• Aucun résultat trouvé

II. 1 Analyse des institutions

II.1.4 Institutions et développement

Traditionnellement, les explications du sous-développement qui dominaient dans l’après-guerre sont scindées en deux grands courants. D’un côté, les tiers-mondistes (néomarxistes, dépendantistes et structuralistes) qui expliquent le retard des pays sous-développés par l’exploitation et le pillage subis de la part des pays avancés depuis les grandes découvertes. De l’autre côté, le courant néoclassique, à travers le schéma de Rostow, qui avance que le processus de développement économique, qui est de nature industrielle et dont l’origine est la révolution industrielle, se diffuserait progressivement dans le monde. Les expériences du développement réel dans le tiers-monde ont discrédité ces deux explications (Brasseul, 2000).

Face à cette défaillance, les théories institutionnalistes apportent des éclairages pertinents pour expliquer les écarts de développement, le succès des uns et les échecs des autres. Longtemps évacuées des théories du développement, les institutions ont été mises en avant par le courant institutionnaliste. En somme, selon ce courant, les institutions sont la clé de la performance économique (North, 1992)33.

33

North D cité par Brasseul Jacques., 2000, « Le rôle des institutions dans le développement économique : les leçon de l’histoire », La jaune et la rouge, n° 552, février.

Sur la question de progrès socio-économique, Veblen pose que celui-ci se produit lorsque les sociétés acquièrent des institutions propices à la croissance de leur stock de connaissances techniques. Ce dernier est indispensable à l’accroissement des capacités productives de toute société et, par-là, à l’adaptation de l’homme à son environnement naturel. Cependant, cette condition n’est pas suffisante au progrès. Les compétences techniques, qui ne sont qu’un moyen d’action, peuvent être à la fois efficaces et nuisibles. En effet, certains groupes d’individus peuvent utiliser ces compétences pour détourner l’efficacité productive de la société à leurs bénéfices et légitimer les rapports de domination dans la société (Brette, 2004).

Dans l’économie institutionnelle de Commons, les transactions se réalisent dans un monde où existent des règles de fonctionnement produites par l’action collective ou l’institution. Commons montre le rôle des institutions dans le développement à travers deux facteurs, à savoir l’environnement institutionnel et le pouvoir réglementaire de l’Etat. Le premier facteur est le produit de l’action collective qui détermine les règles de fonctionnement en vigueur. Le deuxième facteur relève de l’action de l’Etat et concerne notamment la fiscalité des activités économiques. Les règles de fonctionnement dépendent de la force des tribunaux dont les décisions se traduisent par de grands changements dans les valeurs et de grands transferts de valeurs d’individus et classes données vers d’autres individus et classes. Les règles de conduite qui émergent de ce mécanisme tiennent compte de l’interdépendance de l’économie, du droit et de l’éthique. Le blocage de ce mécanisme engendre un désordre au sein de la société et expliquerait la situation de sous développement. Les règles de la fiscalité, dont les effets sont inévitables sur l’activité économique, doivent être incitatives à l’augmentation de la richesse collective. Elles reposent sur le principe de l’équité qui garantit les intérêts de la communauté (Hassan Houssein, 2008).

Plus récemment, on trouve une théorie plus élaborée sur le rôle des institutions dans le développement économique chez le courant institutionnaliste de la New Economic History, avec son chef de file Douglas North. Ce courant se distingue de l’institutionnalisme originaire par sa synthèse entre l’analyse des instituions et la pensée néoclassique. Néanmoins, North dans son ouvrage (2005) abandonne l’hypothèse de rationalité néoclassique. « (La théorie

néoclassique) présente trois déficiences fondamentales qu’il est nécessaire de surmonter pour comprendre le processus du changement économique. Elle est sans friction, elle est statique et elle ne tient pas compte de l’intentionnalité humaine. » (North, 2005, p.95). Pour lui, le

maîtriser son environnement et le rendre davantage prévisible (North, 2005). D’ailleurs, c’est ce processus qui est à l’origine des institutions ayant pour objectif de réduire l’incertitude. Or, partant des hypothèse de rationalité et d’information parfaite (incertitude nulle), l’économie néoclassique construit des modèles universels qui ne sont pas aptes à rendre compte à la fois du fonctionnement dynamique et réel de l’économie. Le processus de développement économique du point de vue institutionnel de North suppose donc une rupture avec l’économie orthodoxe (Prévost, 2010). Les éléments de cette rupture sont expliqués par B. Prévost (2010) cherchant à déterminer leurs implications sur la pensée du développement et les possibilités de réformes institutionnelles.

Le marché et l’économie ne peuvent être abordés d’un point de vue statique. La détermination des meilleures institutions pour permettre le développement demeure insuffisante pour comprendre le pourquoi de la mise en place de telles institutions. La meilleure justification en est que « le changement économique est un terrain fertile pour le désordre puisqu’il provoque

des changements dans le revenu absolu et relatif, le résultat économique et la sécurité des individus et des groupes dans une société.» (North, 2005, p.137).

La structure créée par les humains pour organiser leur environnement politico-économique détermine essentiellement les performances économiques car elle fournit les incitations orientant les choix des humains. Cette conception permet de comprendre dans quelles conditions certaines institutions ont favorisé le développement de marchés efficaces. Les institutions qui garantissent les droits de propriété permettent de réduire les coûts de transaction et d’accroître la productivité et donc d’améliorer les performances économiques (North, 2005, p.20).

La mise en place d’institutions se heurte à divers problèmes. En effet, les nouvelles institutions génèrent du désordre social. Celles-ci, qui correspondent à la capacité de certains individus à imposer leur représentation du monde en imposant des relations hiérarchiques, se réalisent en évinçant certains groupes d’individus. Cette réalité est illustrée par North en citant l’exemple des droits formels de propriété foncière qui peuvent exclure ceux qui jouissaient informellement de l’usage de certaines terres (North, 2005). Un dilemme de justice sociale qui soulève des interrogations sur les liens entre institutions, performances économiques et justice sociale, souligne B. Prévost (2010).

La mise en place de « bonnes » institutions est liée à la nature même du processus de développement. Au cours de ce dernier, s’élaborent progressivement des matrices institutionnelles qui, en répondant en partie, à l’incertitude, créé des pesanteurs et déterminismes forts en limitant les possibilités d’innovation. C’est ce que North appelle « path dependence ». De surcroît, ces matrices, en interactions continuelles avec l’environnement, génèrent de nouvelles difficultés à comprendre, ce qui donne au changement un caractère « incrémental ». Mais le changement demeure continuel.

La constitution d’une matrice institutionnelle et organisationnelle ne se fait pas d’un jour à l’autre et son fonctionnement n’est jamais automatique ni naturel (North, 2005). Des institutions adoptées pour une époque et une société particulières peuvent ne pas l’être pour une autre époque et une autre société car l’environnement humain change dans le temps et dans l’espace.

Pour appréhender les conditions réelles du développement économique, en particulier dans les pays où les explications avancées en la matière se trouvent dans une impasse, B. Prévost trouve dans l’ « ingénierie sociale » de North (2005) une démarche pertinente pour dépasser ce pessimisme. Une démarche qui procède par expérimentations, essais et erreurs, loin de l’application d’un modèle universel. Elle suppose une sortie du cadre analytique de l’orthodoxie néoclassique et une élaboration d’une théorie pluridisciplinaire du développement capable de saisir la complexité des processus du changement économique.

Nous étudions les rapports entre institutions et développement dans nos deux régions d’étude à travers les rôles des différentes politiques touristiques et des acteurs institutionnels dans le processus de développement touristique.

Documents relatifs