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Faut-il inscrire la décision dans le dossier du patient ?

3. Analyse du processus décisionnel

3.3. Faut-il inscrire la décision dans le dossier du patient ?

relatant les difficultés éventuelles rencontrées au cours du séjour en réanimation visant à émettre des réserves quant à l’intérêt d’une ré-hospitalisation ultérieure en réanimation pourrait tout de même se justifier. Quelle forme doit prendre cette traçabilité ?

Dans notre étude, les médecins attestent dans plus de 90% des cas que la décision de non-réadmission en réanimation est inscrite dans le courrier de sortie du patient et que les motifs ayant concouru à prendre cette décision y sont également renseignés. Les différents textes de lois et recommandations des sociétés savantes relatives aux décisions de LAT insistent tous sur l’importance d’une traçabilité de la décision dans le dossier du patient, seule garantie d’un processus décisionnel qui respecte les recommandations et la législation (2,3,9). La SRLF recommande en 2009 dans son « Actualisation sur les LAT en réanimation adulte » que « les éléments pris en compte lors de la décision de limitation ou d’arrêt des traitements, ses conclusions ainsi que la pertinence à une nouvelle réadmission en réanimation doivent figurer dans le compte-rendu d’hospitalisation » (3). Il s’agit, à notre connaissance, du seul texte de recommandation faisant allusion aux décisions de non-réadmission en réanimation. En ce sens, nos résultats sur ce point sont rassurants et sont en accord avec les « bonnes pratiques ». Ces données peuvent, néanmoins, paraître surprenantes au regard d’éléments moins optimistes dans la littérature : notamment, dans une étude publiée en 2009 évaluant les modalités de décisions de LAT en réanimation, Spronk et al. rapportent une absence de traçabilité de la décision dans un tiers des cas (52,56). De plus, dans une étude française citée précédemment, lorsque la non-

réadmission en réanimation était le seul motif de LAT (15% des LAT dans cette étude), la décision n’était argumentée et détaillée que dans 12,5% des cas (52). Dans notre étude, nous n’avons pas évalué la qualité de la traçabilité de la décision. Néanmoins, ces données laissent à penser que dans une proportion importante de situations, seule la mention d’une opposition à une réadmission en réanimation est inscrite dans le courrier de sortie sans préciser les intervenants ayant participé à la discussion, les conditions d’application voire la durée de validité de la décision et les modalités de la suite de la prise en charge. La seule mention d’une décision de non-réadmission ne semble pas suffisante et celle-ci doit s’intégrer dans une proposition plus globale quant à la prise en charge du patient.

La justification et les modalités mêmes de la traçabilité de la décision de non- réadmission peuvent également se discuter. D’une part, la mention d’une décision de non- réadmission dans un compte-rendu d’hospitalisation peut revêtir un caractère futile. En effet, alors que la moitié des admissions en réanimation ont lieu sur les horaires de gardes (57–59), où le médecin réanimateur est seul face à un patient en détresse, il est souvent difficile de réunir tous les éléments nécessaires à prendre en compte dans la décision de (ré)admission en réanimation : renseignements quant aux souhaits du patient sur la fin de vie, directives anticipées éventuelles, compte-rendu d’hospitalisations antérieures dont le compte-rendu d’un précédent séjour en réanimation etc., alors même que ces informations peuvent exister dans le dossier du patient (60). L’urgence de la situation peut ainsi conduire le médecin réanimateur à prendre une décision en désaccord avec ce qui aurait été inscrit dans un courrier de sortie ou un compte rendu d’hospitalisation rendant ainsi inutile la mention d’une décision de non- réadmission sur ce type de support.

A l’inverse, nous pouvons supposer que la notification d’une décision de non- réadmission dans un courrier de sortie pourrait être « dangereuse » dans le sens où elle pourrait occulter la nécessité d’une réévaluation clinique et d’une nouvelle discussion entre professionnels telle que nous l’avons évoquée précédemment. Il est probable que, dans une proportion importante de cas, le réanimateur ne serait pas sollicité par le médecin alors en charge du patient lorsque l’indication à une éventuelle réadmission se pose et qu’une décision de non-réadmission figure dans un compte-rendu d’hospitalisation, la décision pouvant être considérée comme « ferme et définitive ». Cette hypothèse mériterait d’être vérifiée dans un travail ultérieur, mais si cela se confirmait, l’inscription d’une décision de non-réadmission dans le courrier de sortie pourrait être inadaptée.

Enfin, la question de la traçabilité de la décision implique également de discuter la durée de validité de cette décision. Une fois inscrite dans le dossier du patient, la décision risquerait, en effet, d’être perçue comme « ferme et définitive » par tout médecin prenant en charge le patient au cours de ses différentes hospitalisations le cas échéant. Plusieurs médecins interrogés dans notre étude proposent de limiter les décisions de non-réadmission à l’hospitalisation actuelle, ou d’associer à la décision une clause de révision périodique et/ou conjoncturelle. Quelle qu’en soit la forme, l’idée d’une décision irrévocable dans le temps semble générer un certain malaise pour nombre de réanimateurs. D’autres médecins estiment au contraire que la traçabilité dans le courrier de sortie doit laisser une part de réinterprétation par les médecins du service d'aval avec la possibilité de recontacter les réanimateurs s'ils le jugent utile. Afin d’éviter toute ambiguïté qui pourrait être nuisible à une prise en charge médicale et éthique adaptée, il s’agit là encore, à notre sens, d’un nouvel argument pour ne pas inscrire les décisions de non-réadmission dans le compte-rendu d’hospitalisation du patient.

Si une traçabilité doit exister, il nous semble que la seule possibilité acceptable serait de restreindre cette traçabilité à un registre interne à chaque service de réanimation, n’engageant ainsi aucune contrainte sur la suite de la prise en charge des patients, mais permettant d’attirer l’attention des médecins réanimateurs sur le bénéfice potentiel, en « connaissance de cause », d’une réadmission en réanimation si l’indication se posait. A l’heure actuelle, il semble que des registres de ce type n’existent que dans très peu de services de réanimation (4%). Il pourrait s’agir d’un axe de réflexion visant à améliorer nos pratiques sur ce point.