de la nécessité d’endiguer le particularisme alsacien, perçu comme un frein à la germanisation. Dans une lettre adressée le 11 septembre 1914 au chancelier, Friedrich Naumann13 évoque le premier le principe d’un partage de l’Alsace-Lorraine entre la Prusse, la Bavière et le grand-duché de Bade (une solution déjà envisagée par Bismarck en 1871). Une telle solution présenterait le double avantage d’arrimer solidement l’Alsace-Lorraine à l’Empire, tout en plaçant ses habitants sur un pied d’égalité avec les autres Allemands. Mais cinquante années de vie commune, au cours desquelles le particularisme alsacien s’est affirmé, rendent à présent pareille entreprise compliquée. Le courrier de Naumann laisse d’ailleurs entendre qu’il sera nécessaire d’associer à cette réflexion l’ensemble des forces politiques du pays (et notamment les catholiques du Zentrum et les socio-démocrates, acquis à l’autonomie)14.

II.LE TEMPS DES PLANS DE PARTAGE (1914 A MAI 1917)

A. Premières propositions, premières divergences

L’entrée en guerre de l’Allemagne conduit le gouvernement impérial, mais aussi l’ensemble des États fédérés allemands à penser leurs buts de guerre dans l’éventualité d’une victoire jugée imminente et totale. Le chancelier Bethmann-Hollweg souhaiterait faire de l’Allemagne la puissance dominante de l’Europe centrale, vassaliser la Belgique, annexer de vastes territoires situés dans le Nord-Est de la France, ainsi que le grand-duché de Luxembourg. Il envisage également d’intégrer au sein d’une vaste union douanière, sous direction allemande, l’Autriche-Hongrie, la Hollande et, éventuellement, les Pays scandinaves, une Pologne restaurée et l’Italie. Face à ces initiatives prussiennes, le Royaume de Bavière oppose ses propres revendications : prise de position en Alsace, disparition de la Belgique en tant qu’État indépendant (un partage avec la Hollande et le Luxembourg est envisagé), accès à l’embouchure du Rhin15. Le roi Louis III, jusque là peu empressé d’entrer en

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Bethmann-Hollweg occupe, de 1907 à 1909, la charge de secrétaire d’État à l’Intérieur. Il s’était montré favorable à une autonomie véritable pour l’Alsace-Lorraine, déclarant : « Aussi longtemps que l’Alsace-Lorraine demeure comme un Reichsland, un simple objet soumis au pouvoir, elle ne se développera jamais en accord avec le Reich ». Ces projets de libéralisation avaient d’abord été repoussés par le chancelier von Bülow. L’accession de Bethmann-Hollweg à la chancellerie, en 1909, offre l’opportunité de rouvir le débat sur le statut de l’Alsace-Lorraine. Roth (François), La Lorraine annexée, op. cit., p. 557.

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Ibidem, op. cit., p. 558.

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Friedrich Naumann (1860-1919), pasteur protestant et homme politique. Il fonde, en 1896, l'Association nationale sociale, dans le but de fournir une alternative sociale-libérale à la démocratie sociale, au programme fortement marqué par le nationalisme. En 1907, il est élu au Reichstag sous les couleurs du parti progressiste populaire.

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Bundesarch. Abt. DR, R 43/155. Lettre de Friedrich Naumann, 11 septembre 1914. « Il me semble particulièrement important de connaitre l’avis des autres courants politiques en Alsace, à savoir dans quelle mesure le centre et les socio-démocrates approuvent ces propositions ».

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guerre entend que l’effort militaire exigé des Bavarois ne soit pas au bénéfice exclusif de la Prusse16. Ces prétentions territoriales obligent le gouvernement impérial à tenir compte des particularismes des États méridionaux, qu’il avait visiblement minorés. C’est dans ce contexte qu’intervient le premier plan de partage de l’Alsace-Lorraine, élaboré par le Statthalter von Dallwitz, à la recherche d’une réforme institutionnelle pour le Reichsland, soucieux également de concilier des intérêts divergents. Dans un rapport adressé à l’Empereur le 31 octobre 1914, von Dallwitz suggère un partage pragmatique entre États fédérés frontaliers du Reichsland : l’intégration de la plus grande partie de l’Alsace-Lorraine à la Prusse (la Sarre prussienne jouxte la Lorraine) ; le rattachement à la Bavière des arrondissements limitrophes du Palatinat (Wissembourg, Haguenau, éventuellement Forbach) ; la cession au grand-duché de Bade de la partie méridionale de la Haute-Alsace17. Von Dallwitz envisage également, dans l’hypothèse d’annexions territoriales aux dépens de la France, que la Prusse s’attribue le bassin de Briey et le versant occidental des Vosges, de Belfort à Charleville ; de cette façon, « la Prusse restait puissance protectrice de l’Empire18 ».

