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Exploitation d'une structure caractérisant l'environnement

7.1 Inspiration biologique

Chez les êtres vivants, la prise en compte de l'espace fait intervenir diérentes régions fonc-tionnelles. Des études menées chez des patients sourant de lésions cérébrales ont montré que ces régions correspondent à des aires diérentes dans le cerveau. Des études menées par Berti et Franssinetti [12] ont montré qu'une de leur patiente sourait d'héminégligence dans l'espace lointain, mais pas dans l'espace péri-personnel. L'exercice consiste à barrer des lignes sur une feuille située devant soi, et des lignes disposées sur un tableau distant à l'aide d'un pointeur lu-mineux. La patiente a omis de barrer les lignes situées de son coté gauche sur le tableau, mais a barré toutes les lignes tracées sur la feuille. En revanche, en utilisant un bâton plutôt qu'un poin-teur, l'héminégligence disparaît. En eet, la manipulation du bâton étend l'espace péri-personnel jusqu'à couvrir le tableau. Cette étude montre qu'il y a bien une séparation fonctionnelle entre l'espace péri-personnel et l'espace lointain, mais également que la frontière entre ces deux espaces est dynamique et s'adapte aux possibilités d'interactions entre un agent et son environnement.

Cette séparation fonctionnelle et dynamique de l'espace a également été étudiée chez le singe [79]. Ces études montrent que l'espace péri-personnel prend en compte l'utilisation d'un outil, à condition que celui-ci soit utilisé de manière active par l'animal : si le bras portant l'outil est manipulé par un expérimentateur, l'outil n'est pas pris en compte dans l'espace péri-personnel de l'animal. L'espace péri-personnel peut également s'étendre au reet dans un miroir, ou une image des membres sur un écran [66]. Ceci montre que la notion d'espace péri-personnel est fortement liée aux interactions entre l'agent et son environnement, et à la façon dont il l'expérimente, et non à une information issue d'une mesure perceptive simple (comme une mesure de distance, par exemple).

Si un obstacle empêche d'atteindre un objet situé dans l'espace péri-personnel, alors la région inaccessible n'est plus considérée comme faisant partie de l'espace péri-personnel par certains neurones miroir, même si l'objet est perceptible [18] [78]. L'espace péri-personnel est ainsi lié aux possibilités d'interactions et donc à leur accessibilité : en eet, un agent ne peut pas interagir

7.1. Inspiration biologique avec une région non accessible.

Nous dénissons deux mécanismes distincts pour représenter l'espace péri-personnel et l'es-pace lointain. L'esl'es-pace péri-personnel correspond à l'esl'es-pace que l'agent peut atteindre en eectu-ant une séquence courte d'interactions (de 1 à 4 dans nos implémentations présentées au chapitre 9). L'espace lointain correspond à l'espace entourant l'agent nécessitant plus d'interactions pour l'atteindre. Notons que l'espace lointain englobe l'espace péri-personnel. Le mécanisme gérant l'espace péri-personnel n'est donc pas forcément nécessaire. Cependant, les expérimentations montrent que son usage est conseillé pour améliorer la facilité avec laquelle l'agent se rapproche des objets proches.

7.1.1 Espace péri-personnel

Ce premier mécanisme doit permettre à un agent de tenir compte des objets "proches" de lui, c'est-à-dire pour lesquels une courte séquence d'interactions permet de les atteindre et d'interagir avec eux. Ce mécanisme est inspiré d'une expérience eectuée chez le singe sur l'encodage des mouvements dans l'espace [54].

Cette étude a montré que les neurones du cortex précentral sont associés à des postures complexes du corps, impliquant notamment la position du bras et de la tête. Lorsque l'un de ces neurones est stimulé électriquement, le singe prend la pose correspondante, indépendamment de la pose initiale, et la garde tant que la stimulation est présente. En testant plusieurs de ces neurones et en comparant la position nale de la main par rapport au corps, il est apparu que leur répartition forme une représentation topographique de l'espace atteint par la main. Cette étude semble donc montrer qu'une position dans l'espace péri-personnel est représentée par le geste qui permet de l'atteindre. La représentation de l'espace décrite ici ne concerne que l'espace péri-personnel : la position est donnée en fonction des angles des articulations des membres du singe. Cependant, en prenant pour principe que l'intégration d'un déplacement est équivalent à une position, ce principe est appliqué à l'espace environnant, atteignable en eectuant des séquences d'interactions courtes.

