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II. 1 Analyse des institutions

II.1.1 Les institutions : de quoi parle-t-on ?

II. 1 Analyse des institutions

Les institutions ont le statut de données pour les théories néoclassique et marxiste et sont, par conséquent, évacuées de l’analyse. Cependant, le contexte historique des trente dernières années du dernier siècle (disparités des économies en développement, chute de communisme dans les pays de l’Est, changements institutionnels dans le monde, crises financières au Japon et dans les pays de l’Asie du Sud-Est …) a suscité un intérêt croissant pour l’analyse institutionnelle. La compréhension de manière approfondie de ces évènements nécessite la prise en compte de leur dimension institutionnelle. Une nouvelle économie institutionnelle va voir le jour aux Etats-Unis et en Europe et signale l’importance des institutions dans l’étude de l’économie. Désormais, les institutions sont une catégorie importante dans l’analyse économique. Ainsi, un nombre grandissant de publications portant sur les institutions a été produit à travers le monde. En effet, les théories économiques composant la grande famille de l’économie institutionnelle (institutionnalisme originaire et institutionnalisme contemporain)25 partagent, en dépit de la diversité de leur objet et de leur méthodologie, la thèse selon laquelle l’institution est une unité de base élémentaire de l’analyse économique. Comment définir les institutions ? Quels sont leurs caractéristiques et leur rôle, notamment dans le développement ? Comment mesurer la qualité les institutions ? C’est à ces questionnements que cette section essaiera de répondre.

II.1.1 Les institutions : de quoi parle-t-on ?

Etymologiquement, le mot « institution » provient du verbe latin instituo qui signifie établir, placer comme principe, organiser quelque chose qui existe. Cette acception ancienne désigne un processus de mise en place et d’organisation des structures (Guéry, 2003).

De manière générale, le terme institution peut être employé pour désigner une kyrielle d’éléments divers (famille, entreprise, Etat, école, association, marché, mariage, interdiction du crime, solidarité…) qu’on peut classer dans plusieurs catégories (organisation, collectif, communauté, communion, règle, norme, valeur…). La notion d’institution semble complexe et polysémique, ce qui rend sa définition malcommode. Nous puisons dans le corpus

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Institutionnalisme originaire renvoie aux écoles historiques allemande (Schmoller), américaine (Veblen, Hamilton, Commons et Polanyi) et autrichienne (Menger et Hayek). Institutionnalisme contemporain correspond à la nouvelle économie institutionnelle, à l’économie des conventions et à la théorie de la régulation.

théorique de la grande famille de l’économie institutionnelle (originaire et contemporaine) pour extraire l’essentiel des acceptions que cette notion recouvre.

Dans l’institutionnalisme américain, la notion d’institution est l’unité d’analyse de base dans la théorie de comportement de Thorstein Veblen (1857-1929). A partir de trois concepts clés formant sa théorie de comportement (instincts, habitudes mentales et institutions) et en faisant le lien entre le biologique, le psychologique et le social, Veblen définit les institutions comme des « habitudes mentales prédominantes, des façons très répandues de penser les rapports

particuliers et les fonctions particulières de l’individu et de la société » (Veblen, 1899a, p.

125). Pour Veblen, c’est la recherche de la satisfaction d’instincts, des traits héréditaires transmis génétiquement (propensions universels et biologiquement hérités), qui entraîne la formation des habitudes. Une partie de ces habitudes acquiert une dimension sociale en devenant des institutions par l’intermédiaire d’une causalité cumulative. Dit autrement, les institutions sont la concrétisation de certaines habitudes mentales au niveau social. Il faut comprendre qu’au sens de Veblen, les institutions sont des conventions, des normes, des lois, des coutumes… Par ailleurs, les institutions, en tant que normes stables ou préexistantes, peuvent influencer les instincts et les habitudes dans la poursuite de certains objectifs (retour de l’effet sur la cause). Un individu naît dans un environnement institutionnel, ses habitudes sont formées par les institutions préexistantes avant de pouvoir éventuellement les modifier. Veblen affirme aussi que les institutions exercent une influence directe sur les conditions de vie matérielle qui constituent l’environnement des individus au travers de la création de nouvelles technologies et de nouveaux outils.

John Rogers Commons dans sa contribution à l’économie institutionnaliste a opéré un déplacement de l’objet d’analyse de l’économie standard (centrée sur action individuelle) ; l’économie doit porter son étude sur l’action collective. Celle-ci permet en effet d’avoir une nouvelle conception des comportements en intégrant les institutions à la théorie économique (Corei, 1995). Il définit l’institution comme « l’action collective qui restreint, libère et étend

l’action individuelle »26. Ces trois dimensions expliquent les fonctions de l’institution comme médiation de l’individuel et du collectif. Dans cette optique, les institutions constituent des contraintes que l’action individuelle ne peut dépasser. Elles rendent prévisibles les comportements des autres et étendent et libèrent l’action individuelle. : « en définissant des

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droits, en plaçant des limites à la volonté individuelle, en spécifiant des champs d’exercice régulés de la liberté, les institutions rendent prévisibles les comportements des autres et contiennent temporairement les conflits » (Corei, 1995, p.29). Pour Commons, l’action

collective ou l’institution est le produit de la répétition attendue des transactions, définies comme l’unité première des interactions humaines. Il distingue deux formes d’institutions : la coutume (institution non organisée ou informelle) et l’institution organisée (unités modernes).