La question du partage de l’Alsace-Lorraine est débattue au cours de deux conseils des ministres (Staatsministerium) du Royaume de Prusse, en avril et en septembre 1915. Le débat porte alors sur deux solutions : l’incorporation de l’Alsace-Lorraine à la Prusse ou le partage entre états fédérés, l’autonomie étant, à cette date, écartée d’un revers de la main par le vice-chancelier Karl Helfferich comme par le secrétaire d’État à l’intérieur Max Wallraf19. Anticipant les réactions hostiles des états méridionaux face à un agrandissement territorial prussien excessif, on prévoit d’ajourner cette question au lendemain de la future paix. On s’accorde sur le fait que l’Alsace-Lorraine ne devra pas être partagée entre plus de deux ou trois États. Il conviendra enfin de favoriser, à l’avenir, le développement économique et le recrutement de fonctionnaires issus du pays20. Une rencontre se tient le 3 avril 1915 à la chancellerie, réunissant Bethmann-Hollweg, le secrétaire d’État Delbrück, le sous-secrétaire d’État Arnold Wahnschaffe, mais aussi des représentants des États fédérés. Le chancelier, convaincu que la revendication autonomiste ne constitue qu’un faire-valoir de la part de notables francophiles, exprime son impatience de voir l’entité alsacienne-lorraine définitivement rayée de la carte de l’Allemagne21.

Le problème est une nouvelle fois abordé en Conseil des ministres de Prusse le 29 octobre 1915. On évoque le principe d’un partage, qui confierait à la Bavière le nord de l’Alsace et le nord-est de la Lorraine (arrondissement de Forbach), soit un territoire représentant quelques 425 000 habitants22. La Prusse récupérerait la Lorraine, la moitié de la Basse-Alsace comprenant Strasbourg,

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Bogdan (Henry), Histoire de la Bavière, Paris, Perrin, 2007, p. 244.

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Geh. Staatsarchiv Preuss. Kulturbesitz, I. HA Rep. 90 Annex E 3. Réunion du conseil des ministres du Royaume de Prusse du 10 avril 1915 ; ces débats sont également cités dans Wolfram (Georg), dir., Das Reichsland Elsass-Lothringen (1871-1918), Berlin, 1934-1938, pp. 89-90.

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Fischer (Fritz), Les buts de guerre de l’Allemagne impériale (1914-1918), Paris, Éd. de Trévise, 1970, p. 190.

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Geh. Staatsarchiv Preuss. Kulturbesitz, I. HA Rep. 90 Annex E 3. Réunion du conseil des ministres du Royaume de Prusse du 10 avril 1915. « À l’occasion des échanges d’alors avec les représentants de la Bavière, de la Saxe, du Wurtemberg et du grand-duché de Bade, la Bavière avait revendiqué la totalité de l’Alsace. Le Wurtemberg et le pays de Bade avaient à cette occasion émis des réserves vis-à-vis de ce plan et fait savoir qu’ils préféraient encore que la Prusse obtienne le Reichsland dans son ensemble ».

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Ibidem.

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Landesarch. BW Karlsruhe, 49 Nr. 2048. Rapport du ministre d’État badois von Dusch, 3 avril 1915. « Il est apparu que l’ancienne revendication d’autonomie ne cherchait pas à rapprocher plus étroitement le pays de l’Empire, mais plutôt à préparer sa sécession (changement de cap vers l’ouest) ».

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Pol. Arch. Auswärtiges Amt, R 2976. Lettre adressée par le ministre de l’Intérieur au ministre d’État, secrétaire d’État aux Affaires étrangères von Jagow. « Les cercles de Wissembourg, de Haguenau et de Sarreguemines, le cercle de Forbach à l’exception d’une petite pointe au sud-ouest comprenant l’importante ville de garnison de Morhange (Mörchingen), la moitié nord du cercle de Saverne, c’est-à-dire les cantons de Sarre-Union, Drulingen, La-Petite-Pierre (Lützelstein) et Bouxwiller,