Le principe de cette mémoire spatiale à courte portée s'inspire des observations décrites dans les expériences menées par Murata et al. [88] (Chapitre 5) et par Graziano et al. [54] (décrite ci-dessus) : on dénit une position comme une région de l'espace qui peut être atteinte en ef-fectuant une certaine séquence d'interactions, et une instance d'objet comme une conguration spatiale d'éléments de l'environnement qui aorde une interaction, indépendamment de sa posi-tion relative à l'agent. Le fait qu'une instance d'objet soit caractérisée par l'interacposi-tion qu'elle aorde, indépendamment de la séquence d'interaction permettant de l'atteindre, fait qu'elle est liée implicitement à l'objet qui aorde cette interaction : la position, caractérisée par la séquence d'interactions permettant d'atteindre l'instance d'objet, ne modie que la façon dont l'agent expérimente l'objet (depuis la position initiale), et non l'objet lui-même.

Ce mécanisme implémente très dèlement la notion d'espace représentatif de Poincaré [107]. En eet, nous représentons une position de l'espace comme une séquence d'interactions

permet-Chapitre 7. Exploitation d'une structure caractérisant l'environnement

tant de l'atteindre, et non comme un ensemble de coordonnées ou de régions d'espace dotées de propriétés reétant leur position.

Notons qu'une même région de l'espace peut être atteinte par plusieurs séquences d'inter-actions. Cette redondance est utile et est exploitée par notre mécanisme de suivi des objets en mémoire. Il est ainsi possible de caractériser et localiser l'ensemble des éléments de l'espace proche de l'agent àl'aide d'une liste de séquences d'interaction, sans faire appel àune représentation explicite de l'espace. La portée de la mémoire spatiale dépend bien sûr de la longueur maximale des séquences d'interactions utilisées. L'espace proche de l'agent se résume ainsi àl'ensemble des séquences d'interactions qu'il peut énacter.

Mécanisme de sélection

L'étude de Murata et al. [88] a montré que les neurones du cortex prémoteur ventral s'activent lorsqu'un geste est possible, et ce, que l'animal eectue le geste ou non. Il est donc raisonnable de penser que ces neurones intègrent l'ensemble des gestes qu'un agent peut eectuer dans le contexte environnemental courant. Notre mécanisme repose sur ce principe : àchaque cycle de décision, le mécanisme de détection des objets (décrit au chapitre 5) détermine l'ensemble des interactions que l'agent peut énacter, en incluant, bien sûr, les séquences d'interactions aordées par les objets situés dans l'espace péri-personnel. Le mécanisme de décision sélectionne alors l'interaction possible la plus protable àl'agent, en se référant àsa motivation interactionnelle. Notons que ce mécanisme de décision rudimentaire conditionne l'agent comme purement réactif àson contexte. Les implémentations de ce mécanisme ont montré qu'il est susant dans un environnement simple adapté pour un agent sans perception lointaine.

Perception active

La perception active consiste àinteragir avec son environnement pour l'explorer et récupérer l'information d'exploration. La perception active implique qu'un agent élabore dans un pre-mier temps l'information dont il a besoin, et dans un second temps, qu'il énacte l'interaction permettant d'obtenir cette information.

La perception active est cohérente avec la théorie de Piaget selon laquelle il n'y a pas de séparation a priori entre l'action et la perception. Une perception est donc construite àpartir de l'exécution d'un scheme sensorimoteur de l'agent dans le but d'obtenir une information sur le système agent-environnement. Cette information est liée non seulement àla perception, mais également àl'action qui lui a donné naissance.

L'information manquante peut être dénie grâce aux signatures d'interaction (Chapitre 5). En eet, nous avons vu que l'on pouvait considérer les interactions et les objets qui les aordent comme équivalents. Les signatures d'interaction établissent un lien entre les objets qui aordent les interactions et la façon dont on peut expérimenter leur présence. On peut donc dénir l'in-formation manquante d'une interaction intention comme l'énaction des interactions permettant la détection de l'objet qui aorde l'interaction intention. Ainsi, l'intention précède la perception.