Douglas North (figure majeure de la nouvelle économie institutionnelle) affirme, contrairement à l’économie institutionnelle originelle, qu’il est important de distinguer institutions et organisations. Les institutions sont les règles de jeux (pour reprendre sa métaphore) qui définissent la manière dont les hommes interagissent, alors que les organisations sont des groupes d’agents engagés dans un projet commun avec des objectifs à atteindre. Dans cette optique, D. North (1994) donne une définition des institutions qui sert de référence à de nombreux développements théoriques « Les institutions sont les contraintes

établies par les hommes qui structurent les interactions humaines. Elles se composent de contraintes formelles (comme les règles, les lois, les constitutions), de contraintes informelles (comme des normes de comportement, des conventions, des codes de conduite auto-imposés) et des caractéristiques de leur application »27. Dans cette définition, D. North souligne trois points qui sont récurrents dans l’approche économique des institutions : la notion de contrainte, la distinction entre formel et informel et la mise en application de ces deux genres de contraintes. Sur ce dernier point, D. North arrive à la conclusion que les institutions sont les résultats d’un effort intentionnel des hommes pour maîtriser leur environnement et le rendre plus prévisible (North, 2005). Cet effort est constant pour réduire l’incertitude et permettre d’améliorer l’aptitude de l’agent à maîtriser l’environnement. Les instituions constituent, elles-mêmes, un environnement échappant pour une partie aux hommes, donc une source d’incertitudes.

Pour la théorie de la régulation, les institutions sont la codification d’un ou de plusieurs rapports sociaux fondamentaux. Cette théorie repose en effet sur l’analyse de cinq formes

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cf, D. North article « Economic performance througth time », American Economic Review, vol. 84, n° 3, juin 1994, en suivant Chavance (2007) dont nous utilisons par ailleurs la traduction (Chavance, 2007, p. 65).

institutionnelles nécessaires et suffisantes à la viabilité d’une économie capitaliste (R. Boyer, 2003). Il s’agit des formes institutionnelles suivantes :

· Forme de la monnaie (monnaie, politique monétaire, financement de l’économie, etc.) · Forme du rapport salarial (configuration du rapport capital/travail, organisation du

travail, détermination du revenu salarial, etc.)

· Forme de la concurrence (formation des prix, mécanismes concurrentiels, degré de concentration, etc.)

· Forme d’insertion dans l’économie mondiale (relations commerciales et financières, investissements directs étrangers, etc.)

· Forme de l’Etat (compromis institutionnels, règles, évolution des dépenses publiques, etc.)

Pour la théorie de la régulation, les institutions émergent dans des moments de conflits sociaux à travers des compromis institutionnalisés. Cette émergence s’effectue, le plus souvent, dans la sphère politique qui demeure le lieu essentiel de la formation et de la légitimation (reconnaissance par le droit) de ces compromis (R. Boyer, 2003).

L’économiste anglais Geoffrey Hodgson renoue avec la large conception issue de l’institutionnalisme originel en incluant les organisations dans les institutions. Il livre une définition plus précise des institutions qui met en exergue plusieurs de leurs caractéristiques. « Les institutions sont des systèmes durables de règles sociales, et de conventions établies,

encastrées (embedded), qui structurent les interactions sociales. Le langage, la monnaie, le droit, les systèmes de poids et mesures, les manières de table, les firmes (et autres organisations) sont tous des institutions. La durabilité des institutions découle en partie de ce qu’elles peuvent utilement créer des attentes stables sur le comportement des autres. Généralement, les institutions permettent la pensée ordonnée, l’anticipation et l’action, en donnant forme et cohérence aux activités humaines. Elles dépendent des pensées et des activités individuelles, mais ne peuvent y être réduites »28. Cette définition implique un certain nombre de points. Il s’agit, en premier, de la durabilité et de la stabilité qui caractérisent les institutions. La Nouvelle Economie Institutionnelle fait l’hypothèse d’une faible variabilité des institutions dans le temps (Ménard, 2003). Deuxième point et sur le plan

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cf. Hodgson G. (2003) article « The hidden persuaders : institutions and individuals in economic theory», Cambridge Journal of Economics, vol. 27, n° 3, mars, cité par B. Chavance (2007), dont nous utilisons d’ailleurs la traduction (Chavance, 2007, p. 96).

fonctionnel, les institutions apportent de l’ordre dans les actions des acteurs et les relations qu’ils entretiennent entre eux. Enfin, les institutions ne dépendent pas seulement des activités humaines, mais elles les contraignent et les façonnent aussi. Une rétroaction positive qui met en évidence le caractère autorenforçant et autoentretenu des institutions (Chavance, 2007).

La notion d’institution, dont nous venons de restituer l’essentiel de ses acceptions, sera mobilisée pour comprendre les mécanismes de régulation (institution comme instance régulatrice) de l’activité touristique dans les deux régions étudiées (chapitre 3, sections III.2 et III.3). Dans cet exercice, cette notion sera utilisée au sens de D. North (toutes les règles et normes régissant les interactions humaines) et dans sa double composante : institutions formelles (règles, lois, décrets…) et institutions informelles (normes, valeurs, codes de conduites…).

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