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ainsi que la région de Colmar. Il est prévu de rattacher ces territoires, sur le plan administratif, à la Prusse rhénane, avec chefs-lieux de districts (Bezirk) à Trèves, Strasbourg, Metz et, éventuellement, Colmar23. On ne voit guère d’inconvénient à séparer l’Alsace et la Lorraine, deux territoires dont l’association, conséquence du traité de Francfort, apparait artificielle24. Si l’incorporation dans le Royaume de Prusse constitue la solution privilégiée, parce qu’elle répond le mieux aux objectifs de germanisation de l’Alsace-Lorraine25, on redoute que cette solution ne se heurte à l’opposition des catholiques et des libéraux, vraisemblablement hostiles à toute expansion prussienne dans le sud de l’Allemagne26. Les prises de position des ministres en disent long sur les inquiétudes qui agitent les milieux gouvernementaux allemands. Reinhold von Sydow, ministre de l’Économie et du Commerce, déplore les concessions faites au particularisme alsacien par les Statthalter successivement nommés à Strasbourg, et se montre réticent au plan de partage proposé. Il estime à 9 millions de marks annuels le cout d’entretien de la région ; seule la Prusse disposerait de la taille critique pour intégrer l’Alsace-Lorraine, comme la France a pu le faire avant 1870. Si un partage avec la Bavière apparait susceptible de faciliter le vote de la loi, une telle solution favoriserait un particularisme bavarois, déjà jugé insupportable à Berlin ! Enfin, d’un point de vue économique, il n’apparait pas souhaitable que la Bavière mette la main sur les gisements de charbon de l’arrondissement de Forbach, au risque de susciter une concurrence contraire aux intérêts des mines fiscales prussiennes de la Sarre27. Adolf Wild von Hohenborn, ministre de la Guerre, se montre lui aussi opposé au partage afin d’éviter la division du commandement militaire et celle du réseau ferré28. Si une partie de la Basse-Alsace devait toutefois échoir à la Bavière, il conviendrait de constituer un corridor sous administration prussienne le long de la frontière franco-allemande29. Enfin, le ministre de la Guerre pense que la Bavière n’est pas en mesure d’assurer la défense de l’Alsace par ses seules forces30. Friedrich Wilhelm von Loebell, ministre de l’Intérieur, craint quant à lui qu’un partage du Reichsland ne conduise à une grande complexité de l’organisation administrative et militaire du Rhin supérieur ; il souhaite en outre que l’Alsace ne devienne pas une exclave prussienne31. Depuis Strasbourg, Johann von Dallwitz relève que la germanisation de l’Alsace-Lorraine ne peut passer que par un partage ou la réunion à un État fort, en mesure d’affronter le particularisme local32. Dans ce contexte, le Ministère d’Alsace-Lorraine

l’ensemble du cercle de Sarrebourg et les cantons d’Albestroff et de Château-Salins, qui font la liaison au nord entre les cercles de Sarrebourg et de Forbach ».

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Geh. Staatsarchiv Preuss. Kulturbesitz, I. HA Rep. 90 Annex E 3. Rapport au sous-secrétaire d’État Wahnschaffe, septembre 1915.

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Geh. Staatsarchiv Preuss. Kulturbesitz, I. HA Rep. 90 Annex E 3. Réunion du conseil des ministres du Royaume de Prusse du 29 octobre 1915. « L’Alsace et la Lorraine n’étaient pas liées entre elles du temps français ; c’est l’Allemagne qui a créé cette liaison contre-nature ».

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Ibidem. « Dans cette affaire, lui-même, bien que natif de Bavière, considérerait comme la meilleure des solutions que l’ensemble du Reichsland revienne à la Prusse ».

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Geh. Staatsarchiv Preuss. Kulturbesitz, I. HA Rep. 90 Annex E 3. Rapport au sous-secrétaire d’État Wahnschaffe, septembre 1915.

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Pol. Arch. Auswärtiges Amt, R 2976. Mémoire du ministre de l’Economie et du Commerce, 18 octobre 1915. « Plus la structure étatique sera importante, plus il sera aisé au plus petit de se fondre et de se développer au sein du grand ensemble ».

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Geh. Staatsarchiv Preuss. Kulturbesitz, I. HA Rep. 90 Annex E 3. Rapport au sous-secrétaire d’État Wahnschaffe, sept. 1915. « Il ne serait pas acceptable pour la Prusse de maintenir, en territoire prussien, et aux côtés des chemins de fer prussiens, un réseau ferré particulier ».

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Geh. Staatsarchiv Preuss. Kulturbesitz, I. HA Rep. 90 Annex E 3. Mémoire rédigé par le ministre de l’Intérieur, 12 novembre 1915. Un tel corridor pourrait être constitué par les cantons de Réchicourt (Rixingen) et Lorquin (Lörchingen).

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Ibidem. Réunion du conseil des ministres du Royaume de Prusse du 29 octobre 1915. « La proposition du ministre de la

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