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Une insécurité relative

Dans le document La nuit, dernière frontière de la ville (Page 84-87)

Chapitre 4 – Un système sous contrainte

5. Une insécurité relative

Pour de nombreuses personnes, la nuit serait le territoire de l’insécurité et de la violence. Pourtant, la ville la nuit n’est pas plus dangereuse que le jour: la mortalité n’est pas plus importante la nuit que le jour ; la délinquance de voie publique est moins importante même si les agressions et les dégradations sont plus nombreuses; les incivilités ont plutôt lieu en soirée sur les marges temporelles qu’au cœur de la nuit ; les cambriolages à domicile ont plutôt lieu en journée au moment où la plupart des résidents

entre 23 heures et 2 heures qui met autant en évidence le bruit que le niveau de tolérance des habitants et plaignants, notamment dans les centres-villes où se concentrent la moitié des plaintes. Par contre, les plaintes pour nuisances olfactives sont majoritai-rement diurnes.

Les incidents sur les réseaux de transport montrent une curité de fin d’après-midi, début de soirée plutôt qu’une insé-curité de nuit. Vandalisme, graffiti, malaises, salissures, alertes à la bombe, pétards, boules puantes, alarmes tirées, ivrognes, ont plutôt lieu aux heures de forte affluence vers 12 heures, 17 heures et 20 heures. Pour les jets de projectiles, agressions verbales, rixes entre clients, les pics se retrouvent vers 17 heures puis 19 heures. Pour les incidents, les agressions du personnel, altercations entre clients et personnel, voies de fait, présence d’armes, vols sans vio-lence, gaz lacrymogène, menaces, les pics sont également vers 17 heures avec un sursaut vers 22 heures. Les agressions phy-siques sérieuses, vols de caisse avec menaces ou violences, le maximum est atteint vers 16 heures. Ensuite, la situation se calme. Les incendies volontaires, coups de couteau, bagarres avec bles-sés, qui représentent à peine 1 % du total des incidents, ont lieu après 16 heures et entre 18 heures et 20 heures. Celles et ceux qui imaginent que ces incidents sont une invention récente se reporteront avec profit à un article du 22 septembre 1936 des

Dernières Nouvelles d’Alsacefaisant état d’une agression dans un tramway pendant laquelle quatre voyous avaient molesté les voya-geurs et attaqué le personnel et, nous dit-on, « ce n’est pas là un cas isolé, car trop souvent les receveurs de tramways sont la vic-time des agissements de personnages se trouvant dans un état d’ébriété plus ou moins avancé ».

L’obscurité semble effectivement propice aux dégradations. D’après les données fournies par la Police nationale et des entre-prises comme Decaux, une grande partie du mobilier urbain dégradé, des cabines téléphoniques vandalisées ou des abris bus le sont entre 20 heures et 23 heures. La plupart des taggers, « clan-destins nocturnes » – selon la belle expression de Julie Carpentier34–, opèrent de nuit. Une bonne part des dégradations que les 15 heures restant. Sur l’agglomération strasbourgeoise où nous

avons pu réunir l’ensemble des données: 31 % des vols à main armée ont lieu la nuit entre 21 heures et 6 heures; 47 % des vols à la rou-lotte; plus de 68 % des vols de véhicules automobiles; 23 % des vols avec violence et 50 % des dégradations. Même New York, « la ville qui ne dort jamais », connaît ces rythmes circadiens avec une forte diminution de la délinquance constatée la nuit: entre 1 heure et 8 heures la délinquance ne représente que 20 % du total. Même chose à Newcastle en Angleterre où sur la même tranche horaire, la délinquance ne représente que 19,5 % du total journalier.

Risques d’agression plus élevés

La nuit est bien l’alliée des manifestations de violence : agres-sions, affrontements violents. Les agressions de chauffeurs de taxis se passent effectivement plus souvent la nuit et surtout dans les « quartiers difficiles ». Il vaut mieux éviter les tranches horaires entre 19 heures et minuit quand les jeunes sont dehors. « On est plus en sécurité à 3 heures du matin », estiment les chauffeurs interrogés. L’agresseur est souvent un drogué en manque ou un petit délinquant. Les agressions les plus courantes ont lieu pour vol de recette. Les interventions du Samu suite à des agressions ou des rixes sont centrées sur la nuit et connaissent un pic entre 21 heures et 1 heure. Les agressions de livreurs de pizzas n’ont pas lieu en journée mais entre 19 heures et 21 heures.

L’insécurité peut également être mesurée à partir de statis-tiques diverses sur les incivilités qui empoisonnent la vie quoti-dienne et dont on a montré qu’elles influenceraient fortement le sentiment d’insécurité.