7.1. Inspiration biologique Dénir comment obtenir une information manquante revient à déterminer, pour chaque in-formation observable, l'interaction qui permet de l'obtenir. Les mammifères disposent d'une structure cérébrale, le colliculus, qui gère les saccades oculaires, mais est également responsable des mouvements de la tête et du tronc nécessaires à l'exécution des saccades oculaires [82]. Le colliculus créé un lien entre les positions de l'espace et les mouvements des yeux, de la tête et du tronc permettant d'observer cette position. Notons que le colliculus tient compte des positions de l'espace dans le référentiel de la tête et non des yeux, ce qui implique la capacité de pouvoir changer de référentiel. Nous nous inspirons de cette structure simple pour implémenter un mé-canisme associant les informations du contexte de l'agent et les interactions qui permettent de les obtenir.

Le fait d'utiliser des interactions dans le but d'obtenir des informations sur l'environnement se rapproche de la notion d'actions sensorielles épistémiques de Gatti [41], dénie comme une action  dans laquelle l'agent cognitif structure sa propre action sensorielle dans le but de recevoir de

l'environnement une sensation structurée qui porte de l'information 7. Certaines interactions de

l'agent peuvent ainsi être énactées dans le but de recueillir des informations sur l'environnement, plutôt que de satisfaire la motivation interactionnelle de l'agent.

Hypothèse vestibulaire

La plupart des êtres vivant disposent d'organes sensoriels leur permettant de mesurer leurs déplacements dans l'espace. On pense notamment au système vestibulaire des vertébrés [61], qui mesure les translations et les rotations. D'autres animauxplus simples, comme les insectes, disposent de poils sensitifs leur permettant de mesurer la vitesse relative de l'air. Le fait que la plupart des êtres vivants disposent de tels sens semble indiquer qu'un tel système fournit un avantage décisif qui a conduit à sa généralisation par le biais de l'évolution.

L'intérêt d'un tel organe sensoriel repose sur le fait que l'espace théorique des interactions possibles d'un être vivant a plus de dimensions que l'espace physique. En eet, deuxinteractions de l'agent avec son environnement peuvent produire un même mouvement dans l'espace.

Nous ne pouvons pas exploiter directement les informations issues d'un système vestibulaire : celui-ci étant diérent d'un individu à l'autre, il n'est pas possible de supposer que les stimuli sensoriels et leurs liens avec les déplacements dans l'espace soient connus a priori. Cependant, nous pouvons supposer que chaque interaction produit un unique stimulus vestibulaire. En eet, l'énaction réussie d'une interaction implique que le mouvement qu'elle génère a été eectué. Ainsi, même si il n'est pas possible de comparer a priori des stimuli vestibulaires diérents, il est possible de regrouper des interactions produisant un même mouvement.

7. Traduit de l'anglais :  in which the cognitive agent structures her own sensorial action in order to receive from the environment a feedback structured sensation that carries information  [41]

Chapitre 7. Exploitation d'une structure caractérisant l'environnement

7.1.2 Espace lointain

Le mécanisme d'exploitation de l'espace lointain permet à l'agent de tenir compte des objets situés dans son environnement global, et hors de portée de l'espace péri-personnel. Ce mécanisme exploite les informations fournies par la structure construite par le mécanisme de construction de la mémoire spatiale (décrit au chapitre 6), c'est-à-dire la structure de l'espace et le contenu de l'environnement courant. Il s'appuie sur l'intuition suivante : an d'énacter une interaction, il est nécessaire de se rapprocher d'un objet qui aorde cette interaction. Se rapprocher d'un objet aordant une interaction dotée d'une forte valeur de satisfaction est donc un événement positif pour l'agent au regard de sa motivation interactionnelle. De même, se rapprocher d'un objet aordant une interaction dotée d'une valeur de satisfaction négative sera un événement négatif. Ce mécanisme repose ainsi sur l'observation des variations de l'environnement interagi pro-duites par l'énaction des interactions, de façon à mesurer le rapprochement ou l'éloignement des aordances du point de vue de l'agent. Ce rapprochement permet d'attribuer aux interactions une valeur d'utilité, indépendante de leur valeur de satisfaction, caractérisant leur contribution à l'énaction future d'autres interactions. Un tel système permet de tenir compte de la motivation interactionnelle de l'agent à moyen terme, en tenant compte des aordances distantes comme des interactions potentiellement énactables dans un avenir proche.

7.2 Formalisation du mécanisme d'exploitation de la Mémoire