Incivilités sur les marges temporelles

Quels que soient les indicateurs privilégiés, ou plutôt dispo-nibles, on constate que les incivilités et autres dégradations ont plutôt lieu en soirée, sur les marges de la nuit, le plus souvent avant 1 heure du matin.

95,5 % des interventions de la police pour nuisance sonore et tapage nocturne ont lieu entre 21 heures et 6 heures, avec un pic

Pour la période hivernale, avec l’allongement de la période nocturne, l’apogée des incidents se situe avant 22 heures et l’ac-calmie matinale se prolonge jusqu’à 10 heures. Pour les mois de mai et juin par contre, le pic des incidents est très net entre 22 heures et 23 heures. Il semble bien que les fauteurs de troubles trouvent avantage à agir dans l’obscurité comme les exactions commises après sabotage de l’éclairage public dans des quartiers de Strasbourg ou de Reims. À Strasbourg, les incidents aug-mentent vers la fin de l’année pour atteindre leur apogée à la Saint Sylvestre.

Insécurité routière relative

D’après les chronobiologistes, il existerait un rythme des « acci-dents » dont le pic se situerait la nuit entre 3 heures et 5 heures. Les données des Compagnies républicaines de sécurité, du Samu, de la gendarmerie nationale et des collectivités consultées mon-trent que c’est aux heures de pointe de journée que les accidents sont les plus nombreux mais la nuit qu’ils sont les plus graves.

En France, l’Observatoire national interministériel de sécu-rité routière note qu’un accident sur trois seulement a lieu la nuit et deux sur cinq sur autoroute6. Les données horaires plus pré-cises des Compagnies républicaines de sécurité pour les voies rapides autoroutières montrent que les accidents de la circula-tion ont surtout lieu en journée au moment de l’entrée et de la sortie de la ville avec un pic entre 17 heures et 18 heures, un autre vers 20 heures et deux autres moins importants entre 8 heures et 10 heures et 12 heures-14 heures. Le creux se situe entre 21 heures et 7 heures pour les accidents corporels comme pour les accidents matériels. On retrouve le même creux noc-turne et les mêmes pics liés aux pointes de trafic avec les don-nées fournies par le Samu. Les dondon-nées précises sur les accidents de circulation sur la circonscription de Strasbourg-campagne confirment que le plus grand nombre d’accidents n’a pas lieu la nuit mais le jour. Toujours d’après la gendarmerie, c’est le ven-dredi, le samedi et les lendemains de fêtes que les accidents sont les plus nombreux.

de bâtiments ou de parterres constatées par les services munici-paux sont nocturnes. Dans les quartiers, les interventions des cor-respondants de nuit pour des problèmes de squats dans les caves d’immeubles, de nuisances sonores, d’incendie ou de dégrada-tions ont lieu en soirée avec un pic entre 20 heures et 22 heures alors que la cité ne dort pas encore.

Cambriolages nocturnes et cambriolages diurnes

D’après les services de gendarmerie et les informations du Centre de documentation et d’information de l’assurance, un quart des cambriolages d’habitations seulement a lieu entre 0 heure et 9 heures. C’est dans l’après-midi que les vols à domicile sont les plus fréquents. Par contre, plus de 80 % des cambriolages d’éta-blissements ont lieu entre minuit et 9 heures. D’autres informa-tions comme celles sur les « violences urbaines » permettent une autre mesure de l’insécurité et de la violence.

Violences urbaines sur les marges

Le phénomène de violences urbaines (jets de pierres, incen-dies de véhicules…) connaît une forte progression qui fait l’objet d’une prise en compte statistique au plan départemental depuis 1994. Globalement, les violences urbaines sont centrées sur la soi-rée et le début de la nuit entre 21 heures et 1 heure. D’après les statistiques nationales et locales fournies par la police, les sapeurs-pompiers ou les renseignements généraux, c’est entre 22 heures et 3 heures qu’on dénombre le plus d’incidents. Entre le jour et la nuit, les liens sont trop évidents. Globalement, la courbe com-mence à grimper après 18 heures. Avec la fin de l’activité scolaire, les jeunes livrés à eux-mêmes s’approprient l’espace urbain pour en faire leur territoire et se livrent à des exactions en plus grand nombre. Le pic est atteint vers 23 heures puis on observe une légère diminution avant un sursaut vers 1 heure. La période de creux se situe entre 4 heures et 9 heures. Au total, 37 % de ces violences ont lieu entre 20 heures et minuit avec un pic entre 21 heures et 23 heures. On retrouve les mêmes courbes pour les feux de pou-belles, les feux de gloriettes, de vide-ordures ou d’abribus.

mations nous a permis d’explorer l’autre pôle magnétique des dis-cours sur la ville la nuit : la liberté.